La Folle du logis – Rosa Montero

Titre original : La Loca de la casa
Traduction (espagnol) : Bertille Hausberg
Métailié, 2004, 201 pages

 

La première phrase :
J’ai pris l’habitude de classer les souvenirs de ma vie à partir du calendrier de mes amours et de mes livres.

 

L’histoire :
(extrait remanié de la quatrième de couverture)
La romancière et journaliste Rosa Montero invite le lecteur à un surprenant voyage entre vérité et fiction, mêlant allègrement la littérature et la vie en un cocktail excitant de biographies d’écrivains et d’anecdotes tirées de ses propres souvenirs.
A travers un panorama des folies et des faiblesses d’auteurs comme Melville, Goethe, Tolstoï ou M. Amis, ou bien des mécanismes de la passion amoureuse dont elle est elle-même la proie, elle bouscule le lecteur ravi. Elle lui propose une analyse des peurs et des névroses des romanciers, mêlée au récit des aventures et des tours cocasses que sa propre imagination lui a souvent joués.

 
 

L’opinion de Miss Léo :

 

“L’imagination est la folle du logis” Sainte Thérèse d’Avila

 
Génial ! Je ne trouve pas d’autre qualificatif pour exprimer mon enthousiasme. Rosa Montero m’avait déjà séduite au travers de ses romans, et c’est donc tout naturellement que je me suis tournée vers cet essai, jugé brillant par la plupart des fans de l’auteur madrilène. Je l’ai tellement aimé que j’en viens à me demander pourquoi je ne l’ai pas sorti plus tôt de ma PAL (il faudrait que je redéfinisse mes priorités pour l’année à venir). Quoi de plus réjouissant en effet que de se laisser porter par la plume jubilatoire et limpide de la talentueuse conteuse espagnole, laquelle brode autour du thème de l’imagination et de la création littéraire pour nous offrir un récit dense et malicieux, érudit et cependant très accessible ?
 
Ecrit avec passion, nourri de références et de citations empruntées à divers écrivains du Panthéon littéraire de Rosa MonteroLa folle du logis se lit comme un roman, sans que la réflexion ne devienne jamais pesante ou inutilement démonstrative. On croit d’abord avoir affaire à un essai partiellement autobiographique et fourmillant d’anecdotes personnelles, dont le récit circonstancié servirait de point de départ à une exploration approfondie des affres de l’écriture et des origines mystérieuses de l’inspiration. La romancière semble puiser dans ses propres expériences, tantôt banales, tantôt étranges, voire traumatisantes, pour illustrer ou étayer son propos, expériences qu’elle met ensuite en perspective avec les biographies et les techniques de travail des grands romanciers des siècles passés, construisant ainsi une vaste mosaïque dont l’assemblage finit par former un tout remarquablement cohérent, qui plus est d’une grande richesse thématique.
 

La “folle du logis” du titre n’est autre que l’imagination, laquelle se révèle la plupart du temps facétieuse et imprévisible, et par conséquent source de désordre et de tourments. Rosa Montero explore avec intelligence l’influence de ce Daemon intérieur sur l’écriture : intimement liée aux peurs et aux névroses de l’individu, celle-ci se nourrit également de souvenirs conscients ou inconscients, mais aussi de rêves délirants ou de drames passionnels, qui fournissent la matière nécessaire à l’auteur de fiction en quête d’inspiration.La relation de l’écrivain avec son oeuvre et le processus de création sont ici envisagés sous différents angles. L’écrivain sous l’emprise de drogues… L’écrivain adulé devenu mauvais après avoir connu le succès (cf Truman Capote, qui déclina lentement après le triomphe de In Cold Blood)… Les épouses d’écrivains (dont le rôle se révèle souvent essentiel et méconnu)… Les écrivaines (un non-sujet, selon Rosa Montero, pour laquelle la distinction entre romanciers et romancières ne présente aucun intérêt)… Les auteurs fous… Les écrivains-lecteurs (ou peut-être serait-il plus juste de parler de lecteurs-écrivains)… Les écrivains-journalistes… Vous l’aurez compris, La Folle du logis est avant tout un brillant hommage aux écrivains, qui donne envie de découvrir ceux que l’on n’a jamais lus (cela tombe plutôt bien : Capote et Victor Klemperer sont déjà dans ma PAL !), mais aussi de relire ceux que l’on a aimés autrefois. Cerise sur le gâteau : Rosa Montero n’hésite pas à porter un regard critique sur ces romanciers ou essayistes renommés, et dresse par exemple un portrait bien peu flatteur de l’odieux Tolstoï (dont elle reconnaît toutefois le formidable talent). Elle signe ainsi une oeuvre dense et ambitieuse, où se côtoient Goethe, Calvino, McCullers, Voltaire, George Eliot, Rimbaud, Kipling ou Zola, sans oublier les auteurs anonymes des Contes des Milles et une Nuits (lesquels font l’objet d’une analyse savoureuse).
 
J’ai particulièrement aimé la façon dont la romancière se met elle-même en scène dans son essai, tentant par exemple d’analyser la présence récurrente de personnages nains dans l’ensemble de son oeuvre. Elle semble peu à peu se dévoiler, évoquant notamment les souvenirs liés à sa complicité/rivalité avec sa soeur jumelle Martina, ou encore son aventure brève mais passionnée avec un certain M. La réalité est cependant bien plus complexe, et le lecteur se fait balader en beauté pendant deux-cents pages d’un récit admirablement construit, lui même marqué du sceau de l’imagination, au cours desquelles il lui faudra constamment démêler le vrai du faux. Quelle part de lui-même un romancier met-il dans ses écrits ? L’autobiographie ne serait-elle que mensonges et affabulation ? Ne faudrait-il pas plutôt chercher des fragments de vérité dans les oeuvres de fiction ?Autant de questions auxquelles Rosa Montero répond avec brio, pour notre plus grand bonheur.

 

Pour résumer : un essai-fiction intelligent et plein de vie, dans lequel la romancière espagnole s’amuse à manipuler son lecteur, sans pour autant faire l’économie d’une véritable et passionnante réflexion. De grâce, faites-moi le plaisir de vous procurer cette petite merveille dans les plus brefs délais (il serait d’ailleurs bon qu’un éditeur se décide à publier La folle du logis au format poche). Il fait pour moi partie des indispensables, au même titre que la formidable Histoire de la lecture d’Alberto Manguel.Je vais pour ma part continuer à découvrir les romans de Rosa Montero. Mes préférés demeurent pour l’instant Le Roi Transparent et Des larmes sous la pluie, mais je lirai très prochainement Instructions pour sauver le monde, qui m’attire énormément.
 
Brillant, jubilatoire et captivant. Coup de coeur !
 
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Nouvelle participation au challenge Petit Bac d’Enna, catégorie Gros mot (au sens très large).