La vie devant ses yeux – Laura Kasischke

Traduction : Anne Wicke
Titre original : The life before her eyes
Christian Bourgeois Editeur, 2002, 348 pages

 
Les premières phrases :

Elles sont dans les toilettes des filles quand elles entendent les premiers tac-a-tac-a-tac d’une arme semi-automatique. Le bruit semble faux, lointain, et elles continuent ce qu’elles étaient en train de faire : elles se brossent les cheveux, elles regardent leur reflet dans le miroir…
Tac-a-tac-a-tac.

 

L’histoire :
Drame au lycée de Briar Hill ! Un adolescent ouvre le feu sur ses camarades. Réfugiées dans les toilettes, deux amies se serrent l’une contre l’autre. Elles ne tarderont pas à être débusquée par le tueur, lequel leur propose une échappatoire : une seule des deux mourra ; à elles de décider laquelle !
Vingt ans après. Diana McFee a survécu, et semble mener une existence idyllique auprès de son mari Paul et de sa petite fille Emma. Une succession d’étranges petits incidents vient cependant perturber le quotidien de Diana, tandis que le traumatisme passé ressurgit par petites touches, sous forme de courts flash-backs obsédants.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

“Alors, reprend-il plus doucement, comme s’il était désolé de leur avoir fait peur. Laquelle de vous deux je dois tuer, les filles ?” (page 18)

 

Je poursuis avec ce livre l’exploration de l’oeuvre de ma chouchoute (voir ma critique des Revenants, dernier opus de l’auteur). Laura K. n’en finit pas de me ravir par son talent atypique, et chaque nouveau roman est pour moi un émerveillement. J’aime son style, fluide et travaillé ; j’aime sa façon d’introduire une part d’étrange et de fantastique dans un monde en apparence lisse et ordinaire (le monde des petites villes américaines, des universitaires et des mères de famille aisées) ; j’aime, enfin, la délicatesse avec laquelle elle nous propose d’entrer dans l’intimité de ses personnages féminins, qui sont au coeur de ses romans.

 

La vie devant ses yeux réunit toutes ces qualités. Le récit est dans un premier temps fortement ancré dans le quotidien, mais se voit très vite perturbé par de petits détails insolites, qui interpellent le lecteur, lequel oscille constamment entre malaise et fascination (sentiments renforcés par les nombreux flash-backs nous proposant de revivre la vie des deux adolescentes au cours des mois précédent le drame, à savoir la tuerie de Briar Hill). La pauvre Diana tente de mener une vie équilibrée dans sa jolie maison, mais semble complètement dépassée par les événements. Elle se trouve constamment rattrapée par le souvenir de ces moments tragiques, au cours desquels son destin a basculé, et dont les circonstances ne seront jamais totalement élucidées.

 
“Elle avait quarante ans. Toute sa vie, elle avait vécu à Briar Hill. Le nombre de personnes qu’elle avait fait souffrir ou qu’elle avait rejetées, le nombre de fois où elle avait dit quelque chose de cruel (mais jamais de manière intentionnelle : pouvait-elle seulement se souvenir d’une occasion où elle avait blessé quelqu’un intentionnellement ?), tout cela était maintenant impossible à calculer. A cette pensée, elle se sentit étourdie et nauséeuse, comme lorsqu’on regarde dans un précipice plein de déchets puants et de mouches. Ce n’était pas la première fois qu’une choses pareille se produisait. Un message inexplicable destiné à… quoi ? La dérouter ? La désarmer .
Elle ne se laisserait pas faire.
La vie était courte.
Sa vie était parfaite.
Et c’était sa vie à elle.” (page 108)

 

 

Laura K. crée une atmosphère assez oppressante de “science-fiction domestique”, comme le dit très justement la quatrième de couverture du livre. Tout semble se dérégler progressivement, et la vie de Diana s’apparente parfois à un rêve, vaguement absurde et inquiétant. On comprend assez vite où l’auteur veut en venir, mais je suis pour ma part restée scotchée, incapable de me détacher de cette histoire pourtant légèrement morbide.

 

Un roman glaçant et ambigu jusqu’aux toutes dernières pages.
Encore une belle réussite !

 

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Cette lecture marque ma première participation au Mois Américain organisé par Titine.

 

18 thoughts on “La vie devant ses yeux – Laura Kasischke

  1. Une auteure que je n'ai jamais lu mais il n'est jamais trop tard pour bien faire. Tu me conseillerais celui-là pour découvrir ou autre chose ?

    1. Celui-ci est assez représentatif du style de l'auteur. Mais j'ai également beaucoup aimé Les Revenants (son dernier roman) et En un monde parfait. J'en ai lu deux autres, que j'ai trouvé un tout petit peu moins aboutis.
      J'espère que tu aimeras ! Laura Kasischke semble susciter des réactions très variées sur la blogosphère : certains adorent, d'autres détestent.

    1. J'ai beaucoup aimé "En un monde parfait", que j'ai trouvé très fort, derrière une apparente fadeur ! Mais je comprends tout à fait que l'on puisse ne pas aimer.

  2. A cause de toi, j'ai très envie d'acheter "Revenants" ! Et celui dont tu parles aujourd'hui. J'ai très envie de découvrir Laura Kasischke et je vais suivre tes conseils.

    1. J'espère que tu aimeras ! Certains lecteurs ont du mal à adhérer à son univers. Le rythme de ses romans est assez lent, mais on y trouve toujours un petit quelque chose de spécial, de dérangeant. J'aime vraiment beaucoup !

  3. Quand j lis le synopsis, tout de suite me vient « Oh la vache !» (je t'assure que je ne le fais pas exprès, oui je sais c'est pire !). Franchement le résumé me tente et ton avis final est très concluant.

    1. Laura Kasischke est une auteur qui divise : certains adorent, tandis que d'autres détestent (ou restent indifférents). J'espère que tu feras partie de la première catégorie !

  4. Je suis contente que tu aimes ce titre. C'est avec celui-là que j'ai découvert Laura K. (comme tu dis ^^) et ce fut un de mes plus intenses moments de lecture (rien que ça lol). En revanche (mais je m'y attandais), le film n'est pas du tout à la hauteur …

  5. J'ai lu ' The raising" que j'avais beaucoup aimé puis " In a perfect world" que j'avais moins aimé. Mais ton billet me redonne envie de lire Laura K.je note le titre

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