Pocket, Finitude, 2015, 334 pages
La première phrase :
Pierre Castan ouvre les yeux.
L’histoire :
J’avais commencé à rédiger un résumé, mais je me suis rendu compte que celui-ci ressemblait beaucoup à la quatrième de couverture… que voici !
Pierre a tout abandonné, il vit dans sa voiture, sur l’autoroute. Là où sa vie a basculé il y a six mois. Il observe, il surveille, il est patient. Parmi tous ceux qu’il croise, serveurs de snack, routiers, prostituées, cantonniers, tout ce peuple qui s’agite dans un monde clos, quelqu’un sait, forcément.Week-end du 15 août, caniculaire, les vacanciers se pressent, s’agacent, se disputent. Sous l’asphalte, lisse et rassurant, la terre est chaude, comme les désirs des hommes.
Soudain ça recommence, les sirènes, les uniformes. L’urgence.
Pierre n’a jamais été aussi proche de celui qu’il cherche.
L’opinion de Miss Léo :
Quelle belle semaine de lecture ! Quelques heures à peine après avoir refermé Jubilee, j’ai opéré un changement de registre radical, puisque je me suis tournée vers ce roman noir contemporain très sombre, acheté sur une impulsion lors d’un bref passage à la librairie. Je connaissais Joseph Incardona de nom, suite à la sortie récente de son nouveau roman, La soustraction des possibles, que je compte bien me procurer prochainement, tant j’ai aimé le ton et l’écriture de celui-ci !
Première originalité : le cadre. L’auteur explore l’univers glauque et fascinant des aires d’autoroutes, terreau fertile où germent une multitude d’histoires. Les centaines d’employés permanents y côtoient chaque jour des milliers d’automobilistes ou camionneurs de passage, dont les destinées individuelles s’entrecroisent brièvement, puis divergent inexorablement, chacun restant solidement arrimé à sa propre trajectoire. La disparition de plusieurs petites filles sème le chaos dans ce petit monde savamment désordonné.
Souvent glaçant, Derrière les panneaux, il y a des hommes est tout sauf un énième thriller avec serial-killer. Joseph Incardona propose en effet une approche résolument nouvelle et personnelle d’une intrigue pourtant maintes fois abordée en littérature policière. La grande force du roman réside dans son écriture, caustique et viscérale, néanmoins porteuse d’un véritable souffle littéraire. Le style, incisif et résolument moderne, bouscule constamment lecteur. C’est original, mais sans chichi : chaque mot est choisi avec soin, et les tournures de phrases donnent au récit une dimension presque philosophique, d’autant plus que le texte se nourrit de réflexions très pertinentes sur la société, la technologie, la vie, l’univers et le reste. Bref, j’ai totalement adhéré à la plume de l’auteur, ce qui m’a permis d’engloutir d’une traite les trois-cents pages de ce roman délicieusement poisseux. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas été à ce point séduite par une écriture !
Sexe, passion, violence, mesquinerie, arnaque et dépression sont au coeur de cette impitoyable tragédie contemporaine, qui voit la mort s’inviter là où on ne l’attend pas. La résilience pousse l’être humain à s’accrocher, à lutter contre les statistiques et les vents contraires, mais l’issue est rarement positive (on ne peut pas dire que le dénouement du roman soit très optimiste). La narration morcelée et omnisciente parvient à faire exister en peu de phrases une multitude de personnages : parents endeuillés, couple adultère en vadrouille, gendarmes, cantonnier, employés de restaurants, patron véreux, marginaux en tout genre… Tous bénéficient de la même attention, c’est d’ailleurs ce qui rend le roman si captivant. Ces fragments de vie constituent les pièces éparses d’une seule et même histoire, souvent déchirante, en forme de réflexion sur la condition humaine. Quant à la disparition des fillettes, elle est abordée sans complaisance, avec beaucoup de pudeur.
Peut-être aurais-je ressenti l’oeuvre différemment si je l’avais lue plus jeune, avant d’avoir un enfant… Je pense que chaque lecteur en tirera des enseignements différents, selon sa propre expérience. Je reste par ailleurs convaincue que Derrière les panneaux, il y a des hommes ne plaira pas tout le monde, le style étant bien trop particulier pour faire l’unanimité. Qu’à cela ne tienne : j’ai adoré, et je le recommande !
Pour résumer : un texte plein d’humanité, et un récit constamment sous tension, admirablement construit, dont l’atmosphère parfois irrespirable procure paradoxalement un immense plaisir de lecture. Je n’en ai pas fini avec Joseph Incardona (c’est ma PAL qui va être contente) !
C’est toujours sympa de découvrir un auteur. Sauf pour la PAL, tu as raison.
J’ai noté ce roman chez Séverine, je pense… un auteur que je veux découvrir.