Indigo – Catherine Cusset

Folio, Gallimard, 2013, 328 pages

 

La première phrase :
“On ne passe plus. Alerte à la bombe.”

 

L’histoire :
Décembre 2009. Trois intellectuels français se retrouvent réunis à l’occasion d’un festival organisé dans le Kerala par l’Alliance française de Trivandrum, dirigée par la bretonne Géraldine LegacCharlotte Greene, professeur d’université et réalisatrice, mère de famille new-yorkaise comblée mais gaffeuse, encore hantée par le suicide de son amie Deb quelques mois auparavant ; Roland Weinberg, philosophe sexagénaire parisien obsédé par le sexe, en couple avec Renata, de trente ans sa cadette ; Raphaël Eleuthère, quadragénaire taciturne et mal luné, néanmoins auteur de deux romans autobiographiques. Tous profitent du temps libre dont ils disposent entre deux tables rondes pour partir à la découverte de l’Inde, contrée dépaysante où la chaleur et le souvenir des attentats de Bombay exacerbent les sentiments, provoquant des réactions inattendues chez nos touristes occidentaux, confrontés bien malgré eux à leur propres démons, ainsi qu’à la remise en question des certitudes de leur existence passée. 

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Avant-propos : mon billet ne sera probablement pas objectif, puisque je suis totalement fan de l’écriture de Catherine Cusset, dont les romans respirent l’intelligence et la simplicité (les deux n’étant pas forcément antinomiques). J’ai découvert l’auteur en 2001 avec Le problème avec Jane, qui m’avait littéralement enthousiasmée (je vous le recommande vivement si vous ne connaissez pas encore l’oeuvre de cette talentueuse romancière, dont j’ai également beaucoup aimé La haine de la famille, brillante autofiction en forme de règlement de comptes).

 

Indigo n’est probablement pas sa plus grande réussite, mais n’en demeure pas moins une lecture tout à fait agréable, dans laquelle on retrouve avec plaisir l’écriture simple et travaillée de Catherine Cusset, dont le style fluide et élégant donne ici de la consistance à des personnages et des histoires somme toute assez banals. Le roman démarre sur les chapeaux de roue, avec une séquence d’ouverture mémorable et pleine d’humour se déroulant à l’aéroport de Roissy. Les premières pages installent une ambiance oppressante, qui continuera à planer sur l’ensemble du récit. Les chapitres sont alternativement consacrés à Charlotte, Roland et Géraldine, dont le passé et les états d’âmes nous sont peu à peu dévoilés, sur un ton tour à tour cocasse ou mélancolique.

 

Dissipons tout de suite un malentendu : il ne s’agit pas d’un roman sur l’Inde, mais d’un roman sur les relations qu’entretient un groupe de touristes occidentaux intellectuels aisés avec ce pays. La nuance est de taille ! Je ne suis jamais allée en Inde, mais les descriptions de l’auteur semblent plutôt réalistes, et totalement en accord avec ce que l’on a pu m’en dire par ailleurs. Catherine Cusset n’a cependant pas pour objectif de dresser le portrait socio-économique d’un pays en pleine évolution, et le roman se concentre exclusivement sur la perception qu’en ont les principaux protagonistes, invités à participer à un festival visant à faire la promotion de la culture française, sorte de colonie de vacances pour intellos égocentriques. Entre dépaysement et sentiment de culpabilité, entre fascination et répulsion, entre bains de mer et visite de villes surpeuplées, tous évoluent avec perplexité dans ce pays dynamique et coloré, où règne une atmosphère lourde et moite, éprouvante et néanmoins empreinte de sensualité.Empêtrés dans les méandres de leurs propres déboires psychologiques, Charlotte et ses compatriotes demeurent il est vrai relativement imperméables à la pauvreté et aux dysfonctionnements de cette société contrastée. Tous ne songent qu’à leur bien-être personnel, ce qui les rend de toute évidence assez peu sympathiques, même si l’on finit malgré tout par s’y attacher (Charlotte et Raphaël sont mes préférés, mais le plus intéressant est sans doute Roland). La romancière, elle-même normalienne, écrivain et agrégée de lettres classiques, fustige ces comportements ridicules, sans pour autant accabler des personnages en proie au doute et à la dépression, qui plus est hantés par des regrets très personnels.
 
On est parfois à la limite de la caricature, mais je trouve que Catherine Cusset fait preuve d’une grande finesse d’observation : elle dissèque à merveille les comportements de chacun, et signe un roman délicieusement ironique, empli d’un humour subtil, qui sonne juste la plupart du temps, mais dont on peut toutefois regretter le manque de profondeur. L’intrigue s’essouffle après quelques chapitres, et on finit par se lasser des atermoiements de ces français puérils, d’autant plus que le roman est bâti sur de nombreux clichés (ce qui est à mon avis un parti pris de l’auteur) ; Indigo est en cela moins original que les précédents ouvrages de Catherine Cusset, plus novateurs dans la forme aussi bien que dans le fond. Reste toutefois une jolie tragi-comédie de moeurs, toute en légèreté et en délicatesse, qui ne tient certes pas toutes ses promesses, mais soulève tout de même beaucoup de questions en arrière-plan (sont ainsi évoqués les violences conjugales, le terrorisme, le développement économique de l’Inde, la maternité ou encore la vacuité de la vie…). Dommage que l’ensemble demeure trop superficiel, et que tous ces thèmes ne soient pas davantage exploités. Dernier bémol : je n’ai pas été convaincue par la fin, qui m’a semblé plutôt décevante au regard du reste de l’ouvrage. Je tiens toutefois à préciser que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce roman, bien que celui-ci n’ait pas été tout à fait à la hauteur de mes attentes. Vivement le prochain Cusset (par chance, il m’en reste encore plusieurs à découvrir) !
 
Un roman que j’ai lu avec intérêt, même si je lui reconnais des défauts. Ne boudons pas notre plaisir !

 

Merci à Anna, des éditions Folio.

 

15 thoughts on “Indigo – Catherine Cusset

    1. Désolée pour cette réponse tardive… Indigo fait partie de ces romans pour lesquels on ne peut s'empêcher d'éprouver de la sympathie, malgré des défauts évidents. J'en garde pour ma part un excellent souvenir !

    1. Je ne sais pas si tu y retrouveras l'Inde de tes souvenirs !
      Ce roman est clairement moins abouti que "Le problème avec Jane", mais j'en garde tout de même un bon souvenir.

  1. Encore une auteur que je n'ai jamais lue. Sans doute parce que je ne suis pas très attirée par les romans qui racontent le quotidien des gens aujourd'hui…

  2. J'avais beaucoup aimé "Un brillant avenir" et "Le problème avec Jane", par contre "La haine de la famille" tournait un peu top au règlement de compte à mon goût. Je lirais pourquoi pas celui-ci, mais sans urgence donc 🙂

  3. J'avais aimé Le problème avec Jane, apprécié La haine de la famille et souri avec ses Confessions d'une radine. Je crois que j'ai lu Un brillant avenir mais je n'en ai aucun souvenir (mauvais signe). Je ne suis pas super tentée par Indigo.

  4. Vu ma déception lors de ma lecture de Le problème avec Jane, je ne risque pas de tenter celui-ci, surtout si tu le dis moins bien.

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