Futuropolis, 2012, 164 pages
L’histoire :
26 avril 1986. L’explosion de l’un des réacteurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl sème le chaos dans les environs de Pripiat, tandis qu’un vent (radioactif) de panique souffle sur l’Europe.
29 avril 2008. Le dessinateur Emmanuel Lepage se rend avec un petit groupe d’artistes engagés sur les lieux de la catastrophe, pour y réaliser un reportage dont les droits seront reversés à l’association “Les enfants de Tchernobyl”.
L’opinion de Miss Léo :
Attention, chef d’oeuvre ! Je ne suis sans doute pas la première à l’écrire, mais Un printemps à Tchernobyl est probablement l’une des plus belles BD que j’aie jamais lues. Emmanuel Lepage signe en effet un album dense et totalement abouti, entre reportage et réflexion métaphysique. Graphiquement superbe, ce dernier commence par un rappel des faits sur quelques pages, qui nous remet habilement en mémoire le déroulement de la catastrophe. Le contexte économique et politique… L’explosion… L’intervention des liquidateurs… L’évacuation… La lente agonie des victimes irradiées… Les malformations des foetus à naître… Le gentil nuage radioactif qui envahit l’Europe en contournant la France… Les événements sont connus, mais retranscrits avec beaucoup de justesse et d’émotion par un dessinateur dont le coup de crayon m’a tout de suite conquise.
Les dessins sont sublimes, et le livre est en soi un très bel objet, qui mérite de figurer dans la bibliothèque de tout collectionneur ! Croquis, fusain, aquarelle : tout y passe, et chaque planche possède d’indéniables qualités artistiques. Lepage excelle à restituer l’atmosphère de ces villes fantômes qui jouxtent le site de Tchernobyl, porteuses des vestiges de la catastrophe. Envoyé sur place au sein d’un collectif d’artistes pour témoigner de la situation, il rédige dans cette atmosphère surréaliste une sorte de carnet de voyage, émaillé de ces rencontres chaleureuses et parfois surprenantes qui font le sel et la richesse de toute expédition.
Il conduit également une intéressante réflexion sur son rôle en tant que peintre et dessinateur : comment représenter la zone interdite et ses environs ? La radioactivité est par définition invisible, et ne peut-être détectée que par le crépitement lugubre et impitoyable du compteur Geiger. Seules ses conséquences sont directement observables, et le premier réflexe est évidemment d’user de teintes sombres et sobres pour rendre compte de ce qui restera à jamais l’un des accidents les plus tragiques du XXème siècle. Les cent premières pages sont par conséquent nappées d’un saisissant camaïeu de gris, noirs et sépias, fort joli au demeurant, traduisant la détresse et le digne combat mené par des populations locales encore profondément affectées par le drame.
Le récit prend cependant une tournure inattendue, et le noir et blanc se voit progressivement remplacé par d’incongrues et éclatantes couleurs primesautières. L’espoir surgit là où on ne l’attendait plus, et la vie l’emporte sur la désolation, au point que les français eux-mêmes en oublient l’angoisse de la contamination. Il est en effet bien difficile de croire que de si beaux et si paisibles paysages puissent être porteurs d’une si lourde menace !
“Mes sens m’indiquent le contraire de ce que me dit le dosimètre.” (p.112)
Envoyé en Ukraine pour témoigner de l’horreur, Emmanuel Lepage en revient contre toute attente avec une troublante ode à la vie. La décrépitude n’en demeure pas moins omniprésente, mais le sentiment de fatalité se voit momentanément mis en sourdine, comme étouffé par les chants et les rires des enfants. Le visiteur étranger se retrouve alors immergé dans une sorte de cocon intemporel et imperméable au danger, dans lequel il passera quelques semaines irréelles avant de réintégrer ses pénates. Une expérience à n’en pas douter inoubliable…
“Éclatante beauté des lieux” ? L’expression n’est-elle pas inappropriée, inconvenante, voire indécente pour parler de Tchernobyl ?
Éclatante beauté ?
Mais… je suis mandaté par une association pour témoigner de la catastrophe…
Éclatante beauté ?
… Je croyais me frotter au danger, à la mort… et la vie s’impose à moi !
… Gildas, tu crois qu’on peut dire : “Tchernobyl, c’est beau” ?
Je sens confusément l’ambiguïté de ces mots collés l’un à l’autre.
Pourtant c’est ce que me souffle mon dessin !
La mort a ce visage ?
Ça ne colle pas.
On ne m’a pas envoyé ici pour revenir avec ça !
(page 126)
Superbe et passionnant. Coup de coeur !
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Une BD surprenante qui gagne a être plus connue 🙂
Décidément, les éditions Futuropolis sont souvent garantes de superbes BD. Je note ce titre !
Une belle BD ? Pourtant, avec les masques à gaz, ça ne fait pas envie.
Le thème a l'air intéressant mais les dessins ne sont pas très beaux.
@ yuko : en effet ! Je serais probablement passée à côté si je n'en avais pas lu le plus grand bien sur différents blogs.
@ lili : je ne suis pas sûre d'avoir lu d'autres titres de cet éditeur, mais je n'hésiterai pas à retenter l'expérience.
@ alex : les masques à gaz n'apparaissent que dans les premières pages, mais ce sont des images qui me fascinent.
@ lilasviolet : pas beaux ??? Mais les dessins sont superbes !!!
Je prends ton lien et je reviendrai mieux te lire. Je dois écrire mon billet.
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