Chanson douce – Leïla Slimani

Editions Gallimard, 2016, 240 pages
 
La première phrase :
Le bébé est mort.
 
L’histoire :

(dans un souci d’efficacité, j’ai décidé de chiper le résumé de la quatrième de couverture)
Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari Paul de reprendre son activité au sein d’un cabinet d’avocats, le couple se met à la recherche d’une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l’affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu’au drame.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Une fois n’est pas coutume, je suis à la pointe de l’actualité, puisque (tenez-vous bien !) j’ai lu le dernier Goncourt, avant même que le prix ne soit attribué (c’est dire à quel point je me suis surpassée cette année). Pour être honnête, j’aurais mieux fait de m’abstenir…

 

Avant toute chose, je tiens à préciser que tout n’est pas à jeter dans ce roman, que j’ai trouvé distrayant, prenant et dans l’ensemble assez bien construit. Leïla Slimani aborde quelques sujets de société intéressants. Une femme peut-elle mener une carrière professionnelle épanouissante tout en demeurant une “bonne” mère (bah oui, évidemment, bien que cela soit encore difficile à admettre pour certains) ? La maternité/paternité est-elle une sinécure (désolée de vous décevoir, mais la réponse est non) ? Quid du rôle ambigu de l’auxiliaire parentale, qui partage la vie des enfants et avec laquelle s’établit parfois une proximité factice, mais qui ne fait cependant pas partie de la cellule familiale ?

 

Pertinent, mais pas de quoi sauter au plafond non plus… Chanson douce ne tient pas les promesses d’un premier chapitre brut de décoffrage, qui nous annonce froidement le meurtre brutal des deux enfants du couple, assassinés dans leur bain par leur nounou bien-aimée. Glaçant, mais efficace ! La suite du récit se révèle pourtant désespérément creuse et sans épaisseur, à l’image des personnages principaux, très antipathiques et superficiellement décrits, à la limite de la caricature. Je n’ai ressenti aucune empathie pour Myriam et Paul, couple de bobos parisiens condescendants pétris de bons sentiments : ceux-ci veulent se donner bonne conscience en se montrant excessivement généreux avec leur auxiliaire parentale (qu’ils ont les moyens de se payer, soit dit en passant), mais rien ne compte davantage à leurs yeux que leur petit confort quotidien. Ils embauchent donc un larbin une “nounou parfaite” (personnellement, je n’y ai pas cru un seul instant), et ne remettent jamais en question le comportement parfois étrange de cette dernière. Louise est un personnage solitaire, déprimé et envieux, qui vit dans la misère et peine à masquer ses nombreuses fêlures. L’auteur en rajoute une couche dans les chapitres qui lui sont consacrés, que j’ai d’ailleurs trouvés très agaçants…

 

La quatrième de couverture annonce un “style sec et tranchant […], où percent des éclats de poésie ténébreuse”. Euh… Comment dire… On n’a pas dû lire le même livre ! Le style n’a rien d’exceptionnel, et échoue à provoquer la moindre émotion. Voici un roman qui aurait dû être angoissant, susciter un sentiment de malaise, traumatiser la jeune maman que je suis… Rien de tout cela ! Chanson douce n’est finalement que le récit inabouti d’un fait divers, qui aurait sans doute mérité un traitement beaucoup plus dense (l’intrigue est vaguement inspirée de “l’affaire” Louise Woodward, qui défraya la chronique aux Etat-Unis à la fin des années 90). Les deux ne sont évidemment pas comparables, mais j’ai pour ma part été nettement plus inspirée par le Laëtitia d’Ivan Jablonka, fraîchement paru aux éditions du Seuil (évidemment, Jablonka est un brillant historien, il est donc logique qu’il soit plus convaincant dans ses analyses, d’autant plus qu’il n’écrit pas une oeuvre fictionnelle mais un “roman-vrai”, portant sur un crime bien réel). Bref, tout ça pour dire que le roman de Leïla Slimani n’est objectivement pas mauvais en ce qui concerne la conduite du récit (en dehors de la fin, complètement ratée), mais pour ce qui est de l’analyse sociologique, mieux vaut aller voir ailleurs !

 

J’ai pu lire ici ou là que le roman traitait de la lutte des classes… mais je ne suis pas du tout d’accord !! Chanson douce traite d’un meurtre sordide commis par une déséquilibrée, la folie de Louise demeurant par ailleurs assez mal exploitée. Le roman m’a curieusement et à plusieurs reprises rappelé le film La cérémonie de Claude Chabrol, que j’avais littéralement adoré à sa sortie, et qui me semble autrement plus percutant. Si le film m’a durablement marquée, je garderai en revanche le souvenir d’un roman insipide et totalement anecdotique, vite lu, vite oublié, ce qui me conforte dans l’idée que j’ai probablement raison de fuir les prix littéraires, à quelques rares exceptions près (dont le Jablonka sus-cité).

 

Une grosse déception !

 

13 thoughts on “Chanson douce – Leïla Slimani

  1. Ah j'adore ton avis plutôt à contre courant! En tant que maman, cela ne t'a pas donné de cauchemars, c'est rassurant. Perso je trouvais que la nounou était trop parfaite, où trouvait-elle le temps de tout faire, cuisine, ménage, etc. en plus de s'occuper des petiots?
    Ta référence à La cérémonie est juste (un autre blogueur en parlait aussi, ainsi que Les bonnes de Genet)
    Je suis moins sévère que toi sur ce roman, pas parfait bien sûr, mais de bonne tenue quand même. L'auteur a au moins évité le pseudo suspense artificiel en dévoilant la fin dès le début!

  2. Ah zut…bon je pense que je vais un jour l'emprunter à la bibliothèque et voilà tout…et pas tout de suite, je vais attendre que tout le battage médiatique se calme!

  3. Je suis d'accord avec toi sur certains points, notamment le manque d'empathie envers le couple, envers tous les personnages d'ailleurs. Mais pour ma part, j'y ai vu une force et non une faiblesse. Tout est glacial dans ce texte, et c'est ce que j'ai aimé. Louise est un personnage qui n'a pas fini de faire parler, entre ceux qui la considèrent uniquement folle, d'autres qui éprouvent un soupçon de compassion, d'autres encore qu'elle indiffère…L'auteure n'en dit ni trop peu, ni pas assez pour dresser son personnage, et je comprends que ça puisse en agacer certains !

  4. Ça fait du bien que tu exprimes aussi clairement une grosse déception ! Je crains depuis le début tout ce que tu critiques ici, j'ai peur d'un récit tres convenu autour de bobos parisiens si faciles à caricaturer dans leur bienpensance , et pourtant !!!! le rapport avec nos nounous est une chose compliquée / ambivalente /pouvant facilement mettre très mal à l'aise. Bon, on va dire que j'ai de mauvais souvenirs, pour le coup… Si le bouquin ne t'a pas fait sauter au plafond, il ya quelque chose qui ne fonctionne pas , dirais je !

  5. Eh bien, tu es drôlement sévère, dis-moi !
    Tu sembles regretter le style sec et de n'avoir pas ressenti d'empathie à l'égard du couple parental. Moi non plus et j'ai envie de dire : heureusement ! C'est bien parce que l'auteur instaure de la distance que la lecture est supportable. C'est pourquoi je ne crois pas qu'elle "échoue" à provoquer l'émotion ; je crois qu'elle n'avait pas l'intention de le faire et, personnellement, je lui en sais gré.
    Là où je te rejoins en revanche, c'est qu'il est assez surprenant que les parents ne s'interrogent pas davantage sur cette nounou et ses comportements de plus en plus étranges. Le coup du poulet, notamment, en aurait alarmé plus d'un, je pense !
    En tout cas, pour ma part, c'est une lecture que j'ai appréciée, même si je n'irai pas jusqu'à crier au génie. Cela dit, un avis à contre-courant, c'est toujours intéressant 😉

  6. Je rejoins ton avis… pas de quoi en faire un plat…
    (Rien à voir mais… c'est quoi ton écran lumineux en arrière plan sur ta photo, j'adore…! 😉 )

  7. ça me fait penser au roman La maladroite de l'an dernier. Tout le monde l'adorait alors que franchement, il n'était pas si exceptionnel que ça et même plutôt creux également. Je passe mon tour pour cette chanson douce sans regret 😉

  8. Merci pour ton avis qui a le mérite d'aller effectivement à contre courant ou tout au moins d'un certain courant.
    Pour ma part j'ai aimé ce roman, lu avant tout le déferlement médiatique. J'ai aimé car je trouve que l'absence d'empathie pour le couple, la froideur générale et l'approche distante des faits fait justement la pertinence du roman et cette approche clinique d'un fait divers. Il y a bien quelques maladresses, peut être une progression maladroite vers la chute qui tend parfois à manquer de cohérence mais j'y ai trouvé les promesses attendues lorsque j'ai acheté ce livre.

  9. Le moins qu'on puisse dire c'est que ton billet n'est pas dans la lignée des autres 😉 Comme je suis rarement à la point de l'actu littéraire, je pense le lire s'il me tombe entre les mains … Sinon, RAV mais je garde également un énorme souvenir de La Cérémonie !

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