L’hiver du monde (Le siècle 2) – Ken Follett

Titre original : Winter of the world
Traduction : plein de gens !
Robert Laffont, 2012, 996 pages

 
Les premières phrases :

Carla savait que la scène de ménage menaçait. Elle sentit la tension entre ses parents dès qu’elle entra dans la cuisine, une atmosphère aussi glaciale que le vent qui soufflait dans les rues de Berlin, vous gelant jusqu’à la moelle avant une tempête de neige de février. Elle fut à deux doigts de ressortir.

 
L’histoire :

Quatre familles traversent tant bien que mal les grands bouleversements du XXème siècle, de la prise de pouvoir du NSDAP en 1933 jusqu’aux premières années de la Guerre Froide. Carla, Erik, Walter et Maud Von Ulrich sont à Berlin lorsque la guerre éclate. Lloyd Williams et sa mère Ethel militent activement contre le fascisme en Angleterre, tandis que les frères Dewar s’engagent l’un en politique, l’autre dans l’armée américaine. Daisy Pechkov effectue quant à elle un voyage d’agrément à Londres, alors que son cousin Volodia opère dans l’ombre, pour le compte des services secrets soviétiques.

 
L’opinion de Miss Léo :
 

Première source d’étonnement : cinq traducteurs pour un même roman ?! Comment diantre cela est-il possible ??? Je ne l’ai pas ressenti pendant ma lecture, mais je me demande bien comment ils se sont réparti le travail…

 

L’hiver du monde est donc la suite de Fall of Giants, que j’avais trouvé médiocre et indigne de Ken Follett (malgré la solidité du contexte historique). Je vous rassure tout de suite : ce deuxième tome est (de mon point de vue) nettement meilleur, malgré un démarrage laborieux. Et pourtant… Les deux cents premières pages m’ont cette fois encore laissée sceptique. J’ai bien failli renoncer, profondément agacée par les trop nombreuses et invraisemblables coïncidences qui émaillent le récit : les personnages (par ailleurs niais et caricaturaux) n’en finissent pas de se croiser par hasard aux quatre coins du monde, sans que cela n’étonne personne ! La crédibilité de l’intrigue en prend un coup, d’autant plus que lesdits personnages n’échappent pas aux stéréotypes, telle cette jeune américaine superficielle et pourrie gâtée qui deviendra (comme par hasard) ambulancière pendant le Blitz. Il est dans ces conditions bien difficile de s’intéresser à leur sort, ce qui explique peut-être pourquoi la mise en place de l’intrigue m’a semblé aussi interminable.

 

Oui mais voilà : Ken Follett traite ici du nazisme, du NKVD (les services secrets soviétiques, NDLA) et de la deuxième Guerre Mondiale, un sujet qu’il connaît et maîtrise sur le bout des doigts (voir ses excellents thrillers d’espionnage comme L’Arme à l’Oeil). On le sent davantage dans son élément que dans le premier volume, et le roman devient passionnant dès lors que son auteur rentre dans le vif du sujet, délaissant par là même ses personnages les moins intéressants pour se concentrer sur l’Histoire avec un grand H. La reconstitution est habile, et mêle différents points de vue, qui permettent au romancier de couvrir l’ensemble du conflit, de l’émergence du fascisme en Europe jusqu’à la capitulation allemande et à l’explosion des bombes atomiques américaines. Le lecteur en prend plein la vue pendant près de mille pages menées tambour battant (en dehors du début, comme expliqué plus haut).  Rien de révolutionnaire, mais je suis bon public, et j’ai bu ce roman comme du petit lait. Ken Follett fait preuve d’un remarquable esprit de synthèse, et parvient à intégrer au récit tous les événements-clés de ces deux décennies. Incendie du Reichstag, purges nazies, extermination des handicapés dans les hôpitaux allemands (Aktion T4 !), grandes batailles, sommets diplomatiques, entrée en guerre des Etats-Unis, luttes politiques conduisant à l’accès au pouvoir de Churchill en Angleterre, opération Barbarossa, désinformation menée par les services secrets, Débarquement de Normandie, projet Manhattan, course à l’armement, souffrance des populations civiles anglaises, allemandes et russes… Tout y est ! J’ai apprécié le fait que l’auteur fasse passer les histoires sentimentales de ses personnages au second plan, pour se recentrer sur les véritables enjeux dramatiques ; les scènes de sexe inutiles sont moins longues et moins omniprésentes que dans le premier tome, ce qui n’est pas plus mal.Les personnages américains sont décevants et manquent cruellement d’épaisseur, mais j’ai tout de même réussi à m’attacher aux autres protagonistes, notamment à la famille Von Ulrich, déjà très prometteuse dans le premier épisode. Les chapitres qui lui sont consacrés sont à mon avis les plus réussis du roman. Maud et Walter ont désormais deux enfants, et vivent à Berlin, où ils assistent horrifiés à l’émergence d’un Etat totalitaire. Les temps sont durs pour la jeune Carla Von Ulrich, témoin impuissant de la barbarie du nouveau régime, qui voit son frère Erik intégrer les Jeunesses Hitlériennes, avant de rejoindre les rangs de la Wehrmacht. Je suis extrêmement reconnaissante à Ken Follett d’avoir ainsi mis en avant le point de vue allemand, qui est comme chacun sait l’un de mes principaux centres d’intérêt. Terrible sort que celui de la capitale allemande, soumise aux bombardements, aux pillages et aux viols perpétrés par les soldats de l’Armée Rouge, avant d’être coupée en deux aux premières heures de la Guerre Froide… Beaucoup de français ignorent par ailleurs l’existence d’une Résistance allemande, dont L’Hiver du Monde nous parle brièvement (si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à lire Seul dans Berlin, remarquable roman de l’écrivain Hans Fallada).

 

Pour résumer : le style n’est pas extraordinaire, et les rebondissements sont cousus de fil blanc, mais il est malgré tout bien difficile de ne pas se laisser emporter par cette formidable épopée (vis à vis de laquelle je nourrissais pourtant énormément de réserves et d’a priori). Les ficelles sont parfois énormes, mais cela fonctionne à merveille, passé le cap des deux cents premières pages. Je lirai évidemment le troisième et dernier épisode, Aux portes de l’éternité, dont la sortie est prévue pour septembre chez Robert Laffont.
 
Quatre familles plongées dans la tourmente de la Seconde Guerre Mondiale. Inégal, mais passionnant.

 
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Nouvelle contribution au challenge Seconde Guerre Mondiale d’Ostinato. Et un pavé de l’été de plus pour Brize, qui compte aussi comme pavé d’août chez Bianca.