Titre original : The Sweet Girl
Traduction (anglais) : David Fauquemberg
Quai Voltaire, Editions de la Table Ronde, 2012/2014, 239 pages
La première phrase :
La première fois que je demande à emporter un couteau au temple, papa me répond que je n’en ai pas le droit, car nous sommes macédoniens.
L’histoire :
Athènes, 332 av. J.C. Pythias est la fille d’Aristote, et manifeste depuis sa plus tendre enfance un goût certain pour les sciences et le débat philosophique, encouragé et cultivé par les leçons de son prestigieux géniteur. La petite fille grandit, et devient adolescente. Elle subit la concurrence de son petit frère Nico, ainsi que de Myrmex, le cousin adopté, auquel son père semble désormais accorder davantage d’attention. Née femme, et par conséquent destinée à porter des enfants et s’occuper de son foyer, Pythias va devoir trouver un sens à sa vie, dans une société résolument misogyne.
L’opinion de Miss Léo :
J’ai été contactée voici de cela quelques mois par les Editions de la Table Ronde, qui me proposaient de lire ce roman et de participer à une rencontre avec l’auteur, la canadienne Annabel Lyon. J’ai accepté, bien que le livre soit la suite d’un ouvrage que je n’avais pas lu, Le Juste milieu (The Golden Mean en anglais), centré sur le personnage d’Aristote. Cela ne gêne en rien la compréhension de ce second opus, mais j’ai tout de même eu la sensation que les deux romans formaient un ensemble cohérent, et qu’il était par conséquent dommage de les lire séparément. En même temps, je dis ça, mais je ne me suis toujours pas procuré le premier (pourtant sorti en poche chez Folio) ! ^^J’ai donc eu la chance de rencontrer la romancière (très sympathique au demeurant), avec laquelle nous avons pu longuement échanger. Annabel Lyon, qui donne aujourd’hui des cours de creative writing à l’université de Vancouver, a étudié la philosophie, et connaît bien les idées d’Aristote. Si Le Juste Milieu rendait hommage à la pensée et à l’érudition du grand homme, Aristote, mon père met quant à lui en avant l’une des faiblesses de sa philosophie, à savoir sa vision relativement étriquée des femmes et de leur place dans la société. La nécessité d’un second tome s’est vite fait sentir, compte-tenu de l’absence de personnages féminins dans le premier volet. Annabel Lyon s’est basée sur le testament d’Aristote pour créer le personnage de Pythias : la demoiselle a réellement existé, mais nulle trace de sa vie ou de sa personnalité ne subsiste. Là où le premier tome revêtait un aspect quasi-documentaire (ayant tout de même nécessité huit longues années de recherches préliminaires), le second s’appuie au contraire sur un important travail d’invention, et relate des faits totalement fictifs, sans pour autant négliger le réalisme historique.
La romancière s’intéresse à ce qui est moderne, proche de nous dans cette société Antique méconnue, souvent perçue comme une civilisation figée et peuplée de figures gravées dans le marbre, dont on appréhende avec difficulté les réalités du quotidien. Pythias est un personnage attachant : curieuse, sportive et plus cultivée que la plupart des hommes, elle a bénéficié très jeune de l’enseignement d’Aristote, et refuse de se couler dans le moule qui doit faire d’elle une bonne épouse et une femme au foyer efficace. Aristote, mon père est avant tout un roman (fictif) sur la condition de la femme grecque (ou macédonienne). Beaucoup d’activités leur étaient interdites, et les membres de la haute société avaient encore moins de choix à leur disposition que leurs compatriotes des classes inférieures. Certaines d’entre elles parvenaient toutefois à s’émanciper, en exerçant par exemple la profession de sage-femme. Pythias est quant à elle une adolescente moderne, dont les problématiques sont peu ou prou les mêmes que celles des jeunes filles d’aujourd’hui (découverte de l’amour, choix d’un mode de vie épanouissant), à la différence près que celle-ci subit de plein fouet le poids des traditions de la société dans laquelle elle grandit, qui placent les femmes en situation d’inférieures soumises. Le regard d’Aristote sur sa fille change d’ailleurs du tout au tout lorsque l’enfant asexuée se métamorphose en femme : le philosophe, qui entretient pourtant des rapports totalement décomplexés avec le corps humain (ses recherches le conduisent à travailler régulièrement sur des cadavres d’animaux), se montre extrêmement gêné par l’odeur des règles de Pythias !
Cette dernière voit sa liberté et son indépendance remises en cause à la mort de son père : sans place acquise dans la société, elle doit trouver sa voie, avant de (peut-être) épouser l’homme désigné par Aristote. Les espoirs et les errements de Pythias sont parfaitement rendus par un style dynamique et efficace. Que ceux d’entre vous qui craindraient un roman trop ardu se rassurent : la plume d’Annabel Lyon est très accessible, et la romancière use d’un ton résolument moderne, qui rend la lecture particulièrement fluide. Elle nous a confié avoir d’abord écrit Aristote, mon père au passé et à la troisième personne, avant d’opter pour un récit au présent, plus chaleureux et en accord avec la modernité du roman. Pythias devient alors la narratrice énergique de ses propres aventures, ce qui favorise l’empathie vis à vis du personnage. Rien n’est laissé au hasard dans ce roman, dont la trame narrative était déjà largement établie avant d’entamer la phase de rédaction à proprement parler. La traduction est bonne, mais je regrette toutefois de n’avoir pu le lire en version originale : il semblerait en effet que le texte anglais soit particulièrement intéressant d’un point de vue stylistique, l’auteur ayant effectué un travail important sur le langage pour illustrer les origines des personnages de son roman. Les Macédoniens, dépositaires d’une culture jeune et vulgaire, davantage attirés par l’argent que par les arts, s’expriment en anglais canadien, tandis que les Grecs, qui incarnent quant à eux un raffinement non dépourvu de snobisme, utilisent l’anglais britannique. Pythias, élevée à Athènes, mais née de parents macédoniens, se situe quelque part entre les deux.
La romancière s’intéresse à ce qui est moderne, proche de nous dans cette société Antique méconnue, souvent perçue comme une civilisation figée et peuplée de figures gravées dans le marbre, dont on appréhende avec difficulté les réalités du quotidien. Pythias est un personnage attachant : curieuse, sportive et plus cultivée que la plupart des hommes, elle a bénéficié très jeune de l’enseignement d’Aristote, et refuse de se couler dans le moule qui doit faire d’elle une bonne épouse et une femme au foyer efficace. Aristote, mon père est avant tout un roman (fictif) sur la condition de la femme grecque (ou macédonienne). Beaucoup d’activités leur étaient interdites, et les membres de la haute société avaient encore moins de choix à leur disposition que leurs compatriotes des classes inférieures. Certaines d’entre elles parvenaient toutefois à s’émanciper, en exerçant par exemple la profession de sage-femme. Pythias est quant à elle une adolescente moderne, dont les problématiques sont peu ou prou les mêmes que celles des jeunes filles d’aujourd’hui (découverte de l’amour, choix d’un mode de vie épanouissant), à la différence près que celle-ci subit de plein fouet le poids des traditions de la société dans laquelle elle grandit, qui placent les femmes en situation d’inférieures soumises. Le regard d’Aristote sur sa fille change d’ailleurs du tout au tout lorsque l’enfant asexuée se métamorphose en femme : le philosophe, qui entretient pourtant des rapports totalement décomplexés avec le corps humain (ses recherches le conduisent à travailler régulièrement sur des cadavres d’animaux), se montre extrêmement gêné par l’odeur des règles de Pythias !
Cette dernière voit sa liberté et son indépendance remises en cause à la mort de son père : sans place acquise dans la société, elle doit trouver sa voie, avant de (peut-être) épouser l’homme désigné par Aristote. Les espoirs et les errements de Pythias sont parfaitement rendus par un style dynamique et efficace. Que ceux d’entre vous qui craindraient un roman trop ardu se rassurent : la plume d’Annabel Lyon est très accessible, et la romancière use d’un ton résolument moderne, qui rend la lecture particulièrement fluide. Elle nous a confié avoir d’abord écrit Aristote, mon père au passé et à la troisième personne, avant d’opter pour un récit au présent, plus chaleureux et en accord avec la modernité du roman. Pythias devient alors la narratrice énergique de ses propres aventures, ce qui favorise l’empathie vis à vis du personnage. Rien n’est laissé au hasard dans ce roman, dont la trame narrative était déjà largement établie avant d’entamer la phase de rédaction à proprement parler. La traduction est bonne, mais je regrette toutefois de n’avoir pu le lire en version originale : il semblerait en effet que le texte anglais soit particulièrement intéressant d’un point de vue stylistique, l’auteur ayant effectué un travail important sur le langage pour illustrer les origines des personnages de son roman. Les Macédoniens, dépositaires d’une culture jeune et vulgaire, davantage attirés par l’argent que par les arts, s’expriment en anglais canadien, tandis que les Grecs, qui incarnent quant à eux un raffinement non dépourvu de snobisme, utilisent l’anglais britannique. Pythias, élevée à Athènes, mais née de parents macédoniens, se situe quelque part entre les deux.
Aristote, mon père ne se réduit cependant pas à la destinée d’un unique personnage féminin. Il y est également question de soldats qui souffrent (l’auteur se base sur les symptômes décrits par Hérodote pour évoquer les traumatismes des guerriers de retour du combat), d’esclaves, de prostitution, mais aussi de mythes, de magie et de religion. Il ne faut toutefois pas perdre de vue l’essentiel, à savoir qu’il s’agit d’une oeuvre de fiction, et non d’un documentaire. Toutes les péripéties sont inventées et romancées, et Annabel Lyon nous propose sa propre vision d’une réalité à jamais inaccessible. J’ai fortement apprécié la première partie, mais j’ai trouvé que le récit devenait légèrement confus à partir de la mort d’Aristote, et par là même un peu frustrant. On survole beaucoup de thématiques intéressantes, qui auraient peut-être mérité d’être davantage approfondies. J’ai quoi qu’il en soit été très agréablement surprise par ce roman intéressant, qui offre un point de vue original et novateur sur la Grèce/Macédoine antique.
Je lirai avec intérêt les prochains romans de l’auteur, qui semble en avoir fini avec l’Antiquité, et travaille actuellement sur une oeuvre contemporaine.
Un roman plaisant et résolument moderne, porté par une héroïne anti-conventionnelle.
Un roman plaisant et résolument moderne, porté par une héroïne anti-conventionnelle.
Merci aux Editions de la Table Ronde d’avoir organisé cette rencontre.Les avis d’Emily, de Lilli, d’Argali et de La chèvre grise.
Pourquoi pas ! Le sujet est original et ta chronique donne plutôt envie !
Le roman est agréable à lire et plutôt bien fichu dans l'ensemble. Tu peux tenter.
cela me fait penser au roman de Claude Pujade Renaud, L'ombre et la lumière. La place de la femme antique face aux hommes détenteurs du pouvoir intellectuel est toujours intéressante. Merci pour cette critique en tout cas. Je mets le roman sur ma PAL.
Je ne crois pas avoir lu d'autres romans sur le sujet. Annabel Lyon le traite en tout cas avec beaucoup de fraîcheur.
Une belle expérience pour toi autour de ce livre.
Oui. Le fait de pouvoir rencontrer l'auteur a indéniablement été un plus !
Comme toi, j'ai eu l'impression de n'avoir qu'une partie d'un tableau d'ensemble, même si cette partie peut tout à fait se comprendre. Et comme toi, j'ai davantage apprécié la première partie, plus fluide que la seconde.
Mais cela reste un roman, de fiction comme tu le rappelles, intéressant.
Oui, j'ai cru comprendre en lisant ton billet que nous avions eu le même ressenti.
celui-là me dit bien, tant pour l'époque que pour le thème de la condition féminine…ça peut marcher pour la catégorie "historique" du mélange des genres? 🙂
Oui, je te l'accepterai sans problème !
J'ai lu cet été Le juste milieu qui était dans ma PAL depuis sa sortie afin de mieux aborder Aristote, mon père. Certes, les lectures sont indépendantes mais je me suis mieux imprégnée de l'histoire de Pythias en ayant connaissance de sa jeunesse. Ton éclairage grâce à la rencontre de l'auteure est intéressant. J'ai beaucoup apprécié ces deux romans et je suis ravie d'apprendre qu'Annabel Lyon écrit un prochain roman. Elle est une merveilleuse conteuse. Ma chronique d'Aristote, mon père sera en ligne après la date de parution du roman.
Je lirai ton billet avec intérêt. Il est certain que la rencontre avec l'auteur a été très enrichissante !
Merci pour cette chronique. Jamais lu l'auteur.
Vraiment pas mal du tout. La démarche d'Annabel Lyon est intéressante, et son roman est agréable à lire.
J'ai beaucoup aimé ce récit moi aussi et je n'avais pas lu le premier tome non plus. Une belle rencontre que tu as faite avec l'auteure, elle doit être très intéressante à écouter. Ton récit de cette rencontre est très intéressant. Merci.
Ma chronique est en ligne depuis le 3 août.
Oui, j'avais vu ta chronique. Annabel Lyon parle très bien de son oeuvre !
Je suis justement plongée dans la grèce antique et surtout la rome antique. Cette période m'intéresse vivement et je note ces deux livres ! ( même si j'ai déjà trop de livres en attente…)
Effectivement, c'est pile dans ton thème ! Je pense que les romans d'Annabel Lyon apportent un point de vue original sur cette période.