La course au mouton sauvage – Haruki Murakami

Titre original : Hitsuji o meguru bôken
Traduction (1990) : Patrick de Vos
Points, Editions du Seuil, 1982, 373 pages

 
Les premières phrases :

Un ami qui avait appris sa mort, par hasard, en lisant le journal, m’annonça la nouvelle au téléphone. D’une voix lente il me lut dans l’appareil l’unique paragraphe de l’article paru dans l’édition du matin. C’était d’une platitude ! On eût dit un exercice de quelque journaliste débutant frais émoulu de l’université.

 

L’histoire :
Un jeune cadre publicitaire de Tokyo en instance de divorce… Une jeune femme extralucide, aux oreilles bouleversantes de perfection et de sensualité… Une mystérieuse organisation d’extrême droite… Un vieil homme à l’article de la mort depuis plus de cinquante ans… La lettre d’un ami disparu… Un Docteur ès Moutons confiné dans une petite chambre d’hôtel de Sapporo… La course au mouton sauvage est lancée !

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Vous noterez l’aspect sibyllin et énigmatique du résumé ci-dessus. Et pour cause : Haruki Murakami nous a concocté pour son troisième roman une histoire indescriptible et abracadabrantesque, dont il serait vain de vouloir raconter les péripéties. Mieux vaut se laisser porter par la superbe plume de l’auteur japonais, qui nous captive encore une fois par son style si particulier, et nous entraîne vers des horizons totalement inattendus. J’aime énormément cette écriture originale et envoûtante, qui ne ressemble à aucune autre, même si je conçois que certains lecteurs puissent être déroutés (voire rebutés) par l’étrange spécificité des univers créés par ce formidable conteur qu’est Murakami. Je suis pour ma part totalement séduite.

 

Moins poétique que Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil (qui avait été pour moi un véritable coup de coeur), La course au mouton sauvage n’en demeure pas moins brillant par bien des aspects. Tour à tour chronique du quotidien ou fable métaphysique, mêlant une once de fantastique et quelques situations délicieusement burlesques à un petit fond d’analyse socio-économique, le roman provoque une légère sensation de malaise, que vient renforcer l’errance du narrateur, confronté avec sa petite amie à une aventure qui le dépasse. La quête du mouton sauvage s’apparente à une plongée dans l’inconnu, et les deux personnages principaux, privés de tout repère et contraints de renoncer à leurs certitudes, se retrouvent bien souvent dans une position d’attente interminable, ne sachant pas où débusquer l’objet de leurs recherches. Ce rythme lancinant aurait pu se traduire par quelques longueurs. Il n’en est rien, et le roman demeure fascinant d’un bout à l’autre, tandis que la banalité du quotidien se pare progressivement d’atours fantastico-oniriques. Certaines images sont saisissantes, et plutôt bien rendues par la traduction, par ailleurs excellente.“Elle était irréellement belle. D’une beauté que je n’avais jamais vue ni imaginée jusqu’alors.Tout s’y dilatait comme l’univers, et tout s’y condensait comme dans un profond glacier. Tout y était exagéré jusqu’à l’arrogance, tout n’y était en même temps que dépouillement. Cela transcendait tous les concepts que pouvait formuler mon entendement.” (page 50)

 

Le récit se décompose en courts chapitres aux titres énigmatiques (Le pénis de la baleine, De l’univers du lombric…), qui donnent évidemment envie d’en savoir plus. Les personnages n’ont pas de nom, mais sont pourtant très bien caractérisés, et se distinguent tous par un trait original (j’ai beaucoup aimé le personnage de la petite amie, qui utilise ses oreilles pour séduire les hommes). L’animalité est ici un thème récurrent, et c’est tout un bestiaire que Murakami nous propose de découvrir (le fameux mouton sauvage, bien entendu, mais aussi un vieux chat malade, un rat, des poissons ou encore une reproduction de pénis de baleine). On notera également l’importance du ciel, décrit à de multiples reprises et à l’aide de nombreuses métaphores (“le ciel était d’une pureté à vous donner mal au coeur”, “c‘était un ciel sans le moindre nuage, comme un oeil gigantesque dont on aurait arraché les paupières”).La lecture de cet ouvrage m’a parfois celle du Pingouin d’Andreï Kourkov. On ne peut pas vraiment les comparer, mais tous deux possèdent ce petit côté absurde et décalé que j’avais tant apprécié dans le roman de l’auteur ukrainien. Dans les deux cas, le héros (banal) est approché par de mystérieux individus aux motivations plutôt louches, et se retrouve embarqué bien malgré lui dans une histoire aux multiples rebondissements.
 
Bref, je suis plus que jamais convaincue du talent de Murakami, et c’est avec grand plaisir que je continuerai à découvrir son oeuvre foisonnante, qui me réserve à n’en pas douter encore bien des surprises.
 
Un superbe OLNI (Objet Littéraire Non Identifié), dont j’ai adoré l’intrigue tortueuse et la plume si particulière. Murakami rules !

 

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Livre lu dans le cadre du challenge Ecrivains Japonais d’Adalana (le mois de février est consacré à Murakami). J’en profite pour barrer un titre supplémentaire dans la liste que j’ai concoctée pour mon Tour du Monde 2013, comptant pour le challenge Myself de Romanza. Et un de plus pour le challenge Dragon 2012 de Catherine !

 

 

 

21 thoughts on “La course au mouton sauvage – Haruki Murakami

  1. je n'ai pas lu celui-ci mais je suis d'accord pour dire que c'est un auteur de très grand talent littéraire, peut-être Nobel un jour, bref un géant de la littérature mondiale

  2. Quel superbe article ! vraiment ! Je suis pressée de découvrir cet auteur, je n'ai pas encore commencé celui que j'ai choisi mais il me tarde… Je note aussi Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil 😉
    Bonne soirée et bon week-end 🙂

    1. Merci pour le compliment.
      Je suis très curieuse de lire ton avis. Murakami est un auteur sur lequel les avis sont très divisés. J'espère que tu l'aimeras autant que moi !

  3. J'ai dans ma PAL Le pingouin et Au sud de la frontière…, achetés l'un et l'autre par hasard et après avoir lu ton billet je suis vraiment curieuse de les lire.

    1. J'espère que tu aimeras ! Aucun des deux ne fait l'unanimité, mais j'ai pour ma part bien accroché aux deux univers. Je lirai tes billets avec intérêt.

    1. J'ai toujours eu le sens de la formule ! 😉
      Encore merci pour ton superbe challenge, qui m'incite à sortir plein de beaux livres de ma PAL.

  4. Merci, Miss Léo, pour cette belle note de lecture dans le Dragon 2012 (aujourd'hui est le dernier jour !). Murakami a commencé à être connu en France avec la parution de ce roman (… je vois que c'était en 1990). Je suis fan (je n'ai pas encore tout lu) et je vais aussi parler de cet auteur pour le challenge d'Adalana. Merci pour tes articles dans le Dragon 2012. Bon weekend.

    1. J'avais oublié ton billet, que j'avais pourtant lu au moment de sa parution. Je viens à l'instant de le relire. Je comprends parfaitement que l'on puisse rester hermétique à l'oeuvre de Murakami, qui est tout de même assez particulière…
      As-tu remarqué que nous avions relevé les même citations ?? J'ai pourtant choisi les miennes au hasard, en feuilletant l'ouvrage pour y trouver une citation sur le ciel, et une autre sur les oreilles de la jeune femme.

  5. Comme tu le sais, je l'adore moi aussi. Je n'ai pas lu celui-ci mais je compte bien découvrir une grande partie de bibliographie de cet auteur !

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