Illustration : Magali Villeneuve
Les Editions de l’Homme sans Nom, 2012, 483 pages
La première phrase :
(tiens, et si je recopiais la quatrième de couverture ?)
L’opinion de Miss Léo :
J’avais très peur de lire quelque chose de creux et plat, à l’image de ce qui se pratique actuellement en littérature young adult (triste sous-genre à vocation commerciale, dont les auteurs analphabètes ont trop souvent tendance à prendre leurs lecteurs pour des imbéciles). Je redoutais un ramassis de tournures de phrase simplistes, dont la pauvreté linguistique et le vocabulaire inexistant auraient eu raison de ma patience et de mon indulgence… Rien de tout cela ici ! Céline Landressie écrit bien, et c’est un vrai bonheur de la lire. La langue est soutenue, et le roman, rédigé au passé simple, regorge de ces tournures désuettes et charmantes qui faisaient le sel des romans d’antan. J’ai apprécié les nombreux passages descriptifs, qui permettent de visualiser dans les moindres détails les lieux traversés, ainsi que les robes et les coiffures de ces dames. Cette plume travaillée et raffinée se teinte parfois de violence, et certaines scènes sont même assez crues, l’auteur n’hésitant pas à faire gicler le sang lorsque cela s’avère nécessaire (sans excès cependant). Bon, soyons honnêtes, il n’y pas forcément de quoi crier au génie non plus (on est en droit d’attendre un style correct de la part d’un auteur publié), mais ce bel effort n’en mérite pas moins d’être salué, quand beaucoup d’écrivains se content aujourd’hui du minimum syndical.
“A la lumière du jour, l’on distinguait nettement les multiples reflets rougeoyants qui parsemaient sa chevelure, d’un brun chaud. Ses longs yeux, pétillants de vie, luisaient sous le rideau de ses cils tels deux morceaux d’ambre poli. Son visage à l’ovale délicat, bien qu’un peu pointu au menton, était pourvu de traits gracieux et réguliers. Sous un front bien proportionné, un petit nez aux ailes étroites surplombait des lèvres pleines, sans exagération.” (page 19)
La floraison nous conte l’histoire d’Eileen (Rose pour les intimes), fille unique de Lord Greer, aristocrate anglais en exil. Ce dernier n’a qu’une idée en tête : marier sa fille unique à un riche gentilhomme, afin d’assurer la sécurité financière de sa famille criblée de dettes. Il faut dire que Rose n’est plus toute jeune, du haut de ses vingt-huit ans révolus. Cette rouquine flamboyante au caractère très affirmé n’en fait cependant qu’à sa tête, et se montre totalement réticente à l’idée d’un mariage avec le premier imbécile venu. Vive et entêtée, elle peut compter sur le soutien indéfectible de son amie et confidente Charlotte, laquelle se montre toutefois bien plus pragmatique et raisonnable que sa comparse lorsqu’il s’agit d’envisager sa propre union. C’est au cours d’un bal, après avoir rejeté un énième prétendant, que Rose croise le regard impénétrable du ténébreux comte Artus de Janlys, personnage influent et cependant nimbé d’une envoûtante aura de mystère et de séduction.
Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Si, bien sûr, Orgueil et Préjugés ! La référence à Jane Austen est ouvertement assumée par l’auteur, qui fait de Rose sa Lizzie, et dont la Charlotte rappelle par bien des côtés celle de la romancière britannique (en moins intelligente à mon avis). La comparaison ne va cependant pas plus loin, Céline Landressie se démarquant rapidement de sa glorieuse aînée pour nous entraîner sur une toute autre voie narrative (j’y reviendrai plus loin).
“Quoi qu’elle put en penser, Rose devait toutefois admettre que ce gentilhomme à la si parfaite beauté l’intriguait au plus haut point. Tout en lui différait d’avec le commun. A commencer par son inusuelle chevelure. Celle-ci paraissait aussi lustrée qu’une étoffe de soie, et était si noire qu’elle semblait absorber la lumière environnante. Traversée d’une infime ondulation, elle courait le long du visage du comte jusqu’à la pointe de son menton, avec laquelle elle flirtait agréablement… Puis il y avait aussi cette peau, si nette. Nulle aspérité, rougeur, ou comédon ne venait en gâcher l’éclat. L’on ne voyait rien que le grain délicat d’un épiderme satiné à loisir.” (page 88)
Deuxième bonne surprise : une intrigue rythmée, sous le règne d’H-IV
Le contexte historique est inhabituel, le lecteur découvrant avec intérêt une fin de XVIème siècle crédible et intelligemment exploitée, sur fond de guerres de religion et d’Edit de Nantes. Il s’agit là de l’une des grandes qualités du roman : je connais très mal cette période, mais il paraît évident que l’auteur s’est livrée à de sérieuses recherches, tant sa prose foisonne de détails réalistes, inscrivant les aventures de Rose dans un contexte clairement établi. Cela reste dans l’ensemble assez superficiel, mais il n’en demeure pas moins appréciable que la romancière ait à ce point soigné l’arrière-plan historique de son intrigue. La première partie évoque les romans de cape et d’épée, avec leur lot de complots et de manigances ourdis par d’impitoyables aristocrates, dont les agissements débouchent inévitablement sur de sordides meurtres sanglants. Lord Greer semble quant à lui dissimuler quelque inavouable secret, et le mystère s’épaissit peu à peu autour de la famille d’Eileen, sur le destin de laquelle plane une sourde menace. L’un des enjeux de l’intrigue de Rose Morte consistera donc à dénouer les fils de cet écheveau de mensonges et de trahison.
Tout ne tourne cependant pas autour de la résolution de l’énigme, bien au contraire ! Une rupture survient en effet à la moitié du roman, lequel prend alors une orientation complètement différente.
Exemples :
“Julien avait laissé échappé la coupe qu’il venait de desservir.” (page 125)
“Néanmoins, après toutes les grâces dont elle avait déjà bénéficiée, elle fut soulagée.” (page 242)
“Leurs chevaux avaient été éventré.” (page 248)
De toute évidence, les relecteurs ont un petit souci avec les accords…
Toujours concernant le style, il m’a semblé que certains dialogues sonnaient faux, notamment les échanges entre Charlotte et Rose, que je n’ai pas toujours trouvés très crédibles (il s’agit là d’un ressenti entièrement personnel, et je ne saurais donc en blâmer l’auteur). Cela est peut-être dû aussi au fait que le personnage de Rose ne m’a pas semblé particulièrement attachant dans la première partie (elle s’humanise paradoxalement lorsque son côté bestial se révèle au contact d’Artus et de ses pairs). La jeune femme est censée avoir 28 ans, mais se comporte comme une adolescente immature et égoïste. Je n’ai pas du tout apprécié la façon dont elle parle à ses domestiques ! Que dire de sa mère, dont les réactions et le comportement m’ont semblé très caricaturaux, pour ne pas dire absurdes ?
J’ai apprécié que Céline Landressie prenne son temps pour installer le décor et présenter les personnages dans la première partie, qui ne m’a pas paru trop longue, bien au contraire. Peut-être les premiers chapitres auraient-ils pu être un peu plus courts, de façon à rendre le découpage plus dynamique ? J’ai en revanche ressenti davantage de longueurs dans la deuxième partie, notamment lors des scènes d’action, qui ne m’ont guère passionnée. Il faut dire que l’intrigue perd grandement de son intérêt lorsque le récit se focalise sur les luttes entre familles de vampires et autres créatures de la nuit, au détriment de l’aspect purement historique. C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches que j’aurais à formuler envers ce premier tome : le contexte politique, si soigneusement exposé et travaillé dans la première partie, disparaît subitement dans la deuxième moitié du roman, et l’on se dit que les immortels de Céline Landressie pourraient sans problème évoluer à une autre époque sans que cela ne change rien au déroulement l’intrigue. Je suis restée sur ma faim de ce point de vue, et je nourris par conséquent quelques craintes vis à vis des tomes suivants, qui seront de toute évidence exclusivement axés sur les relations entre vampires.
Une romance fantastico-historique de qualité, que je recommande aux amateurs du genre (mais pas seulement).
Quel billet ! Je l'ai lu mais toujours pas chroniqué. J'ai aimé également. Je vois ce que tu veux dire dans la relation de Rose et son amie. Même ressenti à ce niveau.
Wow le billet! Tout le monde semble s'entendre sur le fait que ce roman est génial. I need it!
Ne change rien à tes billets ma Léo! Ils sont juste parfaits ! 🙂