A Servant’s Tale – Paula Fox

Titre français : La légende d’une servante (édité chez Joelle Losfeld en 2005)
eBook Kindle, 1984, environ 340 pages

 
La première phrase :

“Ruina ! Ruina !” my grandfather, Isidro Sanchez, had scrawled at the end of his farewell note to my grandmother, which, she recounted, in a voice still astonished after all the passing years, he had written only an arm’s length from where she sat mending a tear in the shirt he was to wear the next morning when he had been summoned to see Antonio de la Cueva, the proprietor of the sugar plantation of Malagita, to answer, among other serious questions, why he had not fulfilled his cane quota and therefore could not guarantee his rent for the coming year.

 

L’histoire :
San Pedro, 1930. C’est à Malagita, plantation de cane à sucre prospère, que grandit la petite Luisa Sanchez, en compagnie de sa grand-mère Nana et de sa mère Fefita, laquelle travaille comme domestique chez la famille de la Cueva, propriétaire du domaine. Cette dernière s’est laissée séduire par Orlando de la Cueva, dont Luisa est la fille illégitime. La petite fille est choyée par sa grand-mère, et ne semble affectée ni par son dénuement matériel, ni par la violence dont elle est pourtant témoin au quotidien. Son destin bascule lorsque son père décide de quitter l’île de San Pedro, politiquement instable, pour s’installer avec femme et enfant dans un quartier de New-York durement frappé par la crise économique. Une nouvelle vie commence alors pour Luisa, arrachée très jeune à une terre natale qu’elle idéalise, et dont le souvenir fantasmé contribuera à forger la personnalité. Elle entreprend à cinquante ans de raconter les événements marquants de son existence, au cours de laquelle elle n’aura eu de cesse de retrouver Malagita.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

J’avais déjà commencé ce roman une première fois il y a quelques années, sans réussir à dépasser les dix premières pages. Il est rare que j’abandonne une lecture en cours de route, et je me sentais un peu frustrée par cet échec, d’autant plus que j’avais entendu le plus grand bien de l’oeuvre de Paula Fox. Eh bien figurez-vous que la romancière américaine fête aujourd’hui ses quatre-vingt dix ans, ce qui n’aura pas échappé à l’oeil sagace de notre amie Yspaddaden, laquelle a donc tout naturellement inscrit cet auteur au programme de son challenge Anniversaires. J’ai donc profité de l’occasion pour effectuer une nouvelle tentative, et je n’ai pas été déçue du voyage !

 

La première partie ne m’a pas pourtant pas totalement convaincue, et j’ai dû me faire violence pour dépasser le cap du premier quart du roman. Celui-ci commence à Malagita, dans une petite île peu évoluée des Caraïbes, cible privilégiée des inondations et des ouragans. Je crois que je fais un vrai blocage vis à vis de tout ce qui est latino, qu’il s’agisse de musique salsa toute pourrie, de cinéma ou de littérature. Les personnages sont pourtant bien croqués, et la vie sur la plantation de cane à sucre n’est pas dénuée d’intérêt, mais je n’ai pas du tout été passionnée par l’enfance de Luisa, que j’ai lue d’un oeil distrait, avant que le roman ne prenne un tour tout à fait différent (pour ne pas dire surprenant) ! Le père de Luisa, rejeton d’une riche famille de planteurs, épouse contre toute attente sa servante Fefita, et emmène sa femme et sa fille aux Etats-Unis (fin de la première partie).

 

La suite m’a nettement plus intéressée, et le talent de Paula Fox s’épanouit à travers le destin de Luisa, dont la famille mène désormais une vie étriquée dans un trou à rat sordide du barrio new-yorkais (il s’agit en réalité du quartier espagnol de Harlem, particulièrement défavorisé jusqu’à sa toute récente réhabilitation). L’auteur porte un regard sans concession sur les conditions de survie misérables de ses personnages, qui connaissent certes des jours difficiles, mais ne sont pas franchement malheureux pour autant. Seule la mère de Luisa semble avoir renoncé à mener une vie épanouie dans son pays d’adoption, et sa santé s’étiole progressivement (elle finira d’ailleurs par se laisser mourir, sans opposer une quelconque résistance à la maladie).

 

Le récit à la première personne nous invite à pénétrer dans les pensées de Luisa, dont nous suivons le parcours pendant plus de quatre décennies. Celle-ci se livre avec sincérité, évoquant les expériences heureuses et malheureuses d’une vie en demi-teinte. La jeune femme court depuis son enfance après les chimères de son Paradis Perdu, et son existence toute entière se tourne vers un seul et unique objectif : retourner un jour à Malagita, pour y retrouver ses souvenirs envolés. Elle aurait pu réussir de brillantes études, à l’image de sa meilleure amie Ellen, jeune Noire enjouée et volontaire, fermement décidée à devenir avocate. Luisa préfère cependant suivre les traces de sa mère, en choisissant de se faire engager comme servante dès l’âge de quinze ans. Once a servant, always a servant ! Elle se positionne d’emblée en position d’infériorité, refusant d’envisager un destin plus glorieux, pour lequel elle ne se sentirait pas destinée, et qu’elle vivrait surtout comme une trahison envers Nana, sa grand-mère bien-aimée restée au pays. Elle effectue consciencieusement son travail de domestique, et traverse la vie dans une sorte d’urgence permanente, sans s’accorder le moindre répit. Paula Fox crée un personnage vibrant d’émotion contenue, touchant sans être flamboyant. Luisa semble ne rien éprouver, et s’interdit tout sentiment incontrôlé, demeurant totalement imperméable aux mutations sociales et économiques du monde qui l’entoure. Sa dignité et sa modestie impressionnent, mais l’on ne peut s’empêcher de regretter qu’elle ne s’autorise pas davantage de plaisirs.

 

A Servant’s Tale est un très beau roman introspectif sur le déracinement et les liens familiaux, thèmes que l’auteur explore avec beaucoup de subtilité. Luisa a laissé une partie de son identité sur l’île de San Pedro, et reproduit inconsciemment les comportements de ses ancêtres. Elle comble le vide de son coeur et de son âme en consacrant toute son énergie à assurer le bien-être matériel de son fils Charlie, dans un admirable élan d’amour maternel. Celui-ci devient très vite sa seule raison de vivre, et l’une des rares personnes avec lesquelles elle ne se sente pas en complet décalage, tandis que les souvenirs de Malagita s’estompent peu à peu, remplacés par le fantasme d’une époque désormais révolue. Les années passent. Les révélations finales marquent pour Luisa la fin des illusions, et la réalité finit par reprendre ses droits, dans un éclair de lucidité salvatrice.

 

Paula Fox nous livre un roman très juste et superbement écrit, avec à la clé une vision très réaliste de la société. Le propos n’est jamais désespéré, bien que les situations décrites n’aient rien de franchement réjouissant. Le récit de Luisa, parfois mélancolique, n’est d’ailleurs pas dénué d’humour, notamment lorsque celle-ci évoque ses différents employeurs, qui valent vraiment le détour. A chacun ses petites manies ! La description du travail de Luisa en tant que domestique est quant à elle très pertinente, et j’ai beaucoup aimé cet aspect de l’ouvrage, tout comme j’ai apprécié les quelques pages consacrées à ses années de mariage avec Tom Greer, brillamment esquissées par un auteur au sommet de son art.

 

Un petit clin d’oeil pour finir : j’ai beaucoup ri en lisant le passage suivant ! Le contexte : pour arrondir ses fins de mois, Luisa, se fait engager comme femme de ménage dans un hôtel.

 

One Sunday morning, as I slowly walked to a rumpled bed, an elderly man, naked except for his leather slippers, emerged from behind the bathroom door and minced toward me, softly mouthing obscenities.
“Stop that at once,” I shouted.
“All right !”, he cried. “Don’t get so mad, little honey.”

 

Eh oui, vous avez bien lu : DSK en personne !!!!

 

Vous l’aurez compris, j’ai passé un excellent moment avec ce roman, malgré un démarrage plutôt laborieux. Je lirai sûrement d’autres textes de Paula Fox !

 

Un roman et un auteur à découvrir.

 

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Happy birthday, Mrs Paula Fox !

 

Découvrez les billets des autres participants aux Anniversaires d’Ys.

 

5 thoughts on “A Servant’s Tale – Paula Fox

  1. Dès les premières lignes sur ton blog, j'ai décroché aussi. Je pense que je m'ennuierai aussi au début, même si j'entends bien ce que tu écris sur la suite. Je note dans les peut-être un jour que j'ai rien à lire et que je tombe dessus à la bibli (ça c'est de la catégorie)
    Mdr pour DSK ! Et évidemment pareil que toi pour la salsa ^^

  2. Ce roman-là est vraiment très différent de celui que j'ai choisi et me semble tout aussi intéressant. Ravie que tu l'aies apprécié au final.

  3. Je n'ai lu qu'un seul roman de Paula Fox, "Personnages désespérés", et j'avais beaucoup aimé. Il faudrait que je continue à la découvrir. Elle explore toujours parfaitement les affres de l'âme humaine.

  4. On dirait qu'elle a vraiment l'art de développer ses personnages. En tout cas, chaque roman semble très différent.

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