Titre original : Making history
Traduction (anglais) : Patrick Marcel
Folio SF, 1996, 645 pages
La première phrase :
Elle débute par un rêve.
L’histoire :
Cambridge, dans les années 90. Michael Young se sent libéré : il vient tout juste d’apporter la touche finale à son manuscrit de thèse sur la genèse jeunesse d’Hitler, qu’il s’apprête à soumettre à son superviseur, le redoutable docteur Fraser-Stuart. C’est alors qu’il croise la route de Leo Zuckermann, vieil universitaire obsédé par les camps de concentration nazis, et inventeur d’une machine permettant d’influer sur le déroulement d’événements passés. Ensemble, il vont ourdir un plan machiavélique, qui pourrait bien changer à jamais le cours de l’Histoire…
L’opinion de Miss Léo :
Je voudrai tout d’abord remercier les éditions Folio d’avoir publié ce roman avec une aussi jolie couverture ! En effet, quoi de plus charmant que cet U-Boot gracile et aérien, se frayant un chemin triomphal entre les svastikas suspendues aux deux extrémités du Tower Bridge, lui-même affublé de deux aigles et survolé par un majestueux Zeppelin ? Un superbe travail graphique, et un très bel écrin pour le texte de Stephen Fry, qui ne saurait cependant être réduit au simple univers uchronique suggéré par cette illustration.
[MODE “Râleuse” ON] A propos de couverture, je dois dire que je suis très mécontente du récent changement d’habillage de la collection Folio SF : le gris métallisé était du plus bel effet, et rendait les ouvrages de la collection immédiatement identifiables, tandis que les nouvelles couvertures manquent cruellement de personnalité à mon goût ! [MODE “Râleuse” OFF]
Revenons à nos moutons. J’ai donc découvert ce roman il y a environ un an et demi chez Adalana, Keisha, Maggie et Cryssilda (entre autres), qui l’ont toutes apprécié. Je me suis évidemment empressée de l’acheter… mais j’ai attendu de longs mois avant de le lire, comme c’est la coutume chez moi (no comment) ! Je connaissais Stephen Fry pour ses talents de comédien, lecteur et humoriste, mais j’ignorais tout de sa carrière d’écrivain. Ce roman est à son image : drôle, généreux, loufoque, intelligent et érudit. Le faiseur d’histoire se trouve ainsi à la croisée de plusieurs genres littéraires, empruntant tantôt aux codes de la comédie de moeurs, tantôt à ceux de l’uchronie, avec quelques détours du côté de la comédie romantique ou du roman d’espionnage.
Le ton délicieusement absurde et la fraîcheur des personnages m’ont instantanément séduite, bien que la première partie du roman souffre de quelques longueurs (qui pourraient se révéler gênantes pour des lecteurs moins conciliants). L’auteur prend son temps pour installer les bases de l’intrigue, et l’aspect uchronique n’apparaît que tardivement, ce qui ne m’a absolument pas dérangée, dans la mesure où j’ai beaucoup aimé la description moqueuse et décalée du petit monde universitaire très british dans lequel évolue Michael. Cabotin et pantouflard, maladroit et peu à l’aise en société, ce grand enfant immature de vingt-quatre ans achève tout juste la rédaction de son Meisterwerk (sic), une thèse de doctorat intitulée De Braunau à Vienne : Les racines du pouvoir, et traîne ses guêtres le long des allées arborées du campus de Cambridge. Son récit est entrecoupé de courts chapitres “historiques” consacrés à Alois Hitler et Klara Pölzl, futurs parents du petit Adolf ; ces tranches de vie semblent d’abord incongrues, mais finissent par trouver leur place au sein du dispositif narratif installé par le romancier britannique.
Adolf Hitler, responsable de tous nos maux ? C’est dans la petite ville autrichienne frontalière de Braunau-am-Inn que se joue le destin de l’humanité. Et l’on se prend à rêver : que serait devenu le monde si le Führer n’avait jamais vu le jour ? Le XXème siècle aurait-il été moins tourmenté ? La paix se serait-elle installée durablement en Europe ? Les Juifs auraient-ils été sauvés ? Quid des progrès scientifiques liés aux recherches menées pendant la Deuxième Guerre Mondiale ?
Michael va se voir offrir une occasion inespérée de réécrire l’Histoire, suite à sa rencontre avec le physicien Leo Zuckermann, inventeur d’une machine sur laquelle Stephen Fry ne nous fournit que très peu de détails (comme chez Connie Willis, le voyage dans le temps n’est ici qu’un prétexte pour nous emmener vers d’autres contrées, et laisser libre cours à des fantasmes d’écrivain). Le récit bascule alors dans une tout autre dimension : l’humour est toujours présent, mais le lecteur évolue désormais dans un univers nettement moins familier, puisque Michael se retrouve projeté dans une terrifiante réalité alternative, dont nous découvrons peu à peu le pourquoi du comment. Il y a quelque chose de profondément ludique dans l’intrigue troussée par Stephen Fry, lequel se montre particulièrement imaginatif et malicieux, jouant notamment sur les différences culturelles entre l’Angleterre et les Etats-Unis (le Michael alternatif vit désormais en Amérique, pour des raisons que je n’exposerai pas ici). Le faiseur d’histoire bénéficie par ailleurs d’une narration excentrique et surprenante, ainsi que d’un réjouissant travail sur la forme, qui nous réserve quelques belles surprises, comme ces chapitres entièrement rédigés à la manière d’un scénario de cinéma (j’adore !). Je regrette terriblement de ne pas l’avoir lu en VO, mais que voulez-vous, je n’ai pas pu résister à la couverture française, déjà mentionnée plus haut…
Pour résumer : difficile d’en dire plus sans déflorer l’intrigue. Stephen Fry signe un excellent divertissement uchronique, lequel ne se limite pas à un simple exercice de style truffé de références littéraires et cinématographiques (ce qui ne gâche rien, soit-dit en passant). Les personnages sont un brin caricaturaux, mais c’est aussi ce qui fait le charme de ce roman subtilement dosé, dont on appréciera (ou pas) l’humour déjanté et le côté politiquement incorrect. On peut regretter quelques invraisemblances, ainsi qu’un dénouement un peu trop rapide et “facile” pour être totalement satisfaisant, mais Le faiseur d’histoire n’en demeure pas moins un roman très séduisant, qui plus est bien documenté en ce qui concerne son aspect purement historique. Je suis ravie de l’avoir enfin lu, et je vous invite à en faire autant.
Une passionnante uchronie au ton absurde et décalé. So british !
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Pavé d’avril chez Bianca.
Je n'ai pas vu le changement de la collection mais je sens que ça va m'énerver aussi parce que justement le principe d'une collection c'est de collectionner les livres qui ont tous un même style et une même couverture.
Pour en revenir à nos moutons, je l'ai multinoté (je sais ça n'existe pas mais j'aime bien) moi aussi. Par contre, je ne l'ai pas. Je le cherchait d'occasion, mais je ne le vois jamais (du coup, j'ai trouvé Hippopotame d'occasion, mais il me tente un peu moins).
Et je viens d'acheter Fatherland.
Normalement pas fan du côté absurde, mais j'aime les uchronies et tu "vends" très bien ce roman… (et puis il y a des catégories du Mélange des Genres que je n'ai pas encore explorées ^^) donc ça me tente bien 🙂
Merci pour le lien ! je ne me rappelle pas de tous les détails mais je garde un très bon souvenir de cette uchronie, notamment pour le personnage principal et surtout pour l'humour de frye… J'avoue que je lis assez peu de Sf et je n'ai pas remarqué le changement de couverture…
Ta conclusion est parfaite!
Rien à dire sur la nouvelle présentation, car je l'ai lu en 'gros roman', emprunté à la bibli;
Je me souviens avoir apprécié ma lecture malgré de grosses références à la société britannique, pas toujours évidentes pour un lecteur étranger. Et puis j'ai découvert là cette histoire d'Historikerstreit que je ne connaissais pas avant. Un bon roman, à découvrir.
Mon Dieu, mais ça a l'air archi barré comme truc non ? (oui enfin c'est de la SF quoi). l'hommes st archi fan de cette collection chez Folio (il a l'air de briller d'argent ton livre, c'est une impression sur la photo ou quoi).
Bon moi tu me dis WW2 et je fonce, j'adore l'idée de penser à changer le cours de l'histoire, j'aime cet autre angle de vue, et pourtant je peux te dire que ce n'est pas mon truc la SF.
Noté (je vais l'offrir à l'Homme d'abord et voir ensuite s'il me convient).
Ha ha! Le côté so british pourrait me séduire, dans un autre genre que le Gatiss. Et je suis d'accord, ô combien, sur le changement de maquette désastreux de Folio SF…