Luz ou le temps sauvage – Elsa Osorio

Titre original : A veinte anos, Luz
Traduction (espagnol) : François Gaudry
Points, éditions Métailié, 1998, 473 pages

 

La première phrase :

Luz, Ramiro et leur fils Juan arrivèrent à l’aéroport de Barajas à sept heures du matin d’un jeudi chaud. 

 

L’histoire :

 
Madrid, 1998. Luz Iturbe a vingt ans, et vient de retrouver son père biologique, Carlos. Elle lui raconte l’histoire de sa naissance.

Argentine, 1976. Les militaires au pouvoir mènent la vie dure à leurs opposants. Des centaines de “subversifs” croupissent en prison, et succombent aux mauvais traitements infligés par leur geôliers. Quelques mois après son arrestation, Liliana donne naissance à une petite fille, convoitée par le sergent Pitiotti pour son amie Miriam Lopez (une ancienne prostituée), le jour-même où Mariana, fille de l’impitoyable lieutenant-colonel Alfonso Dufau, accouche d’un enfant mort-né.

 

L’opinion de Miss Léo :

 
C’est à l’occasion de la sortie de Double fond, le nouveau roman d’Elsa Osorio, que j’ai entendu parler pour la première fois de Luz ou le temps sauvage, publié il y a vingt ans chez Métailié. Delphine-Olympe en a rajouté une couche (élogieuse) sur son blog, et le livre s’est retrouvé au fond de ma besace, en moins de temps qu’il n’en faut pour dire “Luz”.
 

Il faut dire que le roman aborde des thèmes qui m’intéressent tout particulièrement : la dictature militaire en Argentine, avec son lot de drames et d’atrocités (répression, torture et vols d’enfants), mais aussi des problématiques plus universelles, telles que la filiation ou les liens familiaux. J’étais donc très confiante au moment de débuter ma lecture, et la première partie ne m’a pas déçue. Les cent-cinquante premières pages sont formidables ! On découvre les personnages, la situation du pays, et les enjeux dramatiques d’une intrigue que l’auteur installe en quelques scènes redoutablement efficaces. Le lecteur se retrouve propulsé sans crier gare dans un huis-clos étouffant : dans un appartement de Buenos Aires se noue une relation improbable entre Miriam Lopez et Liliana Ortiz, tandis qu’Eduardo Iturbe se résout sous la pression de son beau-père à commettre un acte pour le moins discutable, dans les couloirs de l’hôpital où son épouse Mariana se remet péniblement d’un accouchement difficile.

 

Elsa Osorio parvient à générer une tension et une émotion très fortes ; le récit prend aux tripes, et le lecteur n’en sort pas indemne (désolée pour cette formule ultra-cliché, je n’ai pas trouvé mieux). On se doute que cela finira mal pour la prisonnière, mais on se prend à espérer une issue positive, tout en se demandant ce qu’il adviendra de “Lili”, le bébé mis au monde par Liliana (enfin, on s’en doute un peu, mais c’est surtout la façon dont la petite fille vivra les événements qui importe ici). Le roman atteint son point culminant aux environs de la page 130… avant de retomber comme un soufflé (ce cliché vous est offert par Miss Léo).

 

La suite est quelque peu décevante, et ne répond pas totalement aux attentes suscitées par la première partie. De par sa construction, le roman m’a semblé déséquilibré, et l’intérêt se dilue nettement dans le deuxième tiers. On tourne en rond, l’histoire n’avance guère, et l’auteur nous rabâche les mêmes problématiques pendant deux-cents pages mollassonnes. Si certains personnages suscitent la sympathie (Luz, Eduardo, Miriam), d’autres m’ont au contraire semblé très caricaturaux, surtout les “méchants”, qui ne sont pas assez nuancés. Mariana, la mère de substitution, n’est pas crédible pour deux sous, ce qui rend le roman bancal. J’aurais aimé un personnage un peu plus ambigu et attachant, malgré son aveuglement et son amour inconditionnel pour son papa chéri (le lieutenant-colonel Alfonso Dufau, NDLA). Le contexte historique est passionnant, les thèmes abordés sont très forts, mais le roman est un peu “facile”, et manque parfois de finesse et de subtilité.

 

Je reconnais néanmoins à l’auteur un talent certain, notamment en ce qui concerne la narration. Les époques et les points de vue s’entremêlent harmonieusement, sans que jamais le lecteur ne soit perdu. J’ai également apprécié la présence de descriptions parfois très dures et sans complaisance (évocation des séances de torture, arrestations, familles brisées…). Elsa Osorio ne cherche pas à atténuer la violence et la souffrance, dont elle s’attache à examiner les conséquences sur des individus marqués à jamais dans leur chair et dans leur âme par le souvenir de ces années noires.

 

Malgré ses défauts, Luz ou le temps sauvage reste donc un beau roman, qui se lit facilement, et lève le voile sur un pan peu glorieux de l’histoire argentine (à l’image du Mapuche de Caryl Férey). La romancière sud-américaine livre un récit sensible et pudique, qui informe tout autant qu’il émeut (la quête identitaire de Luz nous touche, tout comme l’acharnement des grands-mères de la place de Mai). Si j’ai ressenti une pointe d’ennui dans la deuxième partie, la fin ne m’a en revanche pas déçue, et je conserverai un souvenir positif de l’oeuvre dans son ensemble.

 

Un roman séduisant mais inégal, qui revient sur une page très sombre de l’histoire argentine.

 

 
 

4 thoughts on “Luz ou le temps sauvage – Elsa Osorio

  1. J’étais enthousiaste au début de ton billet ; beaucoup moins par la suite. Je pense que je passerai mon tour !

  2. Tu es à l’unisson d’Eva, donc. Pour ma part, je l’ai lu il y a trop longtemps pour répondre point par point à tes arguments. Je me souviens néanmoins l’avoir lu d’une traite, sans une once d’ennui !

  3. J’avais pour ma part adoré. Le thème me plaisait énormément et je n’ai pas été déçue par la deuxième partie. On dirait que j’en savais tellement peu que les répétitions ne me dérangeaient pas.

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