Les Lames du Cardinal (T.1), Pierre Pevel

Folio SF, 2013, 397 pages

 
Les premières phrases :

Creusée dans le sol au coeur d’un immense pentacle gravé à même les dalles nues et froides, la cuve occupait le centre de la crypte, sous une voûte soutenue par des colonnes massives. Complexes mais harmonieuses, les lignes du pentacle s’entrecroisaient pour dessiner une étoile à douze branches enrichie de runes draconiques que la plupart des sorciers ne savaient ou n’osaient prononcer. Il émanait d’elles une puissance maléfique qui alourdissait l’atmosphère, cependant que de hauts cierges régulièrement disposés brûlaient. Des cierges noirs. Et dont les flammes, rougeoyantes dans l’obscurité, étaient du même incarnat que le sang fumant qui emplissait la cuve.

 

L’histoire :
Paris, 1633. L’ennemi frappe aux frontières du royaume de France, menacé par l’Espagne et sa Cour des Dragons, dont l’influence ne cesse de croître. La Griffe Noire, une mystérieuse organisation aux multiples ramifications internationales, tente d’implanter une loge draconique en France, afin d’y étendre son pouvoir. Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu, sollicite alors l’aide du capitaine La Fargue, qui commanda jadis une vaillante compagnie d’élite, constituée de fiers et intrépides bretteurs. La Fargue convoque ses anciens partenaires, qui ne tardent pas à répondre à son appel. Les Lames du Cardinal reprennent du service, cinq ans après le fiasco du siège de La Rochelle. Parviendront-ils à déjouer les complots ourdis par la maléfique vicomtesse de Malicorne et ses comparses ?

 
L’opinion de Miss Léo :

 

J’ai choisi ce titre dans la sélection Folio de février, espérant y retrouver un petit quelque chose des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas (un roman que j’adore, mais dont je n’ai toujours pas lu les suites). J’étais cependant légèrement sceptique, à cause du côté fantasy, qui ne m’attirait pas plus que ça. Les dragons ne me passionnent guère, et je craignais que l’intrigue n’accorde trop d’importance aux éléments fantastiques de l’histoire, au détriment du récit de cape et d’épée. Je me suis donc lancée sans attente particulière dans cette lecture. Et là… Divine surprise !!

 

Les Lames du Cardinal, premier tome d’une trilogie initialement publiée chez Bragelonne, est un roman passionnant, qui se dévore à vitesse supersonique (Mach 3 en ce qui me concerne). Première bonne surprise : le style est excellent, et je suis instantanément tombée sous le charme de cette plume vive et alerte, extrêmement plaisante à mon goût (on est loin de la prose hésitante et maladroite d’une Anne-Laure Morata, dont les romans se déroulent pourtant à la même époque, à une quinzaine d’années près). Le vocabulaire est recherché, les tournures de phrase fluides et agréables, et le découpage du roman en chapitres courts et rythmés donne irrésistiblement envie d’en poursuivre la lecture. Oh, il y a bien ça et là quelques imperfections, quelques redondances aussi, mais elles sont noyées dans ce réjouissant festival d’action et de suspense, qui pétille comme un Perrier un Pommery une Clairette de Die fraîchement débouchée.

 

Pierre Pevel met en scène un nombre impressionnant de personnages, et il faut d’ailleurs un peu de temps pour identifier chacun d’entre eux : on passe en permanence d’un personnage à l’autre, sans savoir qui sont les “bons” et les “méchants”, et les cent premières pages peuvent parfois prêter à confusion. Cela n’est cependant pas désagréable, et l’intrigue se met progressivement en place, tandis que les personnages nous deviennent de plus en plus familiers. Tous sont reconnaissables à leurs caractéristiques physiques, fréquemment rappelées par l’auteur (un procédé qui devient à la longue un peu agaçant, mais cela n’est pas bien grave). Ce dernier ne propose en revanche aucune analyse psychologique : les personnages restent assez sommaires et stéréotypés, tout en étant sympathiques et attachants. Ils se distinguent avant tout par leurs actes et leur histoire, plus que par leurs pensées (ce qui n’a rien d’étonnant dans un roman centré sur l’action et les péripéties). Tous sont néanmoins originaux, et l’on prend plaisir à suivre leurs aventures. Citons-en quelques-uns, parmi mes préférés : Saint-Lucq, le sang mêlé aux bésicles rouges, dont on ne sait pas très bien s’il oeuvre pour la France ou pour ses ennemis ; Agnès, jeune femme têtue et intrépide à la longue tresse de cheveux indisciplinés ; le mousquetaire Leprat, porteur d’une rapière d’ivoire taillée dans une dent de dragon ; Nicolas Marciac, malicieux jeune homme débraillé, très porté sur les femmes et les divertissements, qui se distingue cependant par ses connaissances en médecine ; La Fargue, enfin, capitaine des Lames du Cardinal, qui semble dissimuler quelque honteux secret… J’espère en apprendre davantage sur chacun de ces personnages dans les prochains tomes !

 

Dans le roman apparaissent également quelques figures historiques ou fictionnelles connues, qui évoquent bien sûr l’oeuvre de Dumas. Nous retrouvons Rochefort, l’âme damnée du Cardinal, ainsi que Monsieur de Tréville, capitaine des Mousquetaires. Plus que toute autre, ce fut la brève apparition d’Athos qui suscita en moi la plus grande émotion (Athoooooooooos ! Mon mousquetaire préféré !). Un clin d’oeil ma foi fort sympathique, qui renforça mon intérêt pour le texte de Pevel.

 

“Dans le même élan, Almadès transperça l’épaule du premier apprenti, la cuisse du second, se baissa pour éviter le bâton du troisième, se redressa et lui entailla l’aisselle en tournoyant, acheva son mouvement en croisant ses rapières pour prendre la gorge du prévôt dans le ciseau de deux tranchants acérés.” (page 91)

 

Le style et les personnages ne sont cependant pas les seuls atouts de ces séduisantes Lames du Cardinal. L’une des grandes forces du roman est le soin apporté au contexte historique, très travaillé, que Pierre Pevel restitue à travers de nombreuses descriptions, celles-ci ayant probablement fait l’objet de recherches approfondies. La géographie des lieux traversés par les différents protagonistes est toujours clairement établie : j’ai apprécié cette précision, qui permet de mieux appréhender le Paris de 1633. Paris et ses petites ruelles sombres et tortueuses… Paris et sa puanteur… Paris et ses faubourgs… Paris et ses tavernes bondées… Paris et ses embouteillages… Paris et ses salles d’armes… Paris et ses hôtels particuliers… Le décor est planté de façon convaincante, et le lecteur est invité à visiter certains hauts lieux de la capitale, comme le Palais Cardinal ou les prisons du Châtelet. On flâne le long des rues de la Ferronnerie ou de l’Arbre-Sec,  puis on se désaltère d’un pichet de vin au sous-sol d’une auberge crasseuse, avant de quitter la ville par la Porte de Nesle ou la Porte St Marcel. Le plan proposé en début d’ouvrage permet de se repérer facilement, et vous sera particulièrement utile si vous ne connaissez pas Paris. Pierre Pevel évoque également le contexte politique, qui sous-tend l’intrigue du roman. Quelle était alors la place de la France en Europe ? Quel fut le rôle jouée par Richelieu sous le règne de Louis XIII ? Quelles étaient les attributions des Gardes du Cardinal et des Mousquetaires du Roy ? Il est fréquemment fait référence au siège de la Rochelle (déjà à l’honneur dans Les Trois Mousquetaires), qui provoqua la dissolution des Lames du Cardinal. Tous ces éléments contribuent à renforcer la crédibilité du récit, qui repose sur des bases solides et avérées.“Il existait alors à Paris une douzaine de cours des miracles. Toutes organisées sur le même modèle hérité du Moyen Âge, elles réunissaient dans des lieux clos des communautés de gueux, truands et marginaux. Emaillant la capitale, elles devaient leur nom aux mendiants professionnels – faux malades et faux estropiés – qui y recouvraient “miraculeusement” la santé loin des regards indiscrets, après une journée de labeur.” (page 135)

 

Pierre Pevel réussit un parfait hybride, dans lequel le roman de cape et d’épée prend cependant nettement le dessus sur la fantasy pure, celle-ci se faisant ici très discrète. Les personnages évoluent tout de même dans un monde légèrement différent du nôtre, peuplé d’étranges créatures. Les dragonnets y jouent le rôle d’animaux de compagnie (leur comportement rappelle parfois celui de nos amis félins), tandis que les vyvernes sont utilisées comme moyen de transport aérien. Le courrier se transmet par “dragons voyageurs”, un procédé développé et perfectionné par le dénommé Urbain Gaget, dont la florissante entreprise de messagerie rencontre un franc succès. Tout cela semble couler de source, et l’on ne remet pas un instant en question l’existence de cet univers, qui semble au contraire parfaitement crédible et réaliste. Les “méchants” de l’histoire sont quant à eux au service des dragons : ces créatures centenaires ont pris forme humaine, et se mêlent insidieusement à la population des pays qu’elles souhaitent diriger (infiltrer pour mieux régner, une tactique qui a fait ses preuves). Les dragons modernes parlent la langue des dragons ancestraux, et communiquent entre eux par l’intermédiaire de miroirs ensorcelés, dans lesquels ils continuent d’apparaître sous leur forme reptilienne. Je vous laisse découvrir par vous mêmes le plan machiavélique mis au point par ces derniers pour s’emparer du Royaume de France (espérons que les Lames arrivent à temps pour sauver la patrie) !

 

Pierre Pevel a débuté dans le jeu de rôle, et cela se ressent dans sa capacité à créer un univers cohérent, pour y faire ensuite évoluer des personnages de chair et d’os. Je tiens à préciser que je ne suis pas du tout amatrice de jeux de rôle (j’ai plusieurs rôlistes dans mon entourage proche, et je n’ai jamais compris ce qui pouvait les attirer là dedans), et que si j’ai apprécié ce roman, c’est donc avant tout pour ses grandes qualités littéraires et narratives. Les éléments fantastiques sont du reste parfaitement intégrés à l’arrière-plan historique, et ne m’ont absolument pas dérangée. Exemple : l’auteur invente une maladie d’origine draconique, mortelle et extrêmement contagieuse, dont il décrit tous les symptômes et les modes de transmission. La ranse s’ajoute ainsi à la longue liste des épidémies dévastatrices du XVIIème siècle, à une époque où la médecine était encore bien souvent impuissante.

 

“Mince, maigre, pâle, la main qui tenait cette plume traçait une écriture fine et serrée, nerveuse mais dominée, sans rature ni surcharge. Souvent, la plume allait à l’encrier. Elle était guidée par un geste précis et, sitôt revenue sur le papier, elle continuait de crisser au fil d’une pensée qui n’hésitait pas. Rien, sinon, ne bougeait. Pas même le dragonnet pourpre qui, roulé en boule, le museau sous l’aile, dormait d’un sommeil paisible près du sous-main en maroquin.” (page 19)

 

L’intrigue de ce premier tome se concentre la plupart du temps sur des péripéties on ne peut plus classiques, rappelant les grandes heures du roman et du film de cape et d’épée. Les membres des Lames ne peuvent parcourir plus de quelques lieues sans tomber dans quelque embuscade, et nos vaillants bretteurs se retrouvent impliqués dans de nombreux combats, particulièrement réjouissants pour la grande guerrière (?) épéiste que je suis. Les phrases d’armes sont minutieusement décrites, et l’auteur utilise un vocabulaire parfaitement adapté (les amateurs apprécieront). J’ai pour ma part été séduite par le dynamisme se dégageant de ces séquences !

 

“Le duel fut acharné dès les premiers échanges. Tendus et concentrés, le drac et Leprat échangèrent attaques, parades, contres et ripostes sans rien s’épargner. Le reptilien savait à qui il avait affaire et le chevalier comprit vite ce que valait son adversaire. Aucun ne semblait en mesure d’avoir le dessus. Quand l’un rompait de quelques pas, il reprenait aussitôt l’avantage. Et quand l’autre aprait à répétition, il parvenait toujours à s’approprier l’initiative de l’assaut suivant. Leprat était un bretteur expérimenté et talentueux. Mais le drac avait pour lui la force et l’endurance : son bras semblait infatigable. Acier contre ivoire, ivoire contre acier, les lames virevoltaient et s’entrechoquaient aussi vite que l’oeil pouvait voir.” (page 103)

 

Les fidèles lecteurs de ce blog connaissent déjà ma passion pour l’escrime, que je pratique en compétition depuis maintenant huit ans. Bien sûr, il s’agit d’escrime sportive (je n’aime pas tellement l’escrime artistique), mais cela ne m’empêche pas de m’intéresser aux anciennes pratiques. Mon cher F., lui-même escrimeur, est d’ailleurs l’heureux propriétaire d’une dague et d’une rapière, que nous gardons précieusement dans nos toilettes (on ne sait jamais, des fois que nous serions attaqués par des Orcs !).

 

La dague et la rapière

 

J’ai par ailleurs publié sur ce blog un billet présentant le traité d’escrime de Capo Ferro, illustré de superbes gravures très explicites. Celles-ci sont assez amusantes, et je vous invite à y jeter un coup d’oeil, si cela n’est pas déjà fait ! Vous y découvrirez les techniques en vogue en ce début de XVIIème siècle (c’est-à-dire plus ou moins à l’époque où se déroule l’action du roman).

 

Pour clore cet aparté, à ranger dans la rubrique “Miss Léo vous raconte sa vie”, voici une jolie photo de mes épées chéries, toutes fluettes à côté de notre amie la rapière, qui pèse quant à elle un poids monstrueux (il fallait être sacrément motivé et résistant pour se battre avec un engin pareil) !

 

A droite de l’image :
mes trois épées, que j’ai baptisées Olga, Macha et Irina
(en référence aux Trois soeurs de Tchekhov)

 

Revenons à nos moutons, en l’occurrence au roman de Pierre Pevel. Ce dernier fait preuve d’un sens du suspense très développé, distillant habilement les coups de théâtre tout au long d’une intrigue riche en rebondissements et en révélations. Les Lames du Cardinal déjouent complots et trahisons, et le lecteur comprend vite qu’il ne peut se fier à quiconque dans cet univers de manigance et de faux-semblants. Des personnages en apparence inoffensifs se révèlent d’une incommensurable fourberie, et l’entourage de Richelieu grouille d’agents doubles, voire triples, qui se jouent de leurs ennemis avec un machiavélisme redoutable. Tout cela est traité avec humour et légèreté, dans un feu d’artifice d’action débridée qui se conclut de la plus belle façon qui soit. Les dernières phrases sont redoutablement efficaces, et donnent instantanément envie de se précipiter sur le deuxième tome de la trilogie, L’Alchimiste des Ombres, qui ne sera malheureusement pas disponible en poche avant plusieurs mois. L’attente sera longue !

 

Merci à Lise et aux éditions Folio pour l’envoi. Un bonheur n’arrivant jamais seul, je vous proposerai dans le courant de la semaine de participer à un jeu-concours, qui vous permettra de gagner deux exemplaires de ce sympathique roman.

 
Une aventure divertissante, captivante et pleine de panache. Coup de coeur !
 

15 thoughts on “Les Lames du Cardinal (T.1), Pierre Pevel

  1. j'ai vu ce livre en librairie et j'ai hésité à l'acheter, mais ton enthousiasme me donne très envie de le lire !!! Je guette ton concours 😉

  2. Je ne suis pas trop pour le mélange historico-fantastique, mais si tu dis que c'est supportable, je te crois et il est difficile de résister à ton enthousiasme.
    Je ne savais même pas qu'il y avait de l'escrime artistique. Vous avez quand même des choses un peu bizarres (mais très jolies)dans vos toilettes^^
    Je guetterai le concours !

    1. Il y a finalement très peu d'aspects purement fantastiques dans ce roman, qui est avant tout un récit d'aventures divertissant, ayant pour toile de fond la France de 1633. J'ai beaucoup aimé, mais il faut dire que j'adore tout ce qui est roman ou film de cape et d'épée !
      L'escrime artistique consiste à reproduire des combats "à l'ancienne", dont toutes les actions sont chorégraphiées. Cela se pratique dans certains clubs. J'ai déjà vu des démonstrations, et je trouve ça assez ridicule…

  3. Merci de ce long billet, super précis! De Pevel j'avais adoré Les enchantements d'Ambremer, et moi non plus je ne suis pas une fan de fantasy (mais fantasy n'égale pas forcément dragons, c'est ce que j'ai fini par comprendre!). En plus si ça sort en Folio, alors…

    1. C'est vraiment un roman de qualité, et un divertissement parfaitement réussi. Après on peut très bien ne pas accrocher à l'histoire ou aux scènes d'action (il est vrai assez nombreuses), mais le côté "fantasy" n'est en revanche pas du tout gênant.

  4. J'avais vu ce roman lors d'opération de promo sur les livres numériques, mais j'avais hésité. Vu ton enthousiasme, je vais guetter le concours pour pouvoir le découvrir 🙂

  5. J'ai adoré toute la trilogie, lue il y a un moment déjà à l'époque de sa sortie chez Bragelonne. Ce sont des romans très prenants, vraiment écrits comme une série télévisée avec leur lot de rebondissements… Je te souhaite une bonne lecture des tomes 2 et 3!

  6. Tu as réussi à ma convaincre ! J'ai noté 😉
    Super sympa les photos, on voit bien les différences de taille mais je n'ose imaginer le poids de la rapière !

    1. Je ne sais pas quel est son poids exact, mais je ne m'imagine pas faire de grands mouvements avec, et sûrement pas me battre pendant plusieurs minutes !

  7. J'avais beaucoup aimé cette trilogie, que j'ai lu il y a quelques années. J'étais aussi septique, mais finalement, je l'ai dévoré! Très belle critique, tu m'as donné envie de relire la trilogie!

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