Titre original : The Sweetness of Forgetting
Traduction (américain) : Christine Barbasse
Editions Denoël, 2014, 427 pages
La première phrase :
A cette heure où l’aube commence tout juste à étirer ses longs doigts par dessus l’horizon, je pourrais me croire seule sur Terre tant la rue est déserte et silencieuse derrière la vitrine de la pâtisserie.
L’histoire :
Cape Cod, de nos jours. Hope McKenna, malheureuse en amour et en proie à de grosses difficultés financières, travaille dur pour faire marcher la pâtisserie familiale, dont elle a hérité à la mort de sa mère. La jeune femme (qui passe sa vie à se lamenter) partage son temps entre sa fille Annie, pré-adolescente perturbée par le divorce de ses parents, et sa grand-mère Rose, atteinte de la maladie d’Alzheimer, dont la mémoire décline chaque jour davantage. Cette dernière profite toutefois de l’un de ses rares moments de lucidité pour demander à sa petite-fille de retrouver la trace de sa famille française, disparue pendant la guerre. Hope, qui ignore tout du douloureux passé de Mamie Rose, s’envole alors pour Paris, munie d’une simple liste de noms. Ses recherches la conduisent au Mémorial de la Shoah…
L’opinion de Miss Léo :
Non mais regardez-moi cette couverture ! Plutôt réussie graphiquement, certes, mais que de clichés dans cette image ! Une femme en chemise de nuit, “seule sur le sable, les yeux dans l’eau” (je dédie cette citation à Galéa)… Des pissenlits emportés par le vent… La Tour Eiffel en arrière-plan… J’aurais probablement fui ce roman si je l’avais croisé par hasard en librairie. Etant de nature légèrement masochiste, j’ai tout de même choisi de le recevoir en service presse, sans avoir vu la couverture, mais après avoir lu le résumé proposé par l’éditeur. Le côté fleur bleue de l’intrigue ne me disait rien qui vaille, mais le fait que celle-ci fasse référence à la deuxième guerre mondiale était en soi une raison suffisante de découvrir ce livre (je ne peux pas décemment passer à côté d’un roman ayant pour thème la déportation). J’étais curieuse de voir ce que l’auteur avait à proposer sur le sujet, et ne demandais qu’à être séduite.
Las ! On trouve effectivement quelques belles idées dans ce roman, malheureusement plombé dès le premier chapitre par une héroïne franchement antipathique. Hope est un personnage horripilant, dont les pleurnicheries et le ton plaintif agacent et ennuient. Elle n’a que trente-six ans, mais se comporte comme si elle en avait trente de plus, sur le registre “J’ai raté ma vie”, “Je suis une incapable”, “Je ne ferai plus jamais confiance aux hommes” etc… Une vraie tête à claques ! Les relations qu’elle entretient avec Annie (l’ado bougonne), Rob (l’ex mari immature) et Gavin (l’ami raisonnable un brin moralisateur) semblent par ailleurs très artificielles et caricaturales. Pour ne rien arranger, je l’ai trouvée quelque peu bécassine (et encore, je suis gentille). Comment peut-on vendre toute sa vie durant des baklava et des cornes de gazelle faits maison sans savoir qu’il s’agit de pâtisseries orientales (détail non anodin, qui jouera son rôle dans l’intrigue) ?? Dans un autre style, voici la réflexion que lui inspire la vue du Stade de France, aperçu sur le trajet depuis l’aéroport : “Je doute qu’il puisse s’agir de celui où des milliers de Juifs parisiens ont été internés avant d’être déportés vers les camps de la mort – il paraît de construction bien trop récente – mais cette image m’accompagne tandis que le chauffeur louvoie avec agilité dans la circulation.” (page 145) Mais oui ma chérie, tu as raison de douter ! Hope voit généralement le verre à moitié vide, mais s’attend à retrouver la trace de son grand-oncle Albert Picard par une simple recherche dans l’annuaire (sans déconner), alors que celui-ci a disparu en 1942. Mais bien sûr ! Hope semble toujours étonnée, écarquille en permanence les yeux, a au choix, rayez les mentions inutiles le coeur écrasé de chagrin, la gorge nouée de sanglots étouffés ou le corps parcouru de frissons. Pendant près de 450 pages… Autant dire que j’ai apprécié ce personnage subtil et équilibré (pas étonnant que sa fille la méprise).
Las ! On trouve effectivement quelques belles idées dans ce roman, malheureusement plombé dès le premier chapitre par une héroïne franchement antipathique. Hope est un personnage horripilant, dont les pleurnicheries et le ton plaintif agacent et ennuient. Elle n’a que trente-six ans, mais se comporte comme si elle en avait trente de plus, sur le registre “J’ai raté ma vie”, “Je suis une incapable”, “Je ne ferai plus jamais confiance aux hommes” etc… Une vraie tête à claques ! Les relations qu’elle entretient avec Annie (l’ado bougonne), Rob (l’ex mari immature) et Gavin (l’ami raisonnable un brin moralisateur) semblent par ailleurs très artificielles et caricaturales. Pour ne rien arranger, je l’ai trouvée quelque peu bécassine (et encore, je suis gentille). Comment peut-on vendre toute sa vie durant des baklava et des cornes de gazelle faits maison sans savoir qu’il s’agit de pâtisseries orientales (détail non anodin, qui jouera son rôle dans l’intrigue) ?? Dans un autre style, voici la réflexion que lui inspire la vue du Stade de France, aperçu sur le trajet depuis l’aéroport : “Je doute qu’il puisse s’agir de celui où des milliers de Juifs parisiens ont été internés avant d’être déportés vers les camps de la mort – il paraît de construction bien trop récente – mais cette image m’accompagne tandis que le chauffeur louvoie avec agilité dans la circulation.” (page 145) Mais oui ma chérie, tu as raison de douter ! Hope voit généralement le verre à moitié vide, mais s’attend à retrouver la trace de son grand-oncle Albert Picard par une simple recherche dans l’annuaire (sans déconner), alors que celui-ci a disparu en 1942. Mais bien sûr ! Hope semble toujours étonnée, écarquille en permanence les yeux, a au choix, rayez les mentions inutiles le coeur écrasé de chagrin, la gorge nouée de sanglots étouffés ou le corps parcouru de frissons. Pendant près de 450 pages… Autant dire que j’ai apprécié ce personnage subtil et équilibré (pas étonnant que sa fille la méprise).
Rose (la grand-mère) est quant à elle nettement plus attachante, et sa présence sauve partiellement le roman du désastre. La vieille dame, qui dissimule depuis soixante-dix ans de lourds secrets, perd peu à peu le souvenir de sa propre famille. Le drame vécu par les malades atteints d’Alzheimer et leurs proches est évoqué avec sensibilité par Kristin Harmel, qui crée un beau personnage mélancolique au crépuscule de sa vie, dont le destin tragique est indéniablement l’un des points forts de L’Heure Indigo. Rose a quitté la France aux heures les plus sombres de 1942, et sa petite-fille va tenter de percer le mystère de cette fuite désespérée, en même temps que celui de ses propres origines. La Shoah est évoquée avec sobriété, au travers des témoignages de survivants ayant connu les rafles de l’été 42 (de vieux messieurs pleins de dignité, qui apportent un petit supplément d’âme au récit). L’auteur intègre des détails moins connus, comme le fait que certains Juifs aient été cachés par des Musulmans (ce qui étonne évidemment beaucoup notre amie Hope, qui voit le monde par le petit bout de la lorgnette). Rien de franchement original (on reste dans le superficiel), mais j’ai pris plaisir à découvrir cette partie, d’autant plus que l’histoire de la famille de Rose se révèle plutôt bien fichue, quoique très prévisible. Il est toutefois regrettable que cette plongée dans le passé soit diluée dans une intrigue contemporaine ridicule et maladroite, reposant sur un enchaînement de coïncidences peu crédibles. La façon dont Hope reconstitue le fil des événements en moins de vingt-quatre heures est grotesque et totalement irréaliste.
L’aspect historique est plutôt réussi, mais ne nous voilons pas la face : L’Heure Indigo demeure avant tout une romance un peu niaise, vantant la beauté du Grand Amour. Celui-ci traverse les épreuves et les décennies, et les amants maudits finissent inévitablement par se retrouver, fût-ce après leur mort. Là encore, rien de bien original… Kristin Harmel traite également des relations mère-fille, mais ne se montre pas très à l’aise avec cette thématique. Après Le Cercle des Femmes il y a deux jours, me voici une nouvelle fois déçue par une histoire de femmes dont la vie amoureuse pâtit des traumatismes vécus par leurs ancêtres ; j’ai décidément beaucoup de mal avec ce concept !
Le roman souffre par ailleurs d’un manque de rythme préjudiciable. Le style est très scolaire, et le vocabulaire limité. J’ai été gênée par la lourdeur des dialogues, dans l’ensemble peu réalistes, ainsi que par la platitude du récit, rédigé au présent et à la première personne.
“Nous sommes encore bien trop haut pour distinguer un quelconque monument, mais j’aperçois déjà le ruban bleu saphir de la Seine qui déroule ses méandres, ainsi que le patchwork de prés et de bosquets revêtus de leurs flamboyants habits d’automne qui s’étale en périphérie de la ville.” (page 144)
Que de poncifs ! Il est à noter que les quelques chapitres adoptant le point de vue de Rose sont bien mieux écrits (l’auteur utilise alors le passé, et s’exprime à la troisième personne) : c’est d’ailleurs dans ces moments là que l’on sent poindre une véritable émotion, là où le reste du roman aurait plutôt tendance à tomber dans la facilité. Celui-ci se révèle finalement assez creux, voire totalement insipide. Ma patience a été mise à rude épreuve par la répétition trop fréquente de certains stéréotypes. Chaque personnage semble par exemple être le portrait craché d’un autre membre de sa famille au même âge (c’est d’ailleurs comme ça qu’ils se reconnaissent entre eux). Et puis, allez savoir pourquoi, les chapitres consacrés à Mamie Rose s’ouvrent tous sur… une recette de cuisine ! Un procédé sans grand intérêt, bien que la pâtisserie comme vecteur de transmission culturel soit ici un ressort dramatique important de l’intrigue (j’ai beaucoup de mal à comprendre cette mode des gâteaux et des cupcakes dans la romance contemporaine).
“Nous sommes encore bien trop haut pour distinguer un quelconque monument, mais j’aperçois déjà le ruban bleu saphir de la Seine qui déroule ses méandres, ainsi que le patchwork de prés et de bosquets revêtus de leurs flamboyants habits d’automne qui s’étale en périphérie de la ville.” (page 144)
Que de poncifs ! Il est à noter que les quelques chapitres adoptant le point de vue de Rose sont bien mieux écrits (l’auteur utilise alors le passé, et s’exprime à la troisième personne) : c’est d’ailleurs dans ces moments là que l’on sent poindre une véritable émotion, là où le reste du roman aurait plutôt tendance à tomber dans la facilité. Celui-ci se révèle finalement assez creux, voire totalement insipide. Ma patience a été mise à rude épreuve par la répétition trop fréquente de certains stéréotypes. Chaque personnage semble par exemple être le portrait craché d’un autre membre de sa famille au même âge (c’est d’ailleurs comme ça qu’ils se reconnaissent entre eux). Et puis, allez savoir pourquoi, les chapitres consacrés à Mamie Rose s’ouvrent tous sur… une recette de cuisine ! Un procédé sans grand intérêt, bien que la pâtisserie comme vecteur de transmission culturel soit ici un ressort dramatique important de l’intrigue (j’ai beaucoup de mal à comprendre cette mode des gâteaux et des cupcakes dans la romance contemporaine).
Pour résumer : Kristin Harmel signe un roman gentillet et pétri de bonnes intentions (louables au demeurant), qui souffre malheureusement de nombreux défauts. L’arrière-plan historique est solide, mais les personnages de ce conte de fées mélancolique et peu réaliste manquent de profondeur, ce qui dilue considérablement l’impact du message de tolérance véhiculé par l’auteur. Il est vrai que je suis toujours particulièrement sévère avec les oeuvres “littéraires” ou cinématographiques traitant de sujets en rapport avec la seconde guerre mondiale, surtout lorsque celles-ci ne se montrent pas à la hauteur de leurs ambitions.
[Mode auto-persuasion ON]
[Ne pas dire de mal de “La Rafle”… Ne pas dire de mal de “La Rafle”… Ne pas dire de mal de “La Rafle”… Ne pas dire de mal de “La Rafle”…] [Mode auto-persuasion OFF]
Pour découvrir la situation des juifs à Paris en 1942, mieux vaut relire le formidable Journal d’Hélène Berr, infiniment plus émouvant et instructif.
[Mode auto-persuasion ON]
[Ne pas dire de mal de “La Rafle”… Ne pas dire de mal de “La Rafle”… Ne pas dire de mal de “La Rafle”… Ne pas dire de mal de “La Rafle”…] [Mode auto-persuasion OFF]
Pour découvrir la situation des juifs à Paris en 1942, mieux vaut relire le formidable Journal d’Hélène Berr, infiniment plus émouvant et instructif.
Un roman fade et très inégal, auquel j’ai trouvé beaucoup de défauts.
Merci à Dana Burlac, des éditions Denoël (qui m’ont habituée à des textes plus exigeants).
Dommage ! Il est dans ma PAL, j'ai un peu peur…
Je suis une des seules à ne pas l'avoir apprécié… J'imagine que l'on peut être touché par l'intrigue, en passant outre les défauts (qui sont pour moi rédhibitoires).
J'ai été horrifiée par la citation sur le SdF. L'aller-retour passé-présent me fait plus penser à Elle s'appelait Sarah (je n'ai vu que le film – autre grand chef d'oeuvre cinématographique – qui ne m'a pas donné envie de lire le livre). Il faudrait peut-être que les auteurs comprennent enfin que l'histoire d'une famille dans le passé n'est pas toujours déterminante pour le futur. Comme tu le constates, j'adore moi aussi ce type de roman.
J'ai pensé à toi en recopiant la citation. ^^
J'ai lu "Elle s'appelait Sarah", et la partie contemporaine m'a là aussi pas mal énervée (l'héroïne américaine est moralisatrice et donneuse de leçon).
Ton article m'a fait tellement rire ! C'est superbe… un vrai travail de médecin légiste ! Tu nous dissèques tout ça et c'est délicieux. J'adore le truc sur le stade de France. Comme si l'auteur était embêtée de ne pouvoir faire penser quelque chose à son héroïne, qui serait bien pratique et profond, et se dit qu'elle n'a qu'à le penser quand même…en regrettant de ne pas pouvoir le penser!
Merci Coralie. Je devrais éprouver quelques scrupules à faire rire aux dépens d'un livre, mais je suis profondément mauvaise, et je suis ravie que mon billet t'ait plu.
J'adore ce billet!
Et comme toi je pense que le Journal d'H Berr est incontournable (je préfère aussi les documents, carrément)
Merci. C'est clair que les fictions romancées ont généralement moins d'impact que les documents.
Très bon billet!
Je suis atterrée par la citation sur le Stade de France, l'ignorance par rapport aux baklavas…
Et j'ai vraiment l'impression que je n'accrocherai pas du tout avec le personnage principal
Bref, je n'ai aucune envie de lire ce roman.
En revanche, je note la référence au journal d'Hélène Berr.
Ah oui, il faut que tu lises le Journal d'Hélène Berr !
hahaha, excellent billet 🙂 c'est terrible mais ça me donne presqu'envie de le lire!!!
C'est le deuxième effet Kiss Cool ! Tu as sûrement mieux à lire…
Eh ben ma poulette tu n'y vas avec le dos de la cuillère ! Bravo pour ce billet franc du collier ;))
Je suis méchante, hein ? Non, sérieusement, il n'y a pas que du mauvais dans ce roman, mais les défauts sont tellement flagrants que j'en suis sortie profondément agacée.
Bon. Je note le livre d'Hélène Berr…
Excellent réflexe. Je te le conseille vivement.
bonjour,
Ton avis négatif m'a un peu effrayée. J'ai lu donc avec appréhension le roman et finalement je le trouve bien ! Maintenant je lis ta chronique et je comprend ce que tu dis mais en fait ce que tu trouves négatif c'est ce qui va plaire à d'autres… ^^