Journal – Hélène Berr

Points, Editions Tallandier, 2008, 330 pages

 
La quatrième page de couverture :

Avril 1942. Hélène Berr débute l’écriture de son journal. Elle y décrit, avec une pudeur et une sensibilité extrêmes, son quotidien de jeune juive parisienne : cours à la Sorbonne, lectures et promenades, amours naissantes. Le port de l’étoile jaune, l’application des lois antijuives et la peur des rafles envahissent brutalement sa vie. Jusqu’à son arrestation en mars 1944. La lucidité et le talent littéraire d’Hélène Berr font de ce témoignage un document exceptionnel.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Parlons peu mais parlons bien.

 

Ce Journal est une oeuvre admirable. Comment ne pas être ému(e) aux larmes par le témoignage bouleversant de lucidité de cette jeune femme exceptionnelle à plus d’un titre ? La personnalité attachante d’Hélène Berr facilite le processus d’identification. Agrégative d’anglais et violoniste, férue de littérature et de poésie, “tiraillée entre un irrésistible désir de bonheur et la conscience de la tragédie en cours d’accomplissement” (dixit Télérama), Hélène arpente les rues de Paris, achète ses livres chez Galignani (l’une de mes librairies préférées), répète des oeuvres de musique de chambre, tombe amoureuse de Jean Morawiecki, et truffe son journal de citations de Keats et de Shakespeare.

 

Les premières pages de son journal sont optimistes et ensoleillées, et l’on en viendrait presque à oublier que l’histoire se déroule dans un Paris occupé et malmené par les premières lois antijuives. La première rupture intervient lorsque Hélène se voit contrainte de porter l’étoile jaune.

 

“A ce moment-là, j’étais décidée à ne pas le porter. Je considérais cela comme une infamie et une preuve d’obéissance aux lois allemandes.
Ce soir, tout a changé de nouveau : je trouve que c’est une lâcheté de ne pas le faire, vis-à-vis de ceux qui le feront.” (p.54)

 

Suivra l’arrestation de son père, polytechnicien et ingénieur des Mines, interné quelque temps à Drancy avant d’être libéré. Le Mal touche de plein fouet la famille Berr. Les mois passent, et les arrestations se succèdent dans l’entourage d’Hélène.

 

En 1943, un nouveau changement de ton s’opère : Hélène reprend l’écriture de son journal après un an d’interruption, et prend conscience de la nécessité de transcrire la réalité des choses, de rédiger un  témoignage qui sera peut-être lu par d’autres si elle venait à être arrêtée. Son récit s’empreint alors de réflexions philosophiques et métaphysiques. Il est frappant de constater à quel point ses propos sont sensés et lucides, alors que certains peinent encore à réaliser l’ampleur et la nature du drame vécu par les milliers de familles déportées.

 

“Les gendarmes ont obéi à des ordres leur enjoignant d’aller arrêter un bébé de 2 ans […] pour l’interner. Mais c’est la preuve la plus navrante de l’état d’abrutissement, de la perte totale de conscience morale où nous sommes tombés. […] Qu’on soit arrivé à concevoir le devoir comme une chose indépendante de la conscience, indépendante de la justice, de la bonté, de la charité, c’est là la preuve de l’inanité de notre prétendue civilisation.” (p.233)

 

“Le pianiste qui faisait de la musique d’ensemble avec nous a été arrêté lundi avec sa soeur, et sans doute déjà déporté. […] Un garçon si artiste, capable de procurer au monde des joies si pures par son art, cet art qui ne connaît pas les méchancetés humaines, et en face la brutalité, la matière qui ignore l’esprit.” (p.287)

 

Hélène Berr en vient même à envisager sa propre déportation.

 

“Je ne pense pas à ma mort, car je veux vivre. […] Même déportée, je penserai sans cesse à revenir. […] Si ces lignes sont lues, on verra bien que je m’attendais à mon sort.” (p.206)

 

Arrêtée en mars 1944, Hélène sera finalement déportée à Bergen-Belsen, où elle mourra sous les coups d’une gardienne cinq jours avant la libération du camp. Un destin tragique, et une grande perte pour la littérature française.

 

Le journal est enrichi de quelques témoignages de tiers (nièce, fiancé et codétenue). On prend alors toute la mesure du courage et de la grandeur d’âme de cette jeune femme, qui demeura exemplaire jusque dans ses derniers instants. J’ai trouvé cela très émouvant. J’ai également été troublée par les photos d’Hélène proposées dans la présente édition, qui m’ont rappelé ma grand-mère à la même époque.

 
Une expérience très forte, et une lecture indispensable !
 
 
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Pour aller plus loin :
 

Il existe de très nombreux ouvrages sur la déportation et les camps de concentration

 

 

En dehors de l’incoutournable Si c’est un Homme, de Primo Levi, j’ai particulièrement apprécié Etre sans Destin, du hongrois Imre Kertesz, qui lui est bien supérieur sur le plan littéraire. Dans ce récit largement autobiographique, l’auteur, Prix Nobel en 2002, adopte le point de vue d’un adolescent pour décrire la vie dans les camps, créant ainsi un certain malaise.

 

 

 

Elle s’appelait Sarah, de Tatiana de Rosnay, est beaucoup moins abouti, mais j’aurais tout de même tendance à le recommander. Il est vrai que, si les chapitres consacrés à Sarah et à la rafle du Vel d’Hiv sont plutôt réussis, je n’ai pas tellement aimé la partie “moderne” du roman, que j’ai trouvée trop caricaturale et moralisatrice. Kristin Scott Thomas est néanmoins parfaite dans le film éponyme.

 

J’ai en revanche une forte inimitié à l’égard de La Rafle, navet tire-larmes et lourdaud commis par une réalisatrice médiocre. Celle-ci n’hésite pas à traiter de nazis les détracteurs de son (mauvais) film. Dommage que tout le monde n’ait pas l’intelligence et la subtilité d’Hélène Berr…

 

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Première participation au challenge d’Aline avec cette autobiographie.
 

 

2 thoughts on “Journal – Hélène Berr

  1. Cette époque de l'histoire m'intéresse énormément. J'ai lu le primo levi et je note cette référence. Je l'ai vu plusieurs fois en librairie mais je ne l'ai pas encore acheté. En ce qui concerne T. Rosnay, je ne pense pas lire le livre car le film m'avait déplu ( je sais les deux sont différents j'imagine ! Disons que ce n'est pas une priorité pour l'instant.) Il y a aussi le journal d'A. Franck… Mais bon après, c'est sans fin…

    1. Je n'ai pas tellement aimé le film non plus. Le livre est meilleur, mais certains passages m'ont déplu. Bref, il n'y a pas de quoi s'extasier. Cela dit, je n'avais encore rien lu concernant la rafle du Vel d'Hiv, ce qui explique pourquoi j'ai trouvé le roman intéressant malgré tout. Je suis comme toi : cette époque de l'histoire m'interpelle, et j'ai toujours envie d'en savoir plus !

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