Dominium Mundi – François Baranger

Illustrations de couverture réalisées par l’auteur.

 

Editions Critic, 2013/2014, 602 pages + 796 pages

 

La première phrase :
Je ne saurais dire qui, de l’homme ou de la bête, mérite le mieux son nom.

 

L’histoire :
2202. La Guerre d’Une Heure a décimé une partie de l’Humanité, et la “vieille” Europe est (re)devenue le centre du Monde, sous l’impulsion des catholiques, qui ont fondé l’Empire Chrétien Moderne. Les zones habitables s’amenuisent toutefois dangereusement, aussi le pape Urbain IX envoie-t-il une mission sur la (pas si) lointaine planète Akya du Centaure, espérant y trouver des conditions propices à l’établissement d’une nouvelle colonie humaine. Quelle n’est pas la surprise des missionnaires lorsqu’ils découvrent que ladite planète abrite une civilisation extra-terrestre évoluée ! Pire : au coeur de la capitale atamide se dresse un vaste sanctuaire, lequel abrite ni plus ni moins que le tombeau du Christ. Les colons évangélisateurs tentent de faire valoir leur droit sur les précieuses reliques, mais ils sont sauvagement massacrés par les redoutables guerriers atamides, qui ne l’entendent pas de cette oreille. Fin de la mission. Enorme colère du pape et de ses sbires, qui ordonnent alors la construction d’un gigantesque vaisseau.2204. La Neuvième Croisade est en marche. Le Saint-Michel appareille, avec à son bord un million d’âmes en partance pour Akya du Centaure, située à 4,36 millions d’années-lumière de la Terre. Parmi eux : Tancrède de Tarente, Méta-guerrier auréolé de gloire, et Albéric Villejust, inerme enrôlé de force et bio-informaticien de génie. Le voyage sera long, et leur réservera bien des surprises…

 

L’opinion de Miss Léo :

 

J’avais envie d’un bon gros pavé de SF pour les vacances, divertissant sans être trop exigeant : je ne pouvais pas mieux tomber ! Il est vrai que j’ai joué la carte de la sécurité, en sélectionnant un roman plébiscité par des blogueuses de confiance (je l’avais notamment repéré chez copine Philisine et copine Arieste), qui plus est publié par les éditions Critic, dont le Point Zéro m’avait déjà enthousiasmée (voir mon billet).François Baranger signe un space opera ambitieux et hautement distrayant, qui mêle dans un savoureux cocktail la plupart des figures imposées d’un genre littéraire très codifié : voyage supra-luminique à bord d’un gigantesque vaisseau, armement ultra-sophistiqué, velléités de colonisation, complots et mensonges, guerre technologique contre une civilisation extraterrestre hostile (?), recours à des intelligences artificielles évoluées (ce qui nous vaut d’ailleurs une scène mémorable dans le deuxième tome)… Sans oublier un poil de dystopie (l’intrigue se déroule dans un contexte post-apocalyptique), et un soupçon d’enjeu métaphysique (les Croisés embarqués à bord du Saint-Michel oeuvrent-ils réellement pour le Bien de l’humanité ?).
 
Le premier tome est consacré au (long) voyage interstellaire, tandis que le second évoque la guerre contre les Atamides et la découverte d’Akya du Centaure. Cette vaste fresque se déroule à un rythme haletant, les péripéties s’enchaînant sans temps mort, mais n’en demeure pas moins porteuse d’une réflexion sur l’Autre et d’un message pacifiste, véhiculé par Albéric et Tancrède. Si le premier est dès le début persuadé de prendre part à une vaste mascarade orchestrée par le pouvoir chrétien en place, il faudra davantage de temps au guerrier accompli qu’est Tancrède pour choisir son camp, et accepter les doutes qui l’assaillent depuis l’appareillage du vaisseau. Et si la Neuvième Croisade reposait sur une escroquerie ? Et si la guerre de colonisation, menée au nom de la religion suprême, n’était en réalité qu’une vulgaire guerre d’extermination, destinée à détruire les malheureux Atamides ?

 

L’auteur se montre assez pessimiste quant au devenir de l’espèce humaine, dont la bêtise et l’extrême violence sont ici mises en avant. Le pape tire les ficelles, profitant de la relative faiblesse d’une population revenue à un mode de vie médiéval suite aux ravages causés par la Guerre d’Une Heure, et parvient sans peine à convaincre ses fidèles qu’il est de leur devoir de faire triompher l’Empire Chrétien Moderne, au nom de Dieu. La plupart des personnages de Dominium Mundi agissent sans réfléchir, guidés par une foi aveugle qui leur ôte tout discernement. C’est d’ailleurs l’une des limites du roman, dont la plupart des acteurs semblent un peu trop caricaturaux et/ou monolithiques pour être totalement crédibles : les “méchants” sont très méchants (voire irrécupérables), les “ambigus” finissent dans leur grande majorité par entendre raison, et les “gentils” ne brillent pas par leur intelligence (à l’exception de Tancrède et Albéric, qui sont les seuls à gagner de l’épaisseur au cours du roman). Pour être honnête, cela ne pas vraiment gênée, car j’ai tout de même pris beaucoup de plaisir à suivre leurs aventures, et à découvrir l’univers mis en place par l’auteur. J’ai acheté le deuxième tome quelques heures à peine après avoir fini le premier, et il m’aura fallu moins d’une semaine pour venir à bout des 1400 pages de l’ensemble, ce qui en dit long sur mon degré de motivation ! J’ai tout de même un reproche à formuler : cela manque cruellement de femmes !! Mes espoirs reposaient intégralement sur la très prometteuse Clorinde di Severo, amazone fougueuse et intrépide au caractère très affirmé. Hélas ! J’ai bien vite déchanté, tant la jeune femme se révèle insupportable et bornée. Je n’ai pas cru un instant à sa relation avec Tancrède, d’une niaiserie désolante, et je pense sincèrement que l’auteur aurait pu s’en abstenir, et assumer son univers 100% masculin.
 
François Baranger demeure néanmoins un romancier de talent (bien que son style n’ait rien d’exceptionnel), et on mesure sans peine la somme importante de travail que représente la rédaction d’un pareil ouvrage. Il lui aura fallu dix ans pour accoucher de ce diptyque, ce qui se ressent notamment dans l’attention portée aux détails, qui contribuent à donner de la crédibilité au monde futuriste décrit dans le roman. Tout semble cohérent, et j’ai apprécié le soin avec lequel l’auteur développe les éléments scientifiques de son intrigue (propulsion du vaisseau, rôle joué par les bio-informaticiens, fonctionnement des exosquelettes de combat, géologie et topographie d’Akya du Centaure…). A ces évolutions technologiques se superpose toutefois une vision bien plus classique, puisque l’écrivain s’inspire également du féodalisme, ainsi que d’un poème épique du XVIème siècle, La Jérusalem délivrée, cité à plusieurs reprises dans Dominium Mundi. Certains personnages sont quant à eux directement inspirés de figures historiques réelles, comme Godefroy de Bouillon, héros de la Première Croisade, qui occupera une place prépondérante dans la guerre contre les Atamides.

 

Venons en maintenant aux choses qui fâchent. Je ne peux pas conclure ce billet sans évoquer les très (trop) nombreuses coquilles qui émaillent l’ensemble des deux tomes. Dominium Mundi est un festival de mots manquants, ou au contraire de mots en trop, rendant la phrase incompréhensible, sans parler des fautes de grammaire (j’ai bondi à plusieurs reprises devant des accords de participe hasardeux). Un exemple au hasard : “Aucunes représailles”. Aïe ! Ouch ! Ca pique ! Non mais sérieusement, comment peut-on laisser passer des erreurs pareilles ? Je veux bien admettre que les temps sont durs, que la maison d’édition n’a peut-être pas les moyens de se payer les services d’un relecteur/correcteur…  mais tout de même, il y a des limites ! N’importe quelle personne ayant lu (bénévolement) les épreuves aurait pu corriger la plupart de ces erreurs.
 
Toujours est-il que Dominium Mundi mérite le détour. Si vous avez envie d’une saga de SF “facile” mais intelligente, et si vous avez du temps à consacrer à la lecture d’un pavé, alors je vous recommande vivement de vous intéresser de près à ce très bon roman, qui devrait séduire le plus grand nombre. Les écrivains français n’osent pas toujours se frotter à la littérature de genre, et il est particulièrement réjouissant de voir un auteur mener à bien un projet aussi ambitieux (ras-le-bol des auteurs prétentieux et égocentrés, qui se regardent écrire et proposent chaque année les mêmes romans étriqués et sans intérêt).
 
Un excellent space opera, dense et abouti. Très distrayant ! A lire.
 
—————————————————
 
Voici mon (premier) pavé d’août pour Bianca, et un nouveau Pavé de l’été pour Brize.
 
Pavé 2014      challenge-un-pave-par-mois

 

3 thoughts on “Dominium Mundi – François Baranger

    1. C'est de la SF très accessible, ce qui explique pourquoi j'y ai pris autant de plaisir (je n'aime pas les textes de SF trop complexes ou oniriques, auxquels j'ai du mal à accrocher).

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *