Soie – Alessandro Baricco

Titre original : Seta
Traduction : Françoise Brun
Folio, 1996, 142 pages

 
Les premières phrases :

Bien que son père eût imaginé pour lui un brillant avenir dans l’armée, Hervé Joncour avait fini par gagner sa vie grâce à une profession insolite, à laquelle n’étaient pas étrangers , par une singulière ironie, des traits à ce point aimables qu’ils trahissaient une vague inflexion féminine.
Pour vivre, Hervé Joncour achetait et vendait des vers à soie.
On était en 1861. Flaubert écrivait Salammbô, l’éclairage électrique n’était encore qu’une hypothèse et Abraham Lincoln, de l’autre côté de l’Océan, livrait une guerre dont il ne verrait pas la fin.
Hervé Joncour avait trente-deux ans.
Il achetait, et il vendait.
Des vers à soie.
 
L’histoire :

1861. Les élevages de vers à soie français sont contaminés par une épidémie dévastatrice, qui s’étend progressivement à l’Europe toute entière, ainsi qu’aux autres continents. Pour sauver le village de Lavilledieu, dont la prospérité économique repose entièrement sur le tissage de la soie, le jeune Hervé Joncour, 32 ans, entreprend un rocambolesque et hasardeux voyage vers le Japon, où il est encore possible de se procurer des oeufs sains. Il laisse derrière lui sa femme Hélène, laquelle attend patiemment son retour pendant les longs mois que durent le périple de son époux.
Le Japon est alors un territoire complètement fermé au commerce extérieur, presque féodal par certains aspects. Hervé y entre en contrebande, et négocie dans le plus grand secret avec son fournisseur Hara Kei, sorte de seigneur local, lequel réside dans un village reculé de la province de Fukushima. Alors qu’il pénètre dans la maison de son hôte, il croise le regard d’une mystérieuse jeune femme blanche, dont la présence muette ensorcelle et bouleverse le jeune français.
De retour en France, Hervé n’a très vite qu’une seule idée en tête : repartir !  Irrésistiblement attiré par le fil invisible qui le lie à la séduisante inconnue, avec laquelle il n’a pourtant pas échangé le moindre mot, il monte alors une seconde expédition, abandonnant à nouveau sa délicate et tendre épouse.
 
L’opinion de Miss Léo :
 
Soie est indéniablement un très beau texte, qui me pose néanmoins un problème de taille au moment de rédiger mon billet : je l’ai lu il y a une petite quinzaine de jours, et il ne m’en reste pratiquement rien ! Le plaisir que j’ai ressenti lors de ma lecture s’est très vite dissipé. Je crois que je ne suis pas faite pour lire des romans aussi courts ! Je lis très trop vite, et n’ai donc pas le temps de m’imprégner en profondeur de l’histoire et des personnages. Le récit d’Alessandro Baricco possède certes un charme indéniable, mais il s’en dégage finalement peu d’émotion durable (du moins en ce qui me concerne).
 
Le talent de l’auteur est cependant bien réel. L’histoire n’est ici qu’un prétexte, l’exercice de style l’emportant  la plupart du temps sur le propos. La forme est travaillée, très poétique à sa façon. Les chapitres sont très courts, et le même paragraphe revient à plusieurs reprises, tel un refrain lancinant, rythmant les voyages d’Hervé Joncour et le défilé des mois et des saisons. Alessandro Baricco crée ainsi une mélodie envoûtante, par laquelle il est bien difficile de ne pas se laisser emporter. Je n’ai d’ailleurs pas été surprise d’apprendre que ce dernier avait étudié la musique et la musicologie, tant le roman semble porté par cette construction musicale surprenante et extrêmement harmonieuse.
 

Dans un style très épuré et puissamment onirique, l’écrivain italien nous conte une belle histoire d’amour en ombres chinoises, où le désir est suggéré et fantasmé par petites touches délicates et sensuelles. Les jours défilent comme dans un rêve, et les voyages au Japon sont vécus comme une évasion, exhalant pour Hervé un parfum d’aventure et d’interdit. La mystérieuse inconnue lui apparaît fort à propos pour l’arracher à la routine d’une vie de couple un peu terne avec sa ravissante épouse Hélène, qu’il aime et semble pourtant fuir dans un même élan.On notera également le recours à un orientalisme assez séduisant, qui rappelle les oeuvres de certains peintres impressionnistes, inspirés par les estampes de leurs maîtres japonais : papier de riz, idéogrammes, tenues de soie… Alessandro Baricco développe une imagerie exotique qui ajoute à la sensualité du roman, et constitue une invitation au voyage pour les lecteurs avides de découvertes et de sensations nouvelles que nous sommes. Une ombre de mystère aux relents érotiques plane sur l’ensemble du récit. Une bague de minuscules fleurs bleues… De mystérieux idéogrammes tracés sur une feuille de papier pliée… La fin réserve quelques développements inattendus, pour notre plus grand bonheur. Tout n’est cependant pas exprimé : au lecteur d’imaginer le reste !
 

Un très beau roman, envoûtant et mélodieux, que j’ai cependant vite oublié. J’ai aimé, mais je reste un tout petit peu sur ma faim…

 

 
J’ai lu ce roman dans le cadre d’une lecture commune organisée par Métaphore, avec aussi Bianca, Minou, Jostein
 
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Nouvelle participation au Défi Cent Pages, organisé chez La Part Manquante. Et une nouvelle contribution au Challenge voisins, voisines d’Anne.
 

 

24 thoughts on “Soie – Alessandro Baricco

  1. J'ai été encore moins séduite que toi, même sur le moment… Ton article met en lumière certains éléments que je n'avais pas tout à fait perçus, il est très intéressant. J'ai surtout été frappée par la construction du roman que j'ai plutôt comparé à un conte narré à voix haute ; je ne perçois décidément pas ce que beaucoup appellent la poésie de ce roman. La forme courte ne m'a pas dérangée, personnellement, mais il ne m'en reste comme toi pas grand-chose et cela reste "sans plus, ni moins" pour moi.

    1. Tu as tout à fait raison lorsque tu parle de conte et d'oralité ! Je l'ai moi aussi ressenti, même si je n'ai pas réussi à l'exprimer dans mon billet !

  2. Je confirme ton sentiment (du vite lu, vite oublié). Je l'ai lu il y a quelques années et je constate que mes souvenirs ne sont plus très frais (au vu de ton résumé). Bisous

  3. Peut-être, mais sur le moment, c'est très beau à lire. Mon avis est devenu positif grâce à ce dénouement, cette preuve d'amour d'une grande beauté.

  4. Très joli billet, tu as parlé de choses que moi j'ai passé sous silence, je crois que finalement on a toutes aimées même si je suis la seule à avoir eu le coup de coeur, ce fut une belle surprise en ce qui me concerne

  5. Tu traduis très bien mon sentiment sur ce livre : une lecture agréable mais dont je ne me souviens plus du tout (alors que je l'ai lu il y a seulement 1 ou 2 ans …). Du coup, je ne suis pas tentée par les autres titres de cet auteur même si les critiques sont souvent très bonnes.

  6. Très beau billet ! Très poétique lui aussi 🙂
    J'allais te dire que là nos avis divergeaient. Mais en fait, j'ai commencé par voir le film que j'avais beaucoup aimé malgré la présence de Keira Knightley et j'ai lu le livre quelques temps plus tard. Et effectivement, je ne me souvenais plus de rien pas même de la fin qui pourtant m'avait profondément marquée sur le coup au cinéma. Mais je peux te dire que la deuxième fois, on se souvient !

    1. La poésie et moi, ça fait deux, mais merci quand même ! 😉 Je n'ai pas vu le film, et j'ai un peu de mal à imaginer ce que cela peut donner…

  7. Oui, très beau billet ! J'ai lu ce roman il y a quelques années et même si ses qualités m'ont semblée évidentes tout au long de ma lecture, je n'en garde pas non plus un souvenir émerveillé. C'est bizarre … J'imagine que sa briéveté (alors que ce n'est pas quelque chose qui me gêne habituellement) y est peut-être pour quelque chose.
    J'avais vu l'adaptation avec Michael Pitt et Keira Knightley peu après. Pas mal mais très dispensable à mon humble avis …

  8. C'est une belle histoire, il existe un film adapté du roman sorti au ciné mais qui n'a pas eu de succès. J'ai lu ce livre il y a longtemps mais il m'en reste un bon souvenir.

  9. J'avais passé un très beau moment avec ce livre ! Ps : je vois ton commentaire précédent et j'aurai tendance à dire nouvelle… à cause de sa brièveté, peu de personnages etc…

    1. C'est terrible d'oublier si vite un livre, mais ça arrive parfois… curieusement ce n'est pas toujours parce qu'on a aimé un livre qu'il vous laisse une trace ! Difficile de faire un billet ensuite, je connais le problème (par exemple j'ai une série de courts textes victoriens lus cet été que je n'arrive pas chroniquer, et j'avais essayé quelques semaines après la lecture) 🙂
      J'ai beaucoup aimé "Les Chateaux de la colère" du même auteur, je m'apprête à lire "Novecento : pianiste", espérons qu'il me plaise…

  10. J'ai un peu plus aimé que toi, pas encore eu le temps de l'oublier 🙂
    Contente d'avoir partagé cette lecture avec toi, une envie pour la prochaine LC?
    A bientot 🙂

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