Dans le jardin de la bête – Erik Larson

Titre original : In the garden of beasts
Traduction (américain) : Edith Ochs
Le Cherche Midi, 2011, 642 (dont 90 pages de notes)

 

La première phrase :
Le coup de téléphone qui bouleversa définitivement la vie de la famille Dodd de Chicago eut lieu le jeudi 8 juin 1933 à midi, alors que William E. Dodd se trouvait dans son bureau à l’université de Chicago.

 

L’histoire :
1933. Adolf Hitler est élu chancelier du Reich, tandis que Franklin D. Roosevelt tente de redresser l’économie de son pays en proie à la crise. C’est alors qu’entre en scène William Dodd, universitaire et historien, que le président américain nomme contre toute attente ambassadeur des Etats-Unis à Berlin. Dodd rejoint la capitale allemande en compagnie de ses deux enfants. Peu rompu à l’art protocolaire, il s’acquitte pourtant honorablement de sa mission diplomatique, laquelle lui permettra, de somptueux dîners en promenades le long des allées du Tiergarten, de rencontrer les acteurs clés de cette époque troublée. Sa fille Martha, jeune femme séduisante et volage, multiplie quant à elle les aventures et les conquêtes, n’hésitant pas à s’afficher avec de hauts responsables du régime nazi, tel Rudolf Diels, premier chef de la Gestapo. Sa relation avec un espion russe, Boris Winogradov, amènera la jeune américaine à reconsidérer sa position et à ouvrir les yeux sur la réalité de la politique menée par Hitler et ses comparses.
 
L’opinion de Miss Léo :
 
Après Le Diable dans la Ville Blanche, superbe évocation de l’Exposition Universelle de Chicago, voici une nouvelle reconstitution historique signée Erik Larson, lequel nous convie à une captivante immersion dans la tumultueuse et oppressante Berlin des premières années du troisième Reich. Autant le dire tout de suite : il s’agit d’un récit passionnant, que j’ai adoré, malgré quelques réserves minimes, que j’évoquerai en fin d’article.

 

Comme dans son précédent opus, Erik Larson se base sur une impressionnante bibliographie, fruit de recherches minutieuses, pour nous offrir un document riche en informations sur cette période ô combien importante de l’Histoire mondiale. Il ne s’agit pas d’un roman, mais les aventures de la famille Dodd, parfaitement replacées dans leur contexte historique, se lisent pourtant avec une facilité déconcertante. L’ambassadeur Dodd, intellectuel perdu dans un monde de politiciens, semble à première vue assez naïf, mais son positionnement est en réalité particulièrement remarquable : combien d’observateurs prirent réellement la mesure de ce qu’étaient Hitler et son régime, et ce dès 1934 ? D’abord séduits par le mirage hitlérien, l’ambassadeur et sa famille ne tardent pas à comprendre que le chancelier n’a rien d’inoffensif, et assistent impuissants à la mise en place d’une dictature redoutable, portant les germes du génocide à venir. C’est dans ce climat oppressant que vivent désormais des millions d’allemands et de citoyens étrangers expatriés, eux-mêmes victimes de cette poussée de violence et d’intolérance, tandis que se multiplient les agressions et les dénonciations. Dodd ne peut que constater les dégâts : l’Allemagne des années trente n’a décidément plus rien à voir avec le pays raffiné et culturellement sophistiqué qu’il a connu lors de ses études à Leipzig, et le peuple ne semble pas disposé à se débarrasser de son dictateur charismatique, dont le pouvoir de séduction quasi-magnétique hypnotise les foules.

 

Erik Larson dénonce à plusieurs reprises la folie d’Hitler et de ses comparses, les tristement célèbres Göring, Goebbels ou Himmler. Le désastre à venir était de toute évidence inévitable, compte-tenu de la personnalité des membres de cette sinistre équipe dirigeante, imperméables à toute critique et mus par on ne sait quelle force irrationnelle. Tout cela est fascinant, comme le sont d’ailleurs tous les ouvrages évoquant la montée du nazisme. Erik Larson a (entre autres) puisé ses informations dans la biographie d’Hitler de Ian Kershaw, que j’aimerais beaucoup lire un jour. Ses autres sources sont très diverses :  lettres, journaux des principaux protagonistes, témoignages, romans d’époque… Il est par exemple fait plusieurs fois référence au célèbre Adieu à Berlin, de Christopher Isherwood (adapté plus tard sous forme de comédie musicale… eh oui, c’est bien de Cabaret qu’il s’agit).L’auteur n’invente rien (ou si peu), et se contente très sobrement de rapporter des faits, sans en rajouter. Il est vrai que la réalité dépasse parfois la fiction ! Certains y verront peut-être un manque de personnalité et de qualité littéraire, mais j’apprécie pour ma part ce style journalistique, qui se révèle d’une efficacité redoutable, et ne gâche en rien le plaisir de la lecture. Certes, le récit est parfois un peu décousu, notamment en ce qui concerne la chronologie (on revient souvent en arrière, et l’on a parfois l’impression que des mois se sont écoulés, alors que les événements se déroulent sur une très courte période). L’ambiance berlinoise est cependant admirablement restituée, et le lecteur n’a aucune peine à s’imaginer la peur et la tension permanente qui régnaient alors dans la capitale allemande. J’ai également beaucoup apprécié la postface, dans laquelle Erik Larson évoque sa démarche, ainsi que les notes de fin d’ouvrage, tout aussi passionnantes que le reste.

 

Je suis donc totalement enthousiaste quant au contenu, mais il me reste cependant un gros bémol à formuler : celui-ci concerne la traduction, souvent désastreuse. Faux-amis mal traduits, tournures de phrases approximatives, mauvaise utilisation de certains verbes… Il est possible que la traductrice soit elle-même anglophone, mais dans ce cas, n’est-il pas du ressort de l’éditeur d’effectuer une relecture soignée, afin de corriger d’éventuelles erreurs ? Je me suis énervée à plusieurs reprises au cours de ma lecture, ce qui est tout de même fort regrettable… Cela ne remet évidemment pas en cause mon respect pour le travail d’Erik Larson, dont j’attends désormais le prochain ouvrage avec impatience ! 

 

Un témoignage captivant et fort bien documenté. Coup de coeur.

 

Pour aller plus loin :
 
– Sur l’Allemagne des années trente : je vous recommande chaudement Histoire d’un allemand, de Sebastian Haffner, qui relate les premières années du régime nazi. J’ai adoré ce témoignage, que j’ai d’ailleurs très envie de relire !

 

 
Je n’ai en revanche pas encore lu Adieu à Berlin, de Christopher Isherwood, ce qui est proprement scandaleux, puisque j’adoooore Cabaret (le film ET la comédie musicale).
 
– Sur la Résistance allemande : j’ai beaucoup aimé Seul dans Berlin, de Hans Fallada (lequel fait d’ailleurs une brève apparition dans le récit d’Erik Larson).
 

 

– Je n’ai toujours pas visité Berlin, mais j’espère bien y aller cette année !

 

14 thoughts on “Dans le jardin de la bête – Erik Larson

  1. Je crois n'avoir lu que des avis positifs sur ce livre. Je sature un peu sur le sujet deuxième guerre mondiale mais je ne le note sans faute pour quand l'envie reviendra.

    1. Je suis un peu monomaniaque en ce qui concerne le troisième Reich et la deuxième Guerre Mondiale, mais je finirai peut-être par me lasser moi aussi ! Merci de ta visite.

    1. Attention, ce n'est pas un roman, mais un récit documentaire, basé sur des faits réel. Mais il est vrai qu'il se lit comme un roman, tant l'histoire racontée est fascinante. Je te le recommande !

  2. J'ai toujours un peu peur de ces documentaires parce que je me demande toujours un peu comment l'auteur a fait ses recherches. Là avec 90 pages de notes (et ton avis), je pense que tant qu'à lire un ouvrage de ce type autant que ce soit celui-ci.
    Pour la petite histoire, j'ai croisé le diable dans la ville blanche dans une fnac et j'ai hésité à l'acheter. Je me souvenais que tu l'avais lu alors qu'au départ tu voulais lire autre chose, mais je ne me souvenais plus de ton avis final ^^
    Je ne savais même pas pour Cabaret (d'ailleurs j'ai été un peu déçue par le film, il faudrait que je le revoie).
    Il faut que je lise le Haffner qu'un ami m'a donné en me disant je ne vois pas qui d'autre aurait envie de le lire ^^

    1. C'est une question que je me pose aussi (la pertinence des sources), mais il me semble qu'Erik Larson a plutôt bien fait son travail de ce côté là. Après, je ne suis pas historienne, donc il est possible que certaines choses m'échappent.

      J'ai vraiment beaucoup aimé le Haffner, que j'ai trouvé très intéressant. Tu diras à ton ami que moi, j'ai tout de suite eu envie de le lire… mais je suis un peu spéciale ! ^^

      J'avais bien aimé Le diable dans la ville blanche, qui était tout de même un peu plus romancé, l'auteur ayant dû combler un certain nombre de lacunes, notamment dans l'histoire du tueur en série. Mais sinon, c'est le même genre de livre : un style journalistique, très sobre, qui relate des faits avec beaucoup de détails.

      Concernant Cabaret, j'ai un peu moins aimé le film que la comédie musicale, que j'avais vue aux Folies Bergères il y a quelques années. Il faudrait d'ailleurs que je le revoie moi aussi !

  3. "Lee diable dans la ville blanche" m'a semblé beaucoup trop long, bien trop descriptif, au boulon près. Du coup, je n'ai pas eu envie de lire ce second opus, mais au final, j'y viendrai peut-être…

    1. Celui-ci me semble moins descriptif, davantage centré sur les événements et les personnages. Mais j'avoue que cette profusion de détails est justement l'une des choses qui m'ont plu dans "Le diable dans la ville blanche". J'étais contente de connaître le nombre de boulons utilisés pour monter la Grande Roue : je dois être un peu spéciale ! ^^

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