Traduction : Anne Rolland
Titre original : The Letters
Publié dans Tales of Men and Ghosts
Collection Folio 2 euros, 1910-1991, 92 pages
J’étais très impatiente de pouvoir enfin démarrer le challenge de George. Ne restait plus qu’à trouver le sujet de ma première chronique. Pas simple… J’étais déjà bien occupée, et j’avais d’autres lectures “prioritaires” à terminer avant de me plonger dans les romans d’Edith Wharton. Et puis je me suis souvenue de cette courte nouvelle, butin d’un énième achat compulsif, dont je pensais à juste titre qu’il serait facile de l’intercaler entre mes deux lectures en cours (un Ian Rankin et un Elizabeth Peters, NDLA).
Un petit mot sur la couverture, qui est incroyablement laide (c’est pourquoi j’ai préféré poster une photo de mon tigre chat, qui m’immobilise un bras à l’heure où j’essaye péniblement de taper ces quelques lignes). D’accord, le livre ne coûte que deux euros, mais ils auraient quand même pu faire un effort ! J’imagine à merveille Lizzie West écrivant ses lettres sur son “joli” bloc à spirales…
L’histoire :
Lizzie West est donc au coeur de ce récit enlevé et superbement écrit, qui dissèque avec intelligence et subtilité le sentiment amoureux. Jeune institutrice peu fortunée, elle tombe sous le charme du père de sa petite élève, un artiste peintre du nom de Vincent Deering résidant à Saint-Cloud. Malheureux en ménage, celui-ci se prend d’une affection grandissante pour Lizzie, avant que la mort soudaine de son épouse ne mette un brusque terme à leur idylle. Contraint de regagner New York pour affaires, Deering doit se résoudre à abandonner sa bien-aimée. Nos deux tourtereaux se font des adieux déchirants, tout en se promettant de s’écrire régulièrement. Quelques semaines passent. Les lettres de Lizzie restent sans réponse… Nous retrouvons Vincent Deering deux ans plus tard. De retour en France après un revers de fortune, il croise à nouveau la route de Lizzie, désormais riche héritière et fiancée. Qu’adviendra-t-il lors de leurs retrouvailles ?
Une femme amoureuse…
Edith Wharton dresse le portrait d’une jeune femme naïve et pleine d’illusions, investie corps et âme dans un premier amour qu’elle idéalise. J’ai trouvé le personnage un peu agaçant, du moins au début : désireuse de bien faire, Lizzie West cherche constamment à agir dans le respect des convenances, conformément à ce qu’elle estime être les attentes de son compagnon. D’un naturel timide et peu assuré, elle se juge indigne de l’amour que lui porte Deering, redoutant d’être comparée à d’autres jeunes femmes plus riches, plus spirituelles, moins insignifiantes. Elle se donne pourtant sans retenue, soucieuse de satisfaire son amant.“Elle ne souhaitait pas faire montre de trop d’impatience ni d’un trop vif désir de ferrer et d’assurer sa prise. Sa vie lui avait enseigné une certaine science des arts de la défense : les filles qui partageaient sa condition étaient supposées les connaître tous et en user quand la situation l’exigeait. Mais la contrainte même d’avoir à y recourir avait été, pour Lizzie, l’artisan du dédain qu’ils lui inspiraient. Justement, alors qu’elle était si pauvre et qu’il lui fallait toujours, en matière de finances, vérifier sa monnaie et calculer sa marge, du moins connaîtrait-elle les joies de la prodigalité sentimentale et donnerait-elle son coeur sans compter, comme les riches dépensent leurs millions. ” (p.31)
Comme beaucoup d’entre nous en pareilles circonstances, Lizzie réfléchit trop. Lorsque Deering cesse de répondre à ses lettres, elle découvre les tourments de l’amour, allant jusqu’à endosser l’entière responsabilité de cet échec sentimental. Si Deering s’est éloigné, c’est tout simplement parce qu’elle n’a pas su le retenir auprès d’elle. A aucun moment elle n’envisage que celui-ci ait pu se servir d’elle.
“Elle s’accusait aujourd’hui de s’être montrée trop exigeante, trop possessive.” (p.44)
Persuadée de détenir la vérité, elle traite avec condescendance l’autre personnage féminin du récit. Andora Macy, colocataire et confidente de Lizzie, n’a jamais connu l’amour ; elle ne peut donc pas comprendre le cheminement tortueux des pensées de son amie. Pauvre Andora, condamnée à une bien terne existence ! L’auteur nous dresse ce portrait peu enviable :
“Elle avait un accent traînant et un comportement qui hésitait entre l’insolence et l’orgueil blessé. Elle se consumait du désir d’être admirée et de l’effroi d’être insultée, tout en demeurant douloureusement consciente que son destin lui nierait ces deux sensations extrêmes ou qu’elle ne pourrait les connaître que par procuration.” (p.37)
Aveuglée par son amour, Lizzie n’hésitera pas une seconde lorsque Deering lui proposera de devenir sa femme. Confrontée à la trahison de son époux, prisonnière de ses propres sentiments et de ses certitudes, elle choisira de vivre dans le mensonge plutôt que de renoncer à ses illusions. Une vision bien pessimiste des relations maritales, et un destin cruellement tragique que celui de cette femme prise au piège d’un bonheur factice.
Ce texte nous donne un excellent aperçu de la plume diaboliquement efficace d’Edith Wharton : la noirceur et la tragédie sont soigneusement dissimulées derrière une apparente légèreté primesautière. L’intrigue est très elliptique, le récit se focalisant exclusivement sur les sentiments de Lizzie, dont l’évolution est d’ailleurs magnifiquement décrite. On notera l’utilisation de nombreuses métaphores, traduisant parfaitement le tumulte intérieur de l’héroïne.
“La montée jusqu’à la maison Deering ne fut plus qu’une envolée de rêves sur un escalier céleste.” (p.10)
On retrouve également de nombreux thèmes chers à la romancière américaine : hypocrisie d’une société décadente, mariages intéressés, personnages évoluant dans un monde d’apparences et de faux-semblants. Un univers passionnant, qui me donne très envie de poursuivre la lecture de ses romans !
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Un livre de plus au compteur pour le concours S.T.A.R. de Liyah !
Et une première participation au challenge Edith Wharton de George.
Je vais commencer mon commentaire par quelque chose qui n'a rien à voir : mais qu'est-ce qu'il est beau ton chat ! Je suis accro à nos amis félidés même si je n'en ai plus chez moi actuellement.
Je suis contente de voir que tu as apprécié ce court texte de ma chère Edith. J'apprécie énormément son travail et je reconnais dans ton billet les raisons qui me la rendent si précieuse.
Merci pour mon chat, qui est en fait une adorable petite chatte. Comme je l'ai dit dans mon billet de présentation du challenge, je n'ai lu que le Temps de l'Innocence et les Beaux Mariages, il y a très très très longtemps de cela. Je ne sais même pas pourquoi j'ai attendu autant d'années avant de me décider à découvrir le reste de son oeuvre !
J'adore cet auteur depuis peu. Moi qui suis fan de nouvelles, elle me ravit. Je viens de faire un achat compulsif "nouvelles romaines"… j'adore. Finesse, intelligence, écriture magnifique. Waowww
Il faut que tu lises Le Temps de l'Innocence (un pur chef d'oeuvre) ! Je lis assez peu de nouvelles, mais c'est un format que j'apprécie de plus en plus.
J'aime la plume d'E.Wharton, j'ai lu depuis beaucoup de romans et de nouvelles et je vais continuer… Justement, j'ai lu récemment " grain de grenades", des nouvelles fantastiques captivantes… avec toujours de magnifiques descriptions… Cette nouvelle n'est pas celle que je préfère mais c'est vrai que ce thème des relations humaines décevantes et pessimistes est l'un de ses thèmes majeurs… PS : ton chat aussi a l'air de ressentir de la répulsion pour cette couverture qui est comme tu le fais remarquer assez inesthétique… !!!
Grain de grenades… Je note la référence (je ne connaissais pas ce titre). Quant à mon chat (en fait une chatte), elle a fini par se faire les dents sur la couverture du livre, qui est maintenant percée de petits trous !
J'ai également acheté cette nouvelle (malgré sa hideuse couverture). J'attends le moment adéquat pour surmonter ma répulsion lol !
Si tu cherches des textes rapides à lire d'Edith Wharton, je te conseille son recueil "Kerfol et autres histoires de fantômes" vraiment très très très bon (je le commente qq part sur mon blog, si tu veux davantage des détails mais peut-être justement faut-il mieux en savoir le moins possible lol …)
J'ai hâte d'avoir ton avis sur "Un crocodile sur un banc de sable". j'ai découvert cette série il y a peu et j'en suis actuellement au tome 3. J'adore Amélia …
Je vais suivre ton conseil !
J'ai lu presque la moitié du Crocodile, et j'aime beaucoup. Amelia me rappelle un peu Hester L. Encore une "vieille fille" au caractère affirmé, qui ne rechigne pas à jouer les infirmières quand le besoin s'en fait sentir !
J'adore ce genre de personnage (surtout si elles évoluent au XIXème siècle, dans la société anglaise lol). Bonne lecture !
Fievre romaine sorry…
Tu es toute excusée (j'avais rectifié de moi-même, ayant déjà repéré ce titre en librairie).
Après avoir lu Eté que j'ai beaucoup aimé, je viens de me procurer Le temps de l'innocence, mais cette nouvelle me tente, je note dans mes tablettes pour le challenge !!
Le temps de l'innocence est génial ! Je me demande si je ne vais pas le relire pour le challenge.
Je ne connais pas Edith Wharton (qui a dû bien apprécier le bloc notes !) et tu me donnes envie de lire ce court roman (encore un achat compulsif à gérer, et un !). Bises
Elle a écrit plusieurs recueils de nouvelles, dans lesquelles je pense me plonger prochainement, avant de lire ses romans (je ne connais que Le temps de l'innocence, qui est vraiment excellent).
il m'attend depuis un moment, tu me donnes envie de le mettre en haut de la pile.
Il est très vite lu, et permet de se faire une idée du style d'Edith Wharton.