Rose Morte (T.1 : La floraison) – Céline Landressie

Illustration : Magali Villeneuve
Les Editions de l’Homme sans Nom, 2012, 483 pages

 
La première phrase :

Le soleil matinal étirait de timides rayons vers les marins grelottants qui s’affairaient sur les quais.

 

L’histoire :
(tiens, et si je recopiais la quatrième de couverture ?)
France, fin du XVIe siècle.
C’est dans ce pays en proie à de terribles dissensions religieuses que se réfugient les Greer, fuyant l’Angleterre élisabéthaine. Eileen, seule enfant du comte, est une jeune femme vive et de caractère.
Mais son âge avance, et son père la met au pied du mur : elle doit se marier.
Et c’est en faisant tout pour éviter cette terrible obligation à l’aide de sa fidèle amie Charlotte que Rose (Eileen) fera connaissance d’Artus de Janlys.
Le séduisant et mystérieux comte l’entraînera dans un univers dont elle ne soupçonnait pas l’existence, où les crimes terribles qui secouent Paris trouveront une explication apparemment inconcevable, mais bel et bien réelle…

 
 
L’opinion de Miss Léo :
 

Comme tous les week-ends, je constate avec amertume que mes billets en retard ne se sont malheureusement pas écrits tous seuls pendant la semaine. Damned ! Petits lutins, elfes de maison dévoués, Muses de la blogosphère, où êtes-vous donc ?? Si on ne peut même plus compter sur le petit personnel ! Et pendant ce temps là, mon pauvre bureau se retrouve envahi par une foultitude d’ouvrages, dont j’ai  pourtant ABSOLUMENT envie de vous parler sur le blog. Il faudrait que je m’efforce d’écrire des billets plus courts qu’à l’accoutumée, ce qui n’est pas une mince affaire ; pourquoi, mais pourquoi n’ai-je pas l’esprit synthétique, le style lapidaire, la plume efficace ??

 

Voici maintenant presque dix jours que j’ai terminé le premier tome de Rose Morte, dont j’ai eu l’immense plaisir de remporter un exemplaire dédicacé à l’occasion du concours organisé cet été par l’adorable Dame Meli, laquelle fêtait alors le septième anniversaire de son blog vétéran. (Mode “Cirage de pompes” ON – Je vous invite à découvrir sans plus attendre l’univers de cette blogueuse ô combien sympathique, qui investit beaucoup de temps et d’énergie dans son joli Bazar de la Littérature, aux chroniques toujours pertinentes et bien rédigées – Mode “Cirage de pompes” OFF) Soyons honnêtes : je n’aurais probablement jamais pris la peine d’ouvrir ce roman si je n’avais pas eu l’occasion de le recevoir gratuitement. Je me répète, mais la littérature fantastique, française qui plus est, n’est pas un genre qui m’attire énormément, surtout quand l’illustration de couverture semble d’emblée classer le livre dans la catégorie “sombre romance historique pour adolescentes” (Magali Villeneuve est certes très talentueuse, mais l’imagerie associée aux univers de fantasy et de bit-lit ne m’a de toute façon jamais convaincue, et serait même plutôt de nature à me faire fuir ***Pardon aux fans !***).

 

Les critiques dithyrambiques n’en ont pas moins commencé à fleurir sur la blogosphère. Un tel engouement collectif n’est sûrement pas un gage de qualité de mon point de vue, mais les arguments avancés par certaines blogueuses ont néanmoins réussi à éveiller mon intérêt et ma curiosité. Bref, j’ai fini par me dire que je ne risquais rien à tenter le coup, ce roman me paraissant par ailleurs plutôt raccord avec mon envie de lectures “faciles” et divertissantes du moment. Et je ne le regrette pas ! Ce premier tome est une jolie réussite, et j’y ai trouvé quelques motifs de satisfaction, moi qui étais pourtant on ne peut plus sceptique au départ.
 

Première bonne surprise : le style de l’auteur
 
J’avais très peur de lire quelque chose de creux et plat, à l’image de ce qui se pratique actuellement en littérature young adult (triste sous-genre à vocation commerciale, dont les auteurs analphabètes ont trop souvent tendance à prendre leurs lecteurs pour des imbéciles). Je redoutais un ramassis de tournures de phrase simplistes, dont la pauvreté linguistique et le vocabulaire inexistant auraient eu raison de ma patience et de mon indulgence… Rien de tout cela ici ! Céline Landressie écrit bien, et c’est un vrai bonheur de la lire. La langue est soutenue, et le roman, rédigé au passé simple, regorge de ces tournures désuettes et charmantes qui faisaient le sel des romans d’antan. J’ai apprécié les nombreux passages descriptifs, qui permettent de visualiser dans les moindres détails les lieux traversés, ainsi que les robes et les coiffures de ces dames. Cette plume travaillée et raffinée se teinte parfois de violence, et certaines scènes sont même assez crues, l’auteur n’hésitant pas à faire gicler le sang lorsque cela s’avère nécessaire (sans excès cependant). Bon, soyons honnêtes, il n’y pas forcément de quoi crier au génie non plus (on est en droit d’attendre un style correct de la part d’un auteur publié), mais ce bel effort n’en mérite pas moins d’être salué, quand beaucoup d’écrivains se content aujourd’hui du minimum syndical.

 
“A la lumière du jour, l’on distinguait nettement les multiples reflets rougeoyants qui parsemaient sa chevelure, d’un brun chaud. Ses longs yeux, pétillants de vie, luisaient sous le rideau de ses cils tels deux morceaux d’ambre poli. Son visage à l’ovale délicat, bien qu’un peu pointu au menton, était pourvu de traits gracieux et réguliers. Sous un front bien proportionné, un petit nez aux ailes étroites surplombait des lèvres pleines, sans exagération.” (page 19)
 
La floraison nous conte l’histoire d’Eileen (Rose pour les intimes), fille unique de Lord Greer, aristocrate anglais en exil. Ce dernier n’a qu’une idée en tête : marier sa fille unique à un riche gentilhomme, afin d’assurer la sécurité financière de sa famille criblée de dettes. Il faut dire que Rose n’est plus toute jeune, du haut de ses vingt-huit ans révolus. Cette rouquine flamboyante au caractère très affirmé n’en fait cependant qu’à sa tête, et se montre totalement réticente à l’idée d’un mariage avec le premier imbécile venu. Vive et entêtée, elle peut compter sur le soutien indéfectible de son amie et confidente Charlotte, laquelle se montre toutefois bien plus pragmatique et raisonnable que sa comparse lorsqu’il s’agit d’envisager sa propre union. C’est au cours d’un bal, après avoir rejeté un énième prétendant, que Rose croise le regard impénétrable du ténébreux comte Artus de Janlys, personnage influent et cependant nimbé d’une envoûtante aura de mystère et de séduction.
 
Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Si, bien sûr, Orgueil et Préjugés ! La référence à Jane Austen est ouvertement assumée par l’auteur, qui fait de Rose sa Lizzie, et dont la Charlotte rappelle par bien des côtés celle de la romancière britannique (en moins intelligente à mon avis). La comparaison ne va cependant pas plus loin, Céline Landressie se démarquant rapidement de sa glorieuse aînée pour nous entraîner sur une toute autre voie narrative (j’y reviendrai plus loin).
 
“Quoi qu’elle put en penser, Rose devait toutefois admettre que ce gentilhomme à la si parfaite beauté l’intriguait au plus haut point. Tout en lui différait d’avec le commun. A commencer par son inusuelle chevelure. Celle-ci paraissait aussi lustrée qu’une étoffe de soie, et était si noire qu’elle semblait absorber la lumière environnante. Traversée d’une infime ondulation, elle courait le long du visage du comte jusqu’à la pointe de son menton, avec laquelle elle flirtait agréablement… Puis il y avait aussi cette peau, si nette. Nulle aspérité, rougeur, ou comédon ne venait en gâcher l’éclat. L’on ne voyait rien que le grain délicat d’un épiderme satiné à loisir.” (page 88)
 
Deuxième bonne surprise : une intrigue rythmée, sous le règne d’H-IV
 
Le contexte historique est inhabituel, le lecteur découvrant avec intérêt une fin de XVIème siècle crédible et intelligemment exploitée, sur fond de guerres de religion et d’Edit de Nantes. Il s’agit là de l’une des grandes qualités du roman : je connais très mal cette période, mais il paraît évident que l’auteur s’est livrée à de sérieuses recherches, tant sa prose foisonne de détails réalistes, inscrivant les aventures de Rose dans un contexte clairement établi. Cela reste dans l’ensemble assez superficiel, mais il n’en demeure pas moins appréciable que la romancière ait à ce point soigné l’arrière-plan historique de son intrigue. La première partie évoque les romans de cape et d’épée, avec leur lot de complots et de manigances ourdis par d’impitoyables aristocrates, dont les agissements débouchent inévitablement sur de sordides meurtres sanglants. Lord Greer semble quant à lui dissimuler quelque inavouable secret, et le mystère s’épaissit peu à peu autour de la famille d’Eileen, sur le destin de laquelle plane une sourde menace. L’un des enjeux de l’intrigue de Rose Morte consistera donc à dénouer les fils de cet écheveau de mensonges et de trahison.
 
Tout ne tourne cependant pas autour de la résolution de l’énigme, bien au contraire ! Une rupture survient en effet à la moitié du roman, lequel prend alors une orientation complètement différente.
 

*** Spoiler alert ***

 

Je ne vois pas comment je pourrais parler du livre sans révéler un élément clé de l’intrigue, qui n’apparaît d’ailleurs pas sur la quatrième de couverture. Car Rose Morte, sous ses dehors de récit d’aventures romantico-historique, appartient en réalité à un tout autre genre littéraire, à savoir celui de la littérature fantastique. L’auteur a souhaité garder le secret quant à la nature réelle de ses personnages, et la “révélation” ne se produit qu’après environ 250 pages (avec tout de même quelques “indices” disséminés ça et là, qui ne manqueront pas d’intriguer le lecteur averti). Pas d’effet de surprise en ce qui me concerne, puisque je savais déjà à quoi m’en tenir, ayant lu un certain nombre de choses sur Internet au préalable. Séduite par le comte de Janlys, Rose se retrouve en effet plongée dans un nid de vampires, bien que ceux-ci ne soient jamais nommés de cette façon (ce qui est bien normal, le terme n’ayant été créé qu’au XVIIIème siècle, si je ne dis pas de bêtises). Céline Landressie donne sa propre version du mythe, dans un retour aux sources qui se révèle fort heureusement bien plus proche d’un Le Fanu que d’une Stephanie Meyer. Ses vampires me semblent également posséder quelques traits communs avec ceux d’Anne Rice, dont ils partagent notamment le raffinement et les inquiétudes métaphysiques. Il me faut toutefois préciser que je trouve le roman de Céline Landressie bien plus réussi, et surtout infiniment moins prétentieux, que ceux de la romancière américaine (j’ai toujours trouvé Interview with a Vampire fade, long et mal écrit, et je ne comprends absolument pas l’engouement hystérique qui entoure l’ensemble de son oeuvre).La jeune auteur française réinvente avec beaucoup de fraîcheur les stéréotypes et les figures imposées de la littérature vampirique. Elle parvient à imposer sa patte et son style, et évite bon nombre de clichés, même si l’intrigue emprunte parfois des voies relativement convenues. Même la romance, dont je craignais qu’elle ne soit mièvre et par trop prévisible, évolue de façon surprenante et atypique, ce qui évite au récit de s’essouffler trop rapidement. La floraison revêt également quelques atours du roman d’apprentissage, Rose se voyant obligée de modifier son comportement et son regard sur le monde pour s’intégrer à la société de ses nouveaux “amis” vampires : la rencontre avec Artus marque le début d’une nouvelle vie, plus rude, plus incertaine, mais aussi terriblement épanouissante pour qui en accepte pleinement les règles et les contraintes. Céline Landressie soigne l’évolution psychologique de son héroïne, et introduit également quelques personnages secondaires attachants et intéressants, en particulier Adelphe, le frère d’Artus, dont j’espère qu’il sera davantage développé dans le deuxième tome.

 

Quelques bémols cependant…

 

Si j’ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture, j’ai toutefois été gênée par certains aspects, qui m’incitent à modérer mon propos.J’ai aimé le style, c’est vrai, mais j’ai également regretté quelques choix de vocabulaire pour le moins curieux, comme l’emploi régulier (à au moins trois reprises !) du verbe “tiquer”, d’un registre bien trop familier. Ce terme hideux ne colle pas du tout avec le reste, et je l’ai perçu comme une véritable dissonance, qui m’a laissé une impression assez désagréable (bon, d’accord, je chipote, mais cela ne m’a vraiment pas plus du tout). J’ai également été horrifiée par le nombre de coquilles grotesques qui traînent un peu partout dans le roman. Cela est tout bonnement inadmissible de la part de l’éditeur !! Je ne prends jamais de notes quand je lis, mais cela m’a tellement énervée que j’ai fini par relever les erreurs.
 
Exemples :
“Julien avait laissé échappé la coupe qu’il venait de desservir.” (page 125)
“Néanmoins, après toutes les grâces dont elle avait déjà bénéficiée, elle fut soulagée.” (page 242)
“Leurs chevaux avaient été éventré.” (page 248)
 
De toute évidence, les relecteurs ont un petit souci avec les accords…
 
Toujours concernant le style, il m’a semblé que certains dialogues sonnaient faux, notamment les échanges entre Charlotte et Rose, que je n’ai pas toujours trouvés très crédibles (il s’agit là d’un ressenti entièrement personnel, et je ne saurais donc en blâmer l’auteur). Cela est peut-être dû aussi au fait que le personnage de Rose ne m’a pas semblé particulièrement attachant dans la première partie (elle s’humanise paradoxalement lorsque son côté bestial se révèle au contact d’Artus et de ses pairs). La jeune femme est censée avoir 28 ans, mais se comporte comme une adolescente immature et égoïste. Je n’ai pas du tout apprécié la façon dont elle parle à ses domestiques ! Que dire de sa mère, dont les réactions et le comportement m’ont semblé très caricaturaux, pour ne pas dire absurdes ?
 
J’ai apprécié que Céline Landressie prenne son temps pour installer le décor et présenter les personnages dans la première partie, qui ne m’a pas paru trop longue, bien au contraire. Peut-être les premiers chapitres auraient-ils pu être un peu plus courts, de façon à rendre le découpage plus dynamique ? J’ai en revanche ressenti davantage de longueurs dans la deuxième partie, notamment lors des scènes d’action, qui ne m’ont guère passionnée. Il faut dire que l’intrigue perd grandement de son intérêt lorsque le récit se focalise sur les luttes entre familles de vampires et autres créatures de la nuit, au détriment de l’aspect purement historique. C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches que j’aurais à formuler envers ce premier tome : le contexte politique, si soigneusement exposé et travaillé dans la première partie, disparaît subitement dans la deuxième moitié du roman, et l’on se dit que les immortels de Céline Landressie pourraient sans problème évoluer à une autre époque sans que cela ne change rien au déroulement l’intrigue. Je suis restée sur ma faim de ce point de vue, et je nourris par conséquent quelques craintes vis à vis des tomes suivants, qui seront de toute évidence exclusivement axés sur les relations entre vampires.
 
Ces quelques réserves mises à part, je reste convaincue de la qualité de ce roman, et je lirai avec plaisir le deuxième tome, impatiente que je suis d’en apprendre davantage quant à l’évolution de Rose et de ses liens avec Artus et Adelphe. Les histoires de vampires ne sont pas forcément ma tasse de thé (en dehors des indispensables Carmilla et Dracula), mais je suis jusqu’à présent plutôt séduite par le traitement proposé par l’auteur, envers laquelle j’éprouve d’ores et déjà énormément de sympathie. Celle-ci a le mérite de proposer un univers cohérent, et s’exprime dans un français plus que travaillé : rien que pour ça, j’ai envie de la suivre !
 
Une romance fantastico-historique de qualité, que je recommande aux amateurs du genre (mais pas seulement).
 
Merci Meli pour la découverte.

 

Le deuxième tome

 

3 thoughts on “Rose Morte (T.1 : La floraison) – Céline Landressie

  1. Quel billet ! Je l'ai lu mais toujours pas chroniqué. J'ai aimé également. Je vois ce que tu veux dire dans la relation de Rose et son amie. Même ressenti à ce niveau.

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