Editions de Minuit, 2010, 175 pages
La première phrase :
Chacun préfère savoir quand il est né, tant que c’est possible.
L’histoire :
Gregor est un génie. Né un soir d’orage dans un village isolé des Balkans, ce brillant mais néanmoins fort antipathique individu émigre à vingt-huit ans pour les Etats-Unis, où il rencontre Thomas Edison, alors patron de la société General Electric, avant de signer un contrat avec la Western Union de George Westinghouse. Le jeune Gregor se forge une petite réputation en inventant le courant alternatif (excusez du peu). Devenu riche et célèbre, il fréquente les riches et les puissants, et multiplie les découvertes sensationnelles. Gregor se montre malheureusement bien insouciant lorsqu’il s’agit de gérer sa fortune ou de s’assurer la paternité de ses inventions, lesquelles lui seront toutes volées par des rivaux sans scrupules.
L’opinion de Miss Léo :
Amis lecteurs : je suis enthousiaste ! Le dernier roman de Jean Echenoz est en effet une sympathique et belle découverte, que je dois une nouvelle fois à Ys et Philisine Cave. Je n’avais encore rien lu de cet auteur, mais je suis absolument ravie d’avoir commencé par ce très joli texte, dernier volet d’une trilogie de biographies plus ou moins officielles. Après Maurice Ravel dans Ravel (pas possible ????) et Emil Zatopek dans Courir (logique), Echenoz dresse ici le portrait de Nikola Tesla (1856-1943), ingénieur et inventeur (entre autres) du premier alternateur, dont le patronyme restera à jamais associé à l’unité de mesure du champ magnétique (le tesla, NDLA). L’auteur a évidemment pris quelques libertés avec la réalité, Nikola se voyant rebaptisé Gregor pour les besoins de la fiction.
Nikola Tesla (Source : Wikipedia) |
” Ce n’est donc peut-être pas que Gregor invente des choses à proprement parler mais, dans la découverte et l’intuition de ces choses, il se borne à jeter l’idée qui les produira. Il a tort, allant beaucoup trop vite, il devrait s’arrêter cinq minutes sur l’une d’elles pour la mener à son terme et la développer, l’explorer d’autant plus qu’il s’agit chaque fois de phénomènes promis à un certain avenir, jugez-en. La radio. Les rayons X. L’air liquide. La télécommande. Les robots. Le microscope électronique. L’accélérateur de particules. L’Internet. J’en passe.” (p.80)
Des éclairs est avant tout une histoire de pigeons, au sens propre comme au figuré. Inventeur de génie, Gregor passe son temps à se faire avoir, par Edison d’abord, puis par Westinghouse, puis par JP Morgan, puis par… tous les autres ! Qu’importe, il se consolera en compagnie de ses amis les oiseaux, qui le fascinent depuis toujours. Colombophile passionné, Gregor ouvrira à la fin de sa vie un hôpital pour pigeons, et son destin se révélera finalement intimement lié à celui de ces charmantes bestioles (les “volatiles abjects”, comme les appelle judicieusement Echenoz, probablement inspiré par le fameux “rats with wings” de notre ami Woody Allen).
“A l’instar de madame de Beaumont, de Marguerite Gautier, Germinie Lacerteux, Claudia, Fantine, Francine alias Mimi et autres héroïnes classiques, hélas il faut admettre que la pigeonne présente tous les symptômes de la tuberculose – et ce mal, en ce temps-là, est encore sans appel.” (p.161)Vous l’aurez compris, Gregor est un personnage savoureux et complexe, antipathique et rêveur, qui suscite tour à tour pitié et admiration. Un anti-héros comme on aimerait en voir plus souvent !
“De telles venues au monde risquant de vous rendre un peu nerveux, son caractère se dessine vite : ombrageux, méprisant, susceptible, cassant, Gregor se révèle précocement antipathique. Il se fait tôt remarquer par des caprices, des colères, des mutismes, des fugues et des initiatives intempestives, destructions, bris d’objets, sabotages et autres dégâts.” (p.11)
Son passe-temps favori : simuler des orages et générer des éclairs (ça me rappelle l’exposé sur l’électrostatique du Palais de la Découverte, à voir impérativement si vous passez par Paris). Gregor vit dans des hôtels luxueux, croise et côtoie les grands noms de son époque (Mark Twain, Rudyard Kipling, John Pierpont Morgan…), mais ne songe qu’à expérimenter dans son laboratoire.
« Les dispositifs qu’il envisage ne donnent pas dans le dérisoire, ni dans le trivial, ni dans le détail. Gregor ne sera jamais du genre à perfectionner une serrure, améliorer un ouvre-boîte ou bricoler un allume-gaz. Quand les idées lui viennent, cela se manifeste tout de suite de haut, de très haut, dans l’immensité cosmique et l’intérêt universel. » (p.14)
Il expose ses talents lors de spectaculaires démonstrations publiques, dépose un nombre impressionnant de brevets, mais se fait systématiquement rouler dans la farine, sans même s’en apercevoir. En bon savant autiste et asexué, il n’est pas non plus dépourvu de petites manies : notre ami Gregor nourrit ainsi une passion obsessionnelle pour les nombres divisibles par trois, allant jusqu’à s’installer au 33 Third Avenue, et affiche un don exceptionnel pour le dénombrement. Il compte les fourchettées, les pas, les marches d’escalier, les pigeons, etc… J’en passe et des meilleurs !
” Ne comprenant pas plus que moi toutes ces choses scientifiques, le public ouvre déjà fort grand ses yeux, bouche bée devant un tel spectacle.” (p.62)
Jean Echenoz se distingue également par son style (superbe), qui transcende un récit bien construit et plein d’humour, ponctué de multiples références. Le lecteur appréciera par exemple les clins d’oeil cinématographiques, et l’évocation d’acteurs comme Lionel Barrymore, les soeurs Gish, Elisha Cook ou Richard Widmark, figures mémorables de l’âge d’or hollywoodien. J’ai également beaucoup ri en lisant les quelques pages consacrées à l’invention de la chaise électrique : Edison, souhaitant démontrer les dangers du courant alternatif inventé par son rival, se livra dans un premier temps à des électrocutions d’animaux en place publique, avant de tester le dispositif sur un être humain “volontaire”. Cette première tentative se solda par une mort lente et douloureuse, minutieusement décrite par l’auteur.
Il expose ses talents lors de spectaculaires démonstrations publiques, dépose un nombre impressionnant de brevets, mais se fait systématiquement rouler dans la farine, sans même s’en apercevoir. En bon savant autiste et asexué, il n’est pas non plus dépourvu de petites manies : notre ami Gregor nourrit ainsi une passion obsessionnelle pour les nombres divisibles par trois, allant jusqu’à s’installer au 33 Third Avenue, et affiche un don exceptionnel pour le dénombrement. Il compte les fourchettées, les pas, les marches d’escalier, les pigeons, etc… J’en passe et des meilleurs !
” Ne comprenant pas plus que moi toutes ces choses scientifiques, le public ouvre déjà fort grand ses yeux, bouche bée devant un tel spectacle.” (p.62)
Jean Echenoz se distingue également par son style (superbe), qui transcende un récit bien construit et plein d’humour, ponctué de multiples références. Le lecteur appréciera par exemple les clins d’oeil cinématographiques, et l’évocation d’acteurs comme Lionel Barrymore, les soeurs Gish, Elisha Cook ou Richard Widmark, figures mémorables de l’âge d’or hollywoodien. J’ai également beaucoup ri en lisant les quelques pages consacrées à l’invention de la chaise électrique : Edison, souhaitant démontrer les dangers du courant alternatif inventé par son rival, se livra dans un premier temps à des électrocutions d’animaux en place publique, avant de tester le dispositif sur un être humain “volontaire”. Cette première tentative se solda par une mort lente et douloureuse, minutieusement décrite par l’auteur.
“Après ce premier condamné calciné, les fâcheux effets du courant alternatif sur l’homme sont désormais indiscutables, Thomas Edison n’est pas mécontent. […] Comprenons son bonheur et n’oublions jamais que les plus belles inventions ont souvent de bien belles histoires. C’est par exemple ainsi que vient de naître la chaise électrique : d’un contre-argument publicitaire.” (p.50)L’humour (macabre) se teinte ici d’ironie, et le roman atteint une profondeur insoupçonnée. Car Des éclairs est en réalité un conte, où le tragique le dispute à la légèreté et à la mélancolie. C’est court et percutant, jouissif d’un bout à l’autre. Et en plus, l’histoire est passionnante ! Voilà qui me réconcilie avec la littérature française contemporaine.
Un roman tout à fait réjouissant. Coup de coeur !
—————————————–
Nouvelle participation estivale aux 12 d’Ys, catégorie “Auteurs francophones”. Plus que quatre !
Tout à fait réjouissant, oui, je suis ravie qu'il t'ait plu.
On m'avait dit du bien de cet auteur mais je n'ai encore rien lu de cet auteur? Je sais par lequel je vais commencer. colombophile ? Tu m'as complètement convaincue encore une fois!
Super, j'espère que tu aimeras ! J'ai été totalement séduite.
J'ai beaucoup aimé ce livre que j'ai découvert dans une version lue par l'auteur.
Je n'ai encore jamais écouté de livre audio. Ca devait être plutôt sympa !
Je n'ai jamais lu cet auteur mais tu donnes vraiment envie. Titre noté !
J'ai vraiment été très agréablement surprise.
Je suis contente que tu aies bien aimé. Je me permets d'ajouter le lien vers ton article sur ma note de lecture. Grosses bises
Merci pour l'ajout (et pour la découverte) !
J'aime, j'admire, je vénère Jean Echenoz !!! Je suis contente que tu aies aimé. Dans sa trilogie biographique, j'ai absolument adoré "Ravel". La bonne nouvelle de la rentrée, c'est la sortie d'un nouveau Echenoz en octobre, vivement l'hiver !!!
Bonjour Miss Léo, très bon roman (j'adore l'écriture d'Echenoz) et j'ai découvert un sacré personnage. Je te recommande aussi Courir, Ravel et 14. Bonne journée.