Je suis un dragon – Martin Page (Pit Agarmen)

Robert Laffont, 2015, 284 pages

 

La première phrase :
Le docteur Poppenfick leva un long morceau de bois.

 

L’histoire :

 

Margot est orpheline, et se sent différente. Elle mène une existence terne et solitaire, de foyer en famille d’accueil… jusqu’au jour où un incident survenu au collège lui révèle sa vraie nature. Margot n’est il est vrai pas une petite fille comme les autres : dotée d’une force physique et de capacités hors du commun, elle est très vite réquisitionnée par les plus hautes autorités, qui lui imposent de mettre ses super-pouvoirs au service de l’humanité. Dragongirl est née. Margot demeure toutefois une adolescente sensible et fragile, qui peine à trouver sa place dans ce monde hypocrite et violent.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

With great power comes great responsibility.

 

La pauvre Margot n’a rien demandé à personne ; la voici pourtant investie d’une mission qui la dépasse ! Officiellement promue arme secrète des gouvernements occidentaux à douze ans à peine, elle passe son adolescence dans un environnement austère, entourée de quelques adultes pour seule compagnie. Difficile de se construire dans ces conditions…

 

Je ne connaissais pas du tout l’auteur, aussi ai-je choisi de recevoir ce livre sur la foi d’une quatrième de couverture intrigante et prometteuse, sans aucun a priori positif ou négatif. Bien m’en a pris, puisque j’ai été très agréablement surprise par ce roman, après une succession de lectures ternes ou décevantes (voir mes précédents billets). Martin Page détourne et se réapproprie avec malice les codes des comics, et autres histoires de super-héros à l’américaine ; il réussit ainsi un ouvrage très personnel, portrait sensible et intimiste d’une adolescente hors-norme, aux aspirations pourtant très ordinaires. Point de arch enemy ni de über vilain démoniaque, encore moins de scènes d’action survitaminées dans cette fable tendre et poignante, totalement unique en son genre. Les adversaires sont ici les adultes, plus particulièrement les militaires, politiciens et autres membres des services secrets, qui ne voient dans Margot qu’une redoutable machine à tuer, niant ainsi son humanité.

 

Le dévoilement progressif du destin de Margot, héroïne émouvante à la personnalité attachante, se double d’une critique pertinente des excès de nos sociétés occidentales contemporaines, qui fustige (entre autres) l’emballement médiatique, la récupération politique ou encore la frénésie des grands mouvements d’opinion générés par les réseaux sociaux. Adulée par les uns, haïe par les autres, Dragongirl ne tarde pas à devenir une icône, dont les actes suscitent des réactions souvent disproportionnées, tout en soulevant d’évidentes questions d’ordre éthique et moral.

 

D’abord appelée pour des missions de sauvetage “de routine”, la superhéroïne ne tarde pas à intervenir sur des événements plus sensibles, notamment dans des zones de conflits armés, contribuant parfois à l’arrestation (discutable) de cibles “officielles”, désignées comme nuisibles par les régimes politiques occidentaux. Et si Margot n’était qu’un pion dans un jeu stratégique biaisé, un instrument au service d’enjeux économiques et idéologiques douteux, à mille lieues des préoccupations du citoyen lambda ? On sent Martin Page assez désenchanté, peu optimiste quant à l’évolution future de notre civilisation. La jeune fille réalise peu à peu que ses actes héroïques n’améliorent en rien le quotidien des petites gens, miné par le chômages et les violences urbaines en tout genre. Elle s’émancipe progressivement de la tutelle de ses instructeurs, se forge ses idées et sa personnalité d’adulte, comme tout adolescent de son âge.

 

Vive et intelligente, en proie à une frustration grandissante, Margot éprouve le besoin d’échapper au carcan dans lequel on l’a enfermée, et aspire à une vie simple, basée sur des relations humaines épanouies et sereines (ce qui ne l’empêche pas de se montrer d’une grande cruauté). Elle ne supporte plus les limites qu’on lui impose, et n’admet pas que l’on joue avec ses sentiments. Son rêve le plus cher : pouvoir mener son existence comme elle l’entend. Dragongirl revendique son droit au libre-arbitre, préférant faire le bien à une plus petite échelle, en détroussant les dealers, ou en volant (littéralement) à la rescousse de femmes agressées en pleine rue, plutôt qu’en s’attaquant aux terroristes et autres criminels de guerre. Sa fragilité la rend terriblement humaine, et l’on se prend vite d’affection pour cette sympathique (super)héroïne !

 

Pour résumer : belle réussite que ce roman, dont j’ai particulièrement aimé le ton et l’écriture. Je suis un dragon s’apparente à un conte initiatique, dont il possède à la fois la légèreté et la noirceur. Certaines scènes sont d’une grande violence, et tranchent avec le reste de l’ouvrage (Margot se montre sans pitié avec les abrutis, exprimant ainsi toute sa colère et sa frustration). Martin Page porte toutefois un regard aiguisé et toujours très juste sur le monde moderne, et traite avec délicatesse des interrogations existentielles de l’adolescence, à travers une situation et une intrigue purement imaginaires. On est à mille lieues de la production littéraire française nombriliste traditionnelle ! J’ai pour ma part bien envie de lire les précédents ouvrages du romancier.

 

Une fable tendre et subtile, et un très beau personnage féminin. 
A découvrir.

 

Livre chroniqué dans le cadre d’un partenariat avec les éditions Robert Laffont.

 
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Première participation à l’édition 2015 du challenge Petit Bac d’Enna, catégorie “Pronom personnel sujet”.

 

8 thoughts on “Je suis un dragon – Martin Page (Pit Agarmen)

  1. le précédent Pit Agarmen était pas mal, moins original que celui-ci on dirait. il faut que son personnage féminin soit particulièrement réussi pour faire passer la caricature, c'est un genre qui demande mine de rien pas mal de savoir-faire et de finesse.

  2. J'aime Martin Page parce qu'il sait écrire dans des registres très différents du conte pour enfant au roman fantaisiste. J'avais beaucoup aimé ses premiers "Une parfaite journée parfaite" et "Comment je suis devenu stupide". Je suis curieuse de lire "Je suis un dragon"!

  3. Je n'aurais pas dû lire ton billet avant d'écrire le mien car le tien m'a foutu un sacré complexe ! Je le trouve parfait.
    Mais si je ne t'avais pas lu, je n'aurais pas demandé à le recevoir…
    Ce fut une belle lecture !

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