Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem – Maryse Condé

Folio, 1988, 288 pages

 

La première phrase :

Abena, ma mère, un marin anglais la viola sur le pont du Christ the King un jour de 16** alors qu’il faisait voile vers La Barbade.

 

L’opinion de Miss Léo :

Retour sur un classique de la littérature française/antillaise, qui réhabilite et expose en pleine lumière le personnage de Tituba, déjà immortalisé par Arthur Miller dans The Crucible. Les procès de Salem ne constituent toutefois qu’une épreuve parmi d’autres dans la vie de cette jeune esclave noire originaire de la Barbade, dont la mère fut violée par un marin anglais, avant de mourir pendue pour s’être défendue contre un planteur blanc. Et là, vous vous dites : merci Miss Léo pour cet instant de légèreté (de rien, tout le plaisir est pour moi) !

Tituba passe ses jeunes années à la Barbade, où elle mène une existence farouchement indépendante, en totale communion avec la Nature et les esprits de ses ancêtres (un mode de vie très sain, surtout lorsqu’on le compare à celui des Puritains blancs de la Nouvelle Angleterre, qu’elle sera amenée à côtoyer). À l’écoute de son corps et de ses désirs charnels, elle sera finalement rattrapée par sa condition d’esclave, et arrachée à son cocon sylvestre. Malmenée par la vie, Tituba n’en continuera pas moins à suivre son instinct, et vivra jusqu’à sa mort une sexualité épanouie avec les hommes qui l’attirent.

Tituba souffre d’un double handicap : femme et Noire dans une société patriarcale esclavagiste, elle effraye par sa connaissance de la nature, son anti-conformisme et son indépendance. Maryse Condé signe un beau roman féministe, en toute simplicité. L’écriture est superbe, et l’auteur se révèle excellente conteuse. Moi, Tituba est avant tout une oeuvre de fiction romanesque, centrée sur un personnage haut en couleurs, mais le fond s’avère également très riche sur le plan philosophique (de quoi nourrir une réflexion approfondie).

Moi, Tituba souffre cependant de quelques défauts, et je souhaiterais par conséquent apporter deux bémols à ma critique. Le premier est surtout une question d’appétence personnelle. En effet, Maryse Condé accorde une grande place au folklore, aux rites et aux croyances, ce que je n’apprécie guère (c’est d’ailleurs pour cette raison que je suis généralement peu friande de littérature antillaise ou africaine). J’aurais préféré que le roman demeure totalement rationnel, et que Tituba ne passe pas son temps à communiquer avec les morts… Le côté spirituel est néanmoins assez bien intégré au récit, et m’a moins gênée que prévu (tout en atténuant l’attachement que j’ai pu ressentir pour Tituba). Plus gênant à mes yeux : les choix de Tituba ne sont pas toujours crédibles. Il s’agit clairement d’une fable, pas toujours réaliste. À ce titre, l’irruption soudaine et impromptue d’Hester Prynne dans le roman m’a semblé totalement maladroite et capillotractée (le personnage n’a de toute évidence été introduit que pour faire passer un message idéologique).
 
Si le roman n’est pas toujours très subtil, il n’en subsiste pas moins un indéniable plaisir de lecture. Je me réjouis de découvrir prochainement Ségou, du même auteur, qui vient d’être réédité chez Robert Laffont.
 
Un destin très romanesque, et un roman politiquement engagé qui fait du bien.
À découvrir !

 
Tituba était dans ma PAL depuis plusieurs années, et c’est un podcast récent de La Poudre qui m’a suggéré de l’en sortir. Je vous invite à faire de même..
 


 

2 thoughts on “Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem – Maryse Condé

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *