L’Adjacent – Christopher Priest

Titre original : The Adjacent
Traduction (anglais) : Jacques Collin
Editions Denoël, Collection Lunes d’encre, 2014, 552 pages

 

La première phrase :
Tibor Tarent était en route depuis tellement longtemps, depuis une telle distance, charrié par des officiels à travers des frontières et des territoires, traité avec déférence, mais néanmoins incité à se déplacer promptement d’un endroit au suivant.

 

L’histoire :
(extrait de la quatrième de couverture)
En Anatolie, l’infirmière Melanie Tarent a été victime d’un attentat singulier : totalement annihilée, elle n’a laissé au sol, comme seul vestige de son existence, qu’un impossible cratère noir et triangulaire. De retour en République Islamique de Grande-Bretagne, son mari, le photographe free-lance Tibor Tarent, apprend qu’un attentat a eu lieu le 10 mai à Londres, qu’il a fait cent mille morts, peut-être le double. Là aussi, la vaste zone touchée était inscrite dans un triangle parfait. Alors qu’il est emmené dans une base secrète afin d’être interrogé sur ce qu’il a observé en Anatolie (globalement rien, en dehors de l’étrange point d’impact), Tibor entend parler pour la première fois du phénomène d’adjacence. Mais à bien y réfléchir, est-ce vraiment la première fois ?

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Je vous propose aujourd’hui un billet sur le dernier roman d’un auteur que j’affectionne, et dont j’avais omis de vous parler jusqu’à ce jour. Méconnu en France, en dehors d’un petit cercle d’amateurs de science-fiction, Christopher Priest a pourtant tout pour séduire un plus large public, et son oeuvre mérite d’être mise sur le devant de la scène.Je suis encore relativement novice en matière de priestianisme, puisque je n’avais lu que deux romans avant d’attaquer celui-ci (Le prestige et La séparation). Ces deux premières incursions fort appréciées dans l’univers ultra-sophistiqué de l’auteur britannique m’avaient toutefois permis d’entrevoir l’ampleur et le génie d’une oeuvre vertigineuse et remarquablement cohérente, dont les romans débordants d’intelligence se répondent mutuellement, même lorsque les intrigues se déroulent dans des époques et des univers très différents.
 
Je suis totalement fan de ce nouvel opus, mais je vous conseille néanmoins de choisir un autre titre pour découvrir l’auteur ! L’Adjacent réalise en effet la synthèse des obsessions et thèmes de prédilection de Christopher Priest, et regorge de clins d’oeil à ses autres romans. Je suis loin d’avoir tout lu, mais j’ai tout de même reconnu des références évidentes au Prestige et à La Séparation, ainsi qu’à La Machine à explorer l’espace (dans lequel H.G.Wells fait également une apparition), sans oublier les mondes insulaires décrits dans L’archipel du rêve, Les insulaires et La fontaine pétrifiante (que j’ai prévu de lire bientôt). Illusion, prestidigitation, disparition, trompe l’oeil, mondes parallèles et autres jeux de miroir sont au coeur de l’intrigue, et le romancier développe comme à son habitude le thème du double, les principaux protagonistes du récit possédant chacun un ou plusieurs alter-ego, évoluant à différents niveaux de réalité. L’Adjacent confirme également le penchant marqué de Priest pour l’aviation militaire, lequel se manifeste à plusieurs reprises, notamment lors d’un vibrant hommage au Supermarine Spitfire (ici piloté par une femme !), avion ô combien fascinant, et dont la présence en couverture ne fut sans doute pas pour rien dans mon envie immédiate de découvrir ce roman.
 
La structure du roman en déroutera sûrement plus d’un. Amateurs d’intrigues balisées, passez votre chemin ! La narration n’est pas du tout linéaire, et entremêle plusieurs récits gigognes, dans une mosaïque d’histoires s’apparentant parfois davantage à un recueil de nouvelles. On croit d’abord suivre une intrigue classique de SF rationnelle et cartésienne, se déroulant dans un futur dystopique plausible, qui voit la République Islamique de Grande-Bretagne secouée par de violentes attaques terroristes, ainsi que par de redoutables tempêtes tropicales. On se prépare alors à suivre l’enquête du photographe Tibor Tarent, à la recherche d’informations sur le phénomène d’adjacence ayant conduit à la disparition de son épouse Mélanie, mais une succession de détails étranges sèment le doute au détour d’une phrase, anéantissant ainsi les certitudes du lecteur, qui se retrouve brusquement propulsé dans une autre trame narrative. Le récit bascule alors dans une dimension étrange et onirique, et il devient bien difficile de trouver des repères tangibles auxquels se raccrocher. C’est précisément ce qui me plaît dans les romans de Christopher Priest, lesquels reposent très souvent sur une altération de la réalité, ainsi que sur l’existence de possibles failles spatio-temporelles.

 

Constamment fascinant et très ambitieux sur le plan littéraire, L’Adjacent me paraît toutefois légèrement moins abouti que ne l’étaient Le Prestige ou La séparation. J’apprécie le fait que l’auteur ne donne pas trop d’explications, mais je ne vous cache pas que la scientifique (?) que je suis s’est parfois sentie frustrée de ne pas en savoir plus sur le phénomène d’adjacence. Certaines pages sont absolument remarquables, et bénéficient d’un puissant souffle romanesque, là où d’autres passages semblent au contraire plus anodins. Le rythme du récit en pâtit parfois (peut-être l’auteur aurait-il pu s’affranchir de quelques longueurs)… Il est également à noter que le romancier soulève davantage de questions qu’il ne donne de réponses (mieux vaut être prévenu, afin de ne pas être déçu) !

 

Ces quelques réserves ne m’auront quoi qu’il en soit pas empêchée d’éprouver un plaisir intense à la lecture de ce roman-somme. Au-delà de sa grande richesse thématique, L’Adjacent est aussi (surtout ?) une formidable histoire d’amour intemporelle, qui se joue de la mort, de la guerre et des aléas de la vie. J’en ressors pour ma part avec cette certitude : Christopher Priest est à n’en pas douter l’un des meilleurs, sinon le meilleur auteur de SF contemporain.

 
 

De la SF exigeante et intelligente, aux accents dickiens. Coup de coeur !

 

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Enfin une première participation à l’événement A year in England, organisé par ma copine Titine.
 

 
Pavé de décembre chez Bianca.
 
 

 

6 thoughts on “L’Adjacent – Christopher Priest

  1. Tu arriverais presque à me convaincre mais je suis allergique à la SF, surtout si elle donne dans l’exigence. Je dois être un lecteur un peu trop limité 😉

  2. Comme Jérôme, tu arriverais presque à me convaincre mais tes réserves me suffisent à ne pas m'y plonger ! Je ne suis pas une grande fan de SF et "Le prestige" ne m'a pas enthousiasmée à ce point-là…

  3. Oh bah dis donc…hormis le fait que je ne suis pas certaine que ce soit le genre de lectures dont j'ai besoin en ce moment (un peu anxiogène non quand même ?) je suis en général complètement réfractaire aux romans SF/d'anticipation MAIS j'en connais qui adorent, donc je vais les envoyer en éclaireurs….C'est une trilogie où bien ils peuvent se lire indépendamment les uns des autres?

  4. Hé bien, tu fais bien de mettre cet auteur en avant car je ne le connaissais pas et tout ce que tu en dis me semble susceptible de me plaire. Ça fait un moment que je n'ai pas plongé dans de la bonne SF en plus, donc ça tombe bien. Je vais essayer de le caser pour l'année anglaise !

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