Elle est pas belle la vie ? – Kurt Vonnegut

Titre original : If This Isn’t Nice, What Is ?
Traduction (américain) : Guillaume-Jean Milan
Editions Denoël, 2015, 153 pages

 

Le premier paragraphe :
Votre déléguée de classe vient d’affirmer qu’elle en avait marre d’entendre les gens dire : “Je suis bien contente de ne pas être jeune aujourd’hui.” Tout ce que je peux dire, c’est : “Je suis bien contente de ne pas être jeune aujourd’hui.”

 

La quatrième de couverture :

 

Kurt Vonnegut, romancier et satiriste d’exception, était en son temps l’un des orateurs les plus demandés pour les cérémonies de remise de diplômes. Chaque fois, il savait trouver des mots originaux, pertinents et drôles, dont les étudiants se souvenaient longtemps. Elle est pas belle, la vie?rassemble des discours que l’écrivain a prononcés dans neuf universités entre 1978 et 2004. Tantôt hilarantes, tantôt incisives, en roue libre ou du plus profond sérieux, ces réflexions sont parfaites pour quiconque fait l’expérience de ce que Vonnegut appelle «la cérémonie tant attendue de la puberté», marquant la transition entre les études et la vie d’adulte.

 
 

L’opinion de Miss Léo :

 

Voici une lecture qui sort des sentiers battus ! Je lis essentiellement des romans, mais j’apprécie de me laisser surprendre de temps en temps par des ouvrages “non-fictionnels” de qualité, comme ce fut le cas avec ce recueil de discours drôles (souvent) et incisifs (la plupart du temps), mitonnés avec un sens aigu de la provocation par un Kurt Vonnegut paternel et malicieux. Neuf allocutions étalées sur presque trente années, au cours desquelles le romancier satiriste évolue en roue libre pour nous faire partager ses considérations sur la vie, l’amour, la politique et tout le reste… Je ne connaissais Vonnegut que de nom, mais j’ai très vite été séduite par l’intelligence qui émane de ses propos, bien que ceux-ci se révèlent parfois parfois légèrement décousus et redondants (peut-être ceux-ci auraient-ils gagné à âtre entendus plutôt que lus).

 

L’ensemble cohérent formé par les neuf discours mis bout à bout permet de se faire une idée assez précise de la pensée humaniste de l’écrivain, lequel développe une vision du monde dont je me sens relativement proche. J’ai découvert une personnalité attachante, capable de débiter des âneries avec le plus grand sérieux, puis d’enchaîner sans transition sur une réflexion d’une insondable profondeur, qui invite l’auditoire à réfléchir et à se positionner. Le ton se fait volontiers taquin, notamment lorsque Vonnegut interpelle son (jeune) public, avec lequel s’établit une certaine forme de connivence. Le brillant orateur se montre parfois un brin cabotin, mais le contenu de ses interventions ponctuées d’anecdotes n’en demeure pas moins toujours pertinent, et l’on repère assez rapidement quelques obsessions (ce qui se traduit par quelques redites, certains thèmes revenant de façon récurrente à chaque discours). On peut ainsi citer pêle-mêle les rites de passage, la solitude des êtres, Jésus Christ, l’importance des sciences, la musique, les armes et les bombes (Vonnegut est profondément anti-militariste), l’industrie du divertissement, les ouvriers, les professeurs, la vieillesse, et j’en oublie sûrement !

 

Un extrait valant mieux qu’un interminable palabre, je me suis permis de recopier ces quelques pages, assez révélatrices du style inimitable de Vonnegut.
 

“A votre arrivée sur terre, et même à la mienne, le monde industrialisé était déjà totalement accro aux énergies fossiles, et très bientôt il n’y en aura plus du tout. Bonjour l’état de manque. […]
C’est une université, n’est-ce pas ? N’est-il pas de mise de dire ici la vérité aux jeunes gens ? On n’est pas au journal télévisé, que diable !
Et voici la vérité, selon moi : nous sommes tous accros aux énergies fossiles et, sans nous l’avouer, à deux doigts d’être en manque.
Et comme tant d’autres accros à deux doigts d’être en manque, nous commettons maintenant des crimes violents afin d’obtenir le peu qu’il reste de ce à quoi nous sommes accros.
Mais détendez-vous. J’ai une blague qui dissipera toute morosité. Une blague de Martien. La voici, et quoi qu’il en soit, il nous reste la musique et notre sens de l’humour :
Aujourd’hui, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle, chers amis. La mauvaise nouvelle, c’est que les Martiens ont atterri à New York et qu’ils logent au Waldorf Astoria.
La bonne nouvelle, c’est qu’ils ne dévorent que les clochards et qu’ils pissent de l’essence. […]
Et vous n’avez pas encore entendu parler de la crotte de Martien. C’est de l’uranium ! Une seule d’entre elles suffit à éclairer et chauffer chaque foyer, école, église et entreprise de Tacoma.
Ce que ça fait d’avoir mon âge ? Je suis infoutu de me garer parallèlement au trottoir, désormais, alors soyez gentils de ne pas me regarder en pleine action. ET la pesanteur est devenue bien moins amicale et gérable qu’elle ne l’était autrefois.
Je suis aussi devenu ostensiblement châtré. Je suis aussi chaste que cinquante pour cent du clergé hétérosexuel catholique. […]
Mais écoutez ceci : j’ai reçu une lettre d’une femme un peu bébête il y a un certain temps. Elle savait que j’étais moi-même un peu bébête, démocrate façon Franklin Roosevelt, ami des ouvriers. Elle allait avoir un bébé, pas de moi. Elle voulait savoir si c’était une erreur de donner naissance à un petit innocent dans un monde aussi affreux que le nôtre. Je lui ai répondu qu’à mes yeux, si la vie valait – presque – d’être vécue, c’était à cause des saints que j’avais rencontrés. Car ces gens faisaient montre de compassion et de compétence en toutes circonstances, et ils pouvaient être partout.
Alors il se peut que certains d’entre vous ce soir soient ou deviennent des saints pour l’enfant à venir. La plupart d’entre nous sont lestés du péché originel. Mais un nombre surprenant d’entre nous, sauf moi, Dieu en est témoin, sont lestés de la vertu originelle. C’est-y pas mignon ?
Il est maintenant temps pour moi d’entamer l’atelier d’écriture.
Règle numéro un : n’utilisez pas de point-virgule. Cet hermaphrodite travesti ne représente rien. Il n’est bon qu’à montrer que vous êtes allés à l’université.
Je me rends compte que certains d’entre vous ont peut-être du mal à discerner si je plaisante ou non. Alors à partir de maintenant je mettrai mon pouce sur mon nez quand je plaisanterai.
Par exemple ? Engagez-vous dans la garde nationale ou les Marines et enseignez la démocratie.
(NEZ.) […]” 



(pages 84-88, Discours n°5, 17 avril 2004)

 

Si ces quelques paragraphes ne vous enthousiasment pas plus que ça, mieux vaut éviter le lire le livre. Si vous avez été interpellé par la forme comme par le fond, alors il y a de fortes chances pour que vous passiez un agréable moment avec ce recueil, le reste étant peu ou prou du même acabit.

 

Chaque discours débute par une illustration, ainsi que par un titre et un sous-titre à rallonge (ce qui m’a beaucoup plu, comme vous pouvez vous en douter).
 
Exemple :

5
Comment la musique soigne nos maux
(et ils sont nombreux)
Vonnegut regarde la face cachée des choses et découvre que la musique, la valse, le blues, l’humour et “les gens qui se montrent compatissants” rendent la vie digne d’être vécue.

 

Pour résumer : j’ai apprécié la philosophie du message transmis par Vonnegut aux jeunes générations. Le satiriste porte un regard extrêmement lucide et parfois désabusé sur la société américaine, mais son pessimisme semble toutefois tempéré par une inaltérable et inébranlable foi dans la capacité de certains hommes à faire le bien, tout en menant une existence décente, ouverte sur les arts, les sciences, la culture et le bien-être d’autrui. Ses discours, engagés mais jamais moralisateurs, véhiculent quoi qu’il en soit une leçon de vie édifiante, de nature à marquer durablement les esprits.

 

J’ai bien envie de tenter un roman de Vonnegut (peut-être Abattoir 5)…
 
Le monde selon Vonnegut en neuf discours : enrichissant et plein d’humour, bien que les textes soient de qualité assez inégale.
 
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Livre lu dans le cadre d’un partenariat avec les éditions Denoël.
 

4 thoughts on “Elle est pas belle la vie ? – Kurt Vonnegut

  1. J'ai été moins prolixe (ton billet est très bien!) mais en gros c'est l'idée, quoi. A toi de découvrir ses romans, maintenant (et vu ses expériences en 1945, on comprend qu'il soit anti militariste.

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