Sauver Mozart – Raphaël Jerusalmy

Babel, Actes Sud, 2012, 149 pages

 

Les premières phrases :
J’ai horreur du vendredi. Filet de cabillaud et pommes de terre bouillies.

 

L’histoire :

Autriche, 1939. Au lendemain de l’Anschluss, Otto J. Steiner égrène ses jours dans un sanatorium de Salzbourg. Juif (un peu), seul (complètement), il n’aime plus que la musique, et la tuberculose le ronge autant que l’humiliation d’être malade, ou les privations qui achèvent de le pousser à la marge du monde. Un monde dissonant à son oreille de mélomane, une faute de goût existentielle pour cette âme libre, témoin privilégié et involontaire du délitement d’une certaine idée de l’homme. Tout semble joué quand un événement inattendu le conduit à deux doigts de faire basculer le siècle. Mais s’il ne restait plus rien à sauver – sauf Mozart ?

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Des juifs, des tuberculeux, un sanatorium, la guerre, des nazis, Mozart qu’on assassine… Pas de quoi s’esclaffer, me direz-vous ! Raphael Jerusalmy réussit pourtant avec ce premier roman un formidable petit bijou d’humour grinçant, qui renouvelle avec beaucoup de fraîcheur des thèmes chers à mon coeur. L’auteur allie audace et originalité, et signe une fantaisie cruelle et pleine de malice, malgré la gravité du contexte historique.

 

Le récit tourne autour du personnage d’Otto Steiner, mélomane solitaire et insoumis, qui rédige pendant un an son journal, dans le sanatorium de Salzbourg où il attend désormais la mort avec résignation. Otto Steiner a toujours dissimulé ses origines juives, et ne se mêle pas de politique ; il n’est cependant pas dupe, et observe d’un oeil impuissant les ravages causés par les nazis, sans toutefois s’impliquer outre mesure. Son quotidien se résume à quelques parties d’échecs avec les autres malades, ainsi qu’à de maigres repas répétitifs, dont le menu monotone, parfois agrémenté de lard obtenu au marché noir, revient tel un lancinant leitmotiv : “Filet de cabillaud et pommes de terre bouillies”. Les patients du sanatorium vivent dans un dénuement croissant, la guerre imposant moult privations, et ne peuvent guère se fier aux soins prodigués par le douteux docteur Müller, dont les traitements semblent pour le moins inefficaces. Affaibli par la maladie et confronté à la disparition brutale de certains de ses proches, Otto Steiner se met tout naturellement à songer au suicide, tout en poursuivant son travail de critique musical pour le compte de son ami Hans, qui le persuade d’assurer la programmation du prochain Festspiele, lequel se déroulera comme chaque année à l’été 1940.

 

Le destin tragique de son pays le mine pourtant, et le vieil homme ne peut se résoudre à voir les grandes oeuvres de la musique classique massacrées de la sorte par ces barbares de chefs d’orchestre germaniques ! Outré, il imagine alors une vengeance implacable, ultime pied de nez adressé à un régime qu’il abhorre, et dont il ne supporte plus ni la politique discriminatoire, ni le manque total de goût ou d’éducation. Cet acte de résistance obstiné apparaît bien dérisoire en ces temps de Blietzkrieg, mais n’en demeure pas moins admirable, et illumine les dernières semaines de la vie du vieil homme.

 

J’ai été séduite par ce personnage atypique et facétieux, dont l’état d’esprit réjouissant tranche avec l’extrême noirceur de sa situation (situation qu’il envisage d’ailleurs avec un recul salvateur). L’écriture sobre et simple va droit au but, et le ton léger du roman crée une atmosphère délicieusement subversive, sans pour autant minimiser la puissance et le fort pouvoir émotionnel des thématiques évoquées. Raphaël Jerusalmy dresse mine de rien un tableau saisissant de l’Autriche post-Anschluss, rongée par la collaboration et la délation, et soumise au bon vouloir des SS. Le récit est très dense, malgré sa relative brièveté (149 pages aérées, que j’ai dévorées en à peine une heure) ; subtil et jamais plombant, il prend peu à peu une ampleur surprenante, que l’on doit sans nul doute à la maîtrise et à l’audace d’un auteur décidément très inspiré. Ce dernier mêle harmonieusement la musique et l’Histoire sur fond de confession intimiste, et produit un texte d’une rare efficacité, bien moins anecdotique qu’il n’y paraît au premier abord. Bref, un roman comme je les aime, qui ne se résume pas à “une énième lecture sur la Deuxième Guerre Mondiale”.

 

Et en plus, je suis fan de la couverture (merci Actes Sud) !

 

Une bien belle surprise ! Laissez-vous tenter par ce délicieux petit roman cruel et sensible.

 

9 thoughts on “Sauver Mozart – Raphaël Jerusalmy

  1. Encore heureux que tu publies moins de billets, parce qu'à chaque fois je suis obligée de noter les titres ^^ Je constate que comme moi tu reviens sur la blogo pour les vacances à l'inverse de tout le monde ,-)

    1. Je n'ai plus le temps de parler des livres qui m'ont moins plu. Résultat : ne restent plus que des billets sur des romans "coup de coeur", ou qui m'ont particulièrement intéressée ! ^ ^

      J'ai eu un trimestre de folie, et je profite effectivement de cette petite accalmie hivernale pour me consacrer tranquillement à mon blog. Mais rassure-toi, cette activité bloguesque débordante ne durera probablement pas longtemps, étant donné que je commence déjà à penser à tout ce que je dois préparer pour la rentrée !

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