MaddAddam – Margaret Atwood

Titre original : Maddaddam
Traduction (anglais) : Patrick Dusoulier
Pavillons, Robert Laffont, 2013, 2014, 432 pages

 

La première phrase :
Au commencement, vous viviez dans l’Oeuf.

 

L’histoire :
Quelque part aux Etats-Unis, dans un futur pas si lointain… La majeure partie de l’humanité a succombé à la maladie, emportée par une redoutable pandémie meurtrière. Les rares survivants s’organisent. Les Maddaddam s’allient aux anciens Jardiniers de Dieu pour lutter contre la menace représentée par les Painballers, un groupe de psychopathes d’une extrême violence, qui arpentent les ruines de ce monde à l’abandon. Toby et Zeb sont les leaders naturels de ce petit groupe déboussolé, qui s’efforce d’assurer tant bien que mal la survie de l’espèce humaine. Ils sont bientôt rejoints par les Crakers, nouvelle race d’hommes génétiquement modifiés au tempérament notoirement pacifique, créée dans le secret de son laboratoire par le génial Crake.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Sauf erreur de ma part (et éventuels achats ultérieurs), ceci est l’antépénultième titre de la Rentrée Littéraire que vous verrez chroniqué sur mon blog. J’ai sauté, que dis-je, bondi dessus lorsqu’il m’a été proposé en SP par les éditions Robert Laffont, tout simplement parce que j’avais depuis longtemps envie de relire du Margaret Atwood, dont le Captive figure toujours en bonne position dans mon panthéon personnel.Difficile de résumer ce roman, dont le synopsis sorti de son contexte semble sans queue ni tête. Maddaddam est le troisième et dernier tome d’une célèbre trilogie d’anticipation, débutée avec Le dernier homme (Oryx and Crake) en 2003, et poursuivie avec Le temps du déluge (The Year of the Flood) en 2009. Les trois tomes adoptent des points de vue différents, mais s’articulent autour des mêmes personnages et événements. Il est possible de les lire indépendamment, mais mieux vaut tout de même jeter un rapide coup d’oeil au résumé des épisodes précédents avant de débuter ce troisième opus, sous peine d’être complètement largué !
 
Il m’a fallu quelques dizaines de pages pour m’adapter à l’univers étrange créé par la romancière canadienne, dont l’imagination semble sans limite. J’ai toujours eu du mal avec les noms fantaisistes et les mots inventés (c’est l’une des choses qui me pose le plus de problème en SF et Fantasy), aussi ai-je dû lutter pour ne pas sombrer corps et biens au milieu des Lamantin, Pic à Bec Ivoire, ToisondOr, Snowman-le-Jimmy, porcons et autres Oeufs énigmatiques qui peuplent le roman. Je reste d’ailleurs persuadée que cela m’aurait moins gênée en anglais, la traduction sonnant la plupart du temps moins bien que le texte original (je pense par exemple au merveilleux vocabulaire inventé par J.K. Rowling pour Harry Potter, dont le charme s’étiole quelque peu en français). Les premiers chapitres nécessitent par conséquent une petite gymnastique intellectuelle, heureusement récompensée une fois passé le cap des cinquante premières pages.

 

Univers étrange, mais ô combien passionnant ! Margaret Atwood propulse son lecteur dans une société dystopique crédible, dont les dérives effrayantes (et néanmoins réalistes) nous sont peu à peu révélées. Les manipulations génétiques ont conduit à la création de nouvelles espèces vivantes, et l’on s’efforce de soigner tous les maux de l’être humain, en élevant par exemple des porcons géants (pigoons), hybrides de porcs et d’hommes créés spécifiquement pour servir de donneurs d’organes.  Il est également possible de manger de la viande cultivée en laboratoire, dont on ne sait pas bien quelles peuvent être les conséquences à long terme, mais qui présentent néanmoins l’avantage d’épargner les animaux. Les progrès scientifiques ne doivent cependant pas masquer l’état de délabrement avancé dans lequel se trouve notre planète, surpeuplée et massacrée par l’activité humaine. De nombreuses espèces animales ont disparu, et le réchauffement climatique a fait son oeuvre, ce qui se traduit entre autres par l’abandon progressif de gigantesques métropoles inondées par les eaux. Il ne fait décidément pas bon vivre dans ce nouveau monde, dont le destin réside entre les mains de puissantes corporations obsédées par le profit, et où les citoyens lambda sont relégués dans les plèbezonesC’est dans cette société au bord du chaos et constamment menacée par la cyber-criminalité en plein essor que naît l’organisation des Jardiniers de Dieu, à laquelle appartient notamment Toby : ceux-ci prônent le retour à un mode de vie rural, et se satisfont d’une alimentation végétarienne, incarnant ainsi la dimension écologique du roman, par opposition au culte du pétrole tout-puissant. Ces Adam et Eve modernes représentent finalement la seule alternative crédible, dans un monde voué à la destruction. La pandémie meurtrière sera dès lors envisagée comme un mal nécessaire et salutaire en forme de reboot pour une humanité condamnée, victime de ses erreurs passées. Le contexte post-apocalyptique est particulièrement bien décrit par l’auteur, et les rares survivants mènent une existence plus que rudimentaire dans ce nouvel environnement, tandis que la nature reprend progressivement ses droits. Il leur faut s’adapter à de nouvelles conditions de vie, et se préparer à mener de dangereux combats pour la survie de l’espèce Homo Sapiens. Ils cohabitent notamment avec les Crakers, premiers représentants d’une nouvelle race d’hommes génétiquement modifiés, conçus pour ne pas reproduire les erreurs de leurs violents prédécesseurs. Doux et pacifistes, ils vivent dans l’illusion d’un monde idéal, et vénèrent leur créateur, Crake, personnage ambigu auquel est d’ailleurs consacré le premier tome de la trilogie.

 

L’intrigue en elle-même n’a pas grande importance, et l’on retiendra surtout de MaddAddam (palindrome !) son sous-texte idéologique, ainsi que son ambiance terriblement originale, qui doit beaucoup à la plume délicieuse de Margaret Atwood. Celle-ci fait preuve d’un humour noir particulièrement adapté au sujet, et se montre également très au fait des progrès scientifiques et médicaux, notamment en ce qui concerne les OGM. La trilogie toute entière repose sur des hypothèses crédibles, ce qui ne la rend que plus glaçante. Tout aussi intéressant est le travail effectué sur le langage et la construction. Le roman se décompose en une succession de courts chapitres percutants aux titres à rallonge, dont j’ai particulièrement apprécié le charme désuet. Le récit alterne présent et passé, les souvenirs de Zeb venant rompre la monotonie de la vie quotidienne des survivants. Ceux-ci sont présentés sous forme d’histoires racontées par Toby aux Crakers, lesquels constituent une sorte de choeur naïf, dont les commentaires et l’enthousiasme semblent relever de la plus élémentaire curiosité enfantine. La romancière adopte parfois un style très oral, dont la vivacité intrigue et séduit, tandis que les chapitres dans lesquels Zeb raconte lui-même à sa compagne son histoire (ainsi que celle de son frère Adam) sont rédigés dans un style beaucoup plus littéraire. Tout le talent de Margaret Atwood est d’arriver à concilier ces différents modes de narration au sein d’un même récit, dont les pièces éparses s’assemblent progressivement pour dévoiler les contours d’un monde en tout point fascinant.

 

Pour résumer : MaddAddam conclut en beauté une trilogie dense et riche sur l’être humain, terrifiante par bien des aspects, mais néanmoins porteuse d’un message d’espoir à méditer. Je suis tombée sous le charme de dernier tome, et me ferai un plaisir de lire les deux premiers romans. Je suis également très curieuse de savoir ce que donnera la série télévisée inspirée de l’oeuvre, actuellement en cours d’adaptation par HBO et Darren Aronofsky.

 

Un excellent roman d’anticipation, aux thèmes très actuels. A lire !

 

Merci à Cécile Ruelle et Maggie Doyle, des éditions Robert Laffont.

 

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Ce premier pavé de septembre a été chroniqué dans le cadre du Mois Américain.

 

 

9 thoughts on “MaddAddam – Margaret Atwood

  1. J'ai lu le deuxième (sans savoir que c'était un deuxième et sans avoir lu le premier) parce que c'était Atwood!
    Et 'plus pire' : lu en VO! Donc les noms, tu imagines! Mais je m'en suis bien tirée.

    1. J'ai les deux premiers en VO et en ebook. Je pense que ce sera plus facile, étant donné que je connais l'histoire et que j'ai déjà un bon aperçu de l'univers !

  2. J'ai mis beaucoup plus de temps que toi à rentrer dans l'histoire. Mais je suis d'accord avec toi quant à la crédibilité du monde qu'elle crée, tout a une résonance actuelle. Et j'ai beaucoup aimé l'histoire des origines des Crackers réinventée par Toby qui finit par être transcrite par écrit. La naissance de la Bible revue par Margaret Atwood !

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