Folio Gallimard, 2012, 550 pages
La première phrase :
Un vent noir hurlait par la portière de la carlingue.
L’histoire :
Buenos Aires, 2010. Jana Wenchwn a vingt-huit ans, et un caractère bien trempé. La jeune sculptrice d’origine mapuche, miraculeusement rescapée de la crise financière, vit désormais de et pour son art, à l’écart de tout luxe matériel, profitant ainsi d’une toute nouvelle liberté chèrement acquise. Jana ne doit rien à personne, comme elle ne manque d’ailleurs pas de le rappeler à quiconque se montrerait trop ouvertement intrusif ou menaçant à son endroit. La jeune femme est cependant sérieusement ébranlée par la découverte du cadavre sauvagement mutilé de son ami(e) Luz, travesti de son état. Ecoeurée par l’attitude méprisante et nonchalante de la police, elle sollicite alors l’aide du détective Ruben Calderon, lui-même rescapé des geôles de l’Ecole Mécanique de la Marine (ESMA), où il fut interné et torturé à l’âge de quinze ans, et désormais spécialisé dans la recherche des enfants de disparus de la dictature argentine. Déjà impliqué dans une autre affaire pour le compte d’un ami journaliste, celui-ci refuse la proposition d’une Jana désabusée, et entreprend de retrouver la trace d’une jeune photographe, semble-t-il mystérieusement évaporée dans la nature…
L’opinion de Miss Léo :
“Jana était mapuche, fille d’un peuple sur lequel on avait tiré à vue dans la pampa.” (page 21)
Voici un roman dont on a beaucoup parlé lors de sa sortie en avril 2012, et dont la toute nouvelle réédition au format poche se trouve ma foi parée d’une couverture pour le moins hypnotisante, en tout cas parfaitement à l’image du personnage de Jana. J’en avais lu tellement de bien que je ne pouvais guère passer à côté ! Je n’étais pourtant que moyennement attirée par le thème de cette histoire, et c’est donc avec quelques réticences que j’ai fini par me laisser tenter.
Caryl Férey signe un polar très noir, qui ne laisse guère de répit au lecteur. Les personnages sont (au choix) des survivants ou des bourreaux, et se livrent pendant plus de quatre-cents pages à une traque sans merci, chaque rencontre conduisant inévitablement à un bain de sang et/ou d’insoutenables mutilations. La violence est omniprésente, parfois outrancière, et cependant toujours justifiée par le contexte. Les descriptions très crues risquent de choquer les âmes les plus sensibles, mais constituent également l’une des grandes forces du roman, dans la mesure où elles semblent constamment adaptées aux circonstances et aux enjeux.
Le point fort de Mapuche est incontestablement son arrière-plan historique, passionnant et remarquablement bien documenté. Caryl Férey ancre son intrigue dans une Argentine durablement rongée par la crise économique, encore traumatisée par les fantômes de son passé dictatorial (dont je ne savais il est vrai pas grand chose avant de lire le présent opus). Si l’on peut regretter que les rappels de faits historiques soient parfois insérés de façon trop artificielle à la trame narrative principale du récit, ceux-ci n’en demeurent pas moins essentiels et puissamment évocateurs. Le roman ravive le souvenir de la folie meurtrière d’un régime totalitaire, qui torturait ses ressortissants et volait les enfants des internés pour les offrir à des couples stériles. On sent que l’auteur s’est approprié un sujet qui lui tenait à coeur, dont il restitue avec précision les mécanismes et les implications. Nous découvrons ainsi le rôle joué par les Mères de la Place de Mai, constituées d’une poignée d’irréductibles idéalistes oeuvrant inlassablement à faire éclater la vérité, afin que les enfants de disparus puissent enfin faire le deuil de leur passé perdu. Les conditions de détention dans les geôles du régime militaire sont décrites dans toute leur cruauté, l’auteur apportant ainsi sa pierre à l’édifice commémoratif d’une période bien sombre de l’Histoire sud-américaine. Ruben, Jana et tous les autres protagonistes se retrouvent ainsi plongés au coeur d’un vaste règlement de comptes, les survivants impunis de la gigantesque machine politico-militaire rescapée des grandes heures de la dictature n’hésitant pas à broyer toute tentative d’opposition.
Mapuche est un roman âpre, à fleur de peau, qui bénéficie de la présence d’un très beau personnage d’écorchée vive, dont les frêles épaules encaissent avec une force insoupçonnée le poids des épreuves traversées. Rongée par une sourde colère et animée par un violent besoin de révolte, Jana est une guerrière, que l’on sent prête à basculer à tout instant dans la folie. Son désir de justice la conduit à un déferlement de haine envers les tortionnaires, que tempère néanmoins son extrême sensibilité. Le personnage de Ruben est quant à luit plus terne et nettement moins convaincant que son alter-ego féminin, et je n’ai pas réussi à m’y attacher, malgré les horreurs de son passé.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule réserve que j’émettrai au sujet de ce roman, malheureusement rédigé dans un style assez quelconque, par lequel je n’ai pas été franchement emballée. Les scènes d’action sont longues et ennuyeuses, et regorgent d’invraisemblances (j’imagine assez bien ce que pourrait donner une adaptation cinématographique d’un tel roman). Heureusement que l’intrigue tient la route sur le fond (en dépit d’une construction assez décousue, qui nuit parfois à la fluidité de l’ensemble) ! Dernier bémol : je n’ai pas cru à la relation entre Jana et Ruben, que je n’ai pas trouvée très bien exploitée. Les envolées lyriques des scènes “romantiques” et sexuelles sont très décevantes, et tranchent avec le ton adopté dans le reste de l’ouvrage. Dommage !
Ces quelques défauts mis à part, je demeure toutefois séduite par ce polar original et intelligent, qui a le mérite d’aborder des thèmes très forts et généralement méconnus en France. L’intrigue tient la route, et je ressors très satisfaite de ma lecture, malgré la violence de certaines scènes (au final, ce n’est pas ce qui m’a le plus dérangée).
Un roman noir très sombre, basé sur un arrière-plan historique intéressant. Quelques bémols cependant.
Merci à Lise, des éditions Folio.
J'ai lu son Zulu qui se passe en Afrique du Sud après l'élection de Nelson Mendela, dans un climat de violence et de misère sociale affreuse. Il présente un peu les mêmes caractéristiques que celui que tu commentes : un roman noir, âpre, très dur sur fond historique. Lui aussi ne laisse aucun répit au lecteur.
Un auteur que je n'ai pas encore osé aborder à cause des scènes très crues de violence, dont tu parles aussi. Mais le sujet de ce tome-ci m'intéresse beaucoup.
Bon, a priori, je serais plutôt tentée mais les bémols que tu soulignes me laissent mitigée… Je vais voir s'il est en biblio près de chez moi pour le feuilleter et m'en faire une idée 🙂
J'ai lu Zulu que j'ai beaucoup aimé (certes c'est violent), mais tellement bien décrit. Je lirai celui ci aussi et là je serai plus dépaysée car je connais l'ADS mais pas l'Argentine. Tout le monde a aimé à la maison
La violence de Zulu m'avait fait refermer le roman avant la fin , du coup j'hésite à me lancer dans un autre roman de cet auteur même si le thème est intéressant .
J'avais adoré Zulu, très très noir, comme j'aime. Je comprends tes réserves sur le style; je me souviens avoir calé sur l'un de ses précédents romans noirs (Haka, je crois) à cause de phrases que je trouvais tellement mal fichues qu'elles en étaient ridicules (dans le genre essayons de faire du style). J'avais en revanche trouvé Zulu "neutre" dans l'écriture mais il est vrai que Ferey n'est pas un styliste… Mapuche est néanmoins dans mon stock, y a plus qu'à trouver le temps!
Pourquoi pas, si l'arrière plan est bien décrit !
J'avais tenté de lire ses 2 romans précédents, mais ils m'étaient tombés des mains. Je préfère ses romans plus courts.
Je pense qu'il n'a aucune chance de me plaire…j'avais quelques espoirs vu les billets ultra élogieux qu'il a reçus, mais là vraiment, je passe.