Edition numérique
Mon Petit Editeur, 2012, 109 pages
Les premières phrases :
Ce matin, comme chaque matin, Henry éprouve beaucoup de difficultés à sortir du lit. La douleur lancinante provoquée par l’eczéma qui lui ronge le dos ne lui laisse aucun répit. Bien qu’il ait appris à vivre avec cette maladie, le réveil est toujours un moment très délicat. Et la cuite de la veille n’arrange rien.
L’histoire :
Le recueil se compose de cinq nouvelles et d’un chapitre en vers, entrecoupés de deux digressions interludiques.
L’opinion de Miss Léo :
J’ai accepté de lire et chroniquer ce recueil après avoir été directement sollicitée par l’auteur, dont Tragédies Salutaires est le premier ouvrage publié. J’ai beaucoup hésité avant de lui répondre par l’affirmative (j’ai déjà tellement de choses à lire par ailleurs que je ne sais plus où donner de la tête), mais une petite recherche rapide sur Internet me permit de découvrir que Dario Bicchielli était jeune (27 ans), belge et ancien doctorant en chimie : ces trois qualités combinées l’ont instantanément rendu extrêmement sympathique à mes yeux, et je me suis portée volontaire pour parler de Tragédies Salutaires sur mon blog, sans trop savoir du reste à quoi m’attendre. Bon, j’ai un peu tardé à le lire, puisque je l’ai reçu au mois de mars, et que nous sommes en… septembre. J’ai honte !
Ce fut une lecture plaisante mais inégale. J’ai plutôt apprécié le ton général de l’ouvrage. Si l’on distingue ça et là quelques maladresses (sans doute imputables à la jeunesse et à l’inexpérience de l’écrivain), force est de constater que chaque nouvelle réserve son lot de surprises, tout comme la structure générale du recueil, qui a de toute évidence fait l’objet d’une réflexion importante de la part de l’auteur. Celui-ci alterne textes longs et courts, et propose à son lecteur de sympathiques interludes récréatifs, sous forme de minuscules entrefilets philosophico-poétiques et autres pensées métaphysiques. Le ton est volontiers provocateur, et Dario Bicchelli porte un regard amusé et lucide sur le monde contemporain, dont il croque les travers et les incohérences en s’intéressant au destin souvent tragique et aux désordres psychologiques de personnages somme toute bien ordinaires.
L’écriture est sobre mais travaillée, dans un style gentiment ironique, et emprunte parfois aux codes du roman noir, ce qui donne une atmosphère particulière à l’ouvrage, sombre et drôle à la fois. Le rêve tient une place importante dans les histoires qui nous sont contées, lesquelles nous invitent à partager les pensées et les digressions intérieures des différents protagonistes, dont certains se livrent à une véritable introspection. Les nouvelles sont de qualité variable (j’y reviendrai dans quelques lignes), mais les chutes sont dans l’ensemble plutôt réussies, et parviennent à maintenir l’attention du lecteur. Tragédies Salutaires suscite la curiosité et incite à la bienveillance, ce qui est déjà une réussite en soi.
La première nouvelle, Un homme qui voulait vivre, est sans doute la meilleure. Un homme marié de quarante ans se fait piéger dans son sous-sol par un inconnu muni d’un revolver. Sa vie défile alors devant ses yeux, tandis qu’il effectue le bilan de sa morne existence.
“Bien entendu, chacun y était allé de son petit conseil aussi avisé qu’inutile et tous s’étaient accordés pour dire que « Quarante ans » était avant tout l’âge du bilan. Les questionnements récalcitrants profonds avaient ensuite été énumérés : Ai-je vécu honorablement ? Ai-je fait tout ce qu’on attendait de moi ? Ai-je fait ce qu’il fallait pour mes parents, pour ma famille ? Suis-je à la bonne place ? Ai-je assez profité des moments privilégiés qui m’ont été accordés ? Ai-je fait les bons choix ? Ai-je été à la hauteur ? Ai-je fait ce qui était juste ? Suis-je devenu un homme digne de ce nom ? etc.” (page 12)
Tout cela est assez finement observé sur le plan psychologique, Dario Bicchielli faisant même preuve d’une surprenante maturité compte-tenu de son jeune âge. La conclusion est glaçante à souhait.
La deuxième nouvelle, Jack au combat, est également très percutante.
“Bon nombre de récits de guerre commencent par une rupture sentimentale. L’histoire contée ici ne fait pas exception. Et pareil à beaucoup de jeunes garçons avant lui, notre héros était encore dans la fleur de l’âge quand il prit part au carnage…” (page 25)
J’ai toutefois quelques bémols à formuler concernant le reste de l’ouvrage. Pour commencer, je n’ai pas tellement adhéré au concept des Digressions interludiques, qui m’ont quelque peu ennuyée. L’idée est originale, mais j’ai eu du mal à m’y intéresser. Il s’agit bien sûr d’un ressenti très personnel, et cela ne retire rien au mérite de l’auteur, qui assume jusqu’au bout ses idées formelles ! J’avoue également avoir lu en diagonale les passages en vers, la poésie n’étant pas mon genre de prédilection. Il me semble toutefois que Dario Bicchielli s’en sort plutôt bien dans cet exercice, pour autant que je puisse en juger. Je suis en revanche très sceptique quant à la troisième et la cinquième nouvelles, Le miel et le vinaigre et Révolution passagère, qui m’ont laissée perplexe. Peut-être d’autres lecteurs les apprécieront-ils davantage ? Pour finir, je dois admettre que Tragédies Salutaires possède en quelque sorte les défauts de ses qualités : le regard pertinent sur la société devient parfois trop insistant et moralisateur, et l’alternance de différents formats narratifs conduit à un livre décousu, qui fourmille d’idées intéressantes, mais ne parvient pas toujours à éviter la caricature. Je dois dire que le début du recueil m’a nettement plus captivée que la fin, même si j’ai également apprécié la Quatrième (dimension) nouvelle, laquelle jette un regard avisé sur le couple.
En dépit des réserves évoquées ci-dessus, saluons tout de même ce premier essai (transformé) de Dario Bicchielli, lequel signe avec Tragédies Salutaires un premier ouvrage prometteur et très personnel, agréable sans être révolutionnaire.