Au Diable Vauvert, 2019, 398 pages
Le titre ne m’attirait pas des masses, puisqu’il évoque un genre littéraire auquel je suis généralement assez réfractaire. Et pourtant… J’ai lu le résumé, j’ai été intriguée, je me suis laissée tenter, et j’ai bien fait, puisque j’ai dévoré le roman en une petite soirée. Feel good est une excellente surprise ! C’est bon, c’est fin, ça se mange sans faim.
Thomas Gunzig nous conte le parcours chaotique de deux personnages en détresse, égarés dans un monde cruel. Alice, mère célibataire quadragénaire au chômage, lutte pour survivre avec ses maigres revenus, et craint plus que tout de ne pouvoir éviter à son fils une vie misérable. Tom, écrivain raté un brin dépressif, voit également son futur s’assombrir lorsque sa femme le quitte pour un chirurgien. Le spectre de la pauvreté pointe le bout de son nez, et nos deux protagonistes (qui ne se connaissent pas, mais dont les trajectoires finiront par se croiser) vont mettre au point un stratagème, ultime tentative désespérée pour s’extirper de la spirale de la déchéance.
Roman de moeurs, satire sociale, comédie absurde : Feel good est tout cela à la fois. Le style reste léger, mais le propos est assez sombre, voire franchement grinçant. Le roman aborde des thématiques très actuelles, et l’intrigue se nourrit de réflexions très pertinentes sur notre rapport à l’argent, ainsi que sur la façon dont notre société traite ses classes moyennes, avec cette question cruciale en filigrane : si l’argent ne fait pas le bonheur, ne serait-il pas malgré tout (et toutes proportions gardées) une condition nécessaire à une vie épanouie ? Que signifie réellement « être pauvre » en France ou en Belgique au XXIème siècle ?
J’ai ressenti de l’empathie pour les personnages principaux, dont l’auteur prend le temps de développer la biographie. Alice est pétillante, volontaire, débrouillarde et pleine d’esprit. Tom est… spécial (mais suscite également la sympathie). D’autre part, j’aime assez le ton de ce roman, qui ne manque pas de piquant. Feel good est une fable ancrée dans le réel : l’intrigue en elle-même n’est pas toujours crédible, mais ne bascule jamais dans le grotesque, le romancier belge accordant une attention toute toute particulière aux détails. La dernière partie offre une critique au vitriol du milieu de l’édition, et du cirque médiatique qui accompagne la Rentrée Littéraire. On peut même carrément parler de mise en abyme, puisqu’il est question dans le livre d’un roman de la Rentrée Littéraire, justement ! La fin est de mon point de vue assez réjouissante.
Pour résumer : une vraie belle découverte ! Je place Thomas Gunzig dans la même catégorie qu’un Pierre Raufast (même si les écrits du second sont plus imaginatifs et fantaisistes, là où le premier inscrit davantage son oeuvre dans un contexte réaliste) : il se dégage de leurs romans une fraîcheur et une simplicité revigorantes, et le lecteur prend plaisir à découvrir les histoires qu’ils racontent. Feel good ne sera peut-être pas le roman de l’année, mais je n’ai vraiment pas grand chose à lui reprocher.