Ces rêves qu’on piétine – Sébastien Spitzer

 Editions de l’Observatoire, 2017, 307 pages

 

La première phrase :

Un pas. Une pierre. Un chemin de poussière. Un printemps qui bourgeonne. Au fond bruisse un torrent. De loin.

 

L’histoire :
Printemps 1945. Destins croisés… Tandis que Magda G. rejoint ses enfants dans le bunker pour y vivre les dernières heures du Reich millénaire, des rescapés juifs errent sur les routes après l’évacuation des camps. Parmi eux, Ava, une petite fille née dans le KZ-Bordell d’Auschwitz, détentrice d’un rouleau de cuir contenant des témoignages de prisonniers récoltés au fil des années.
 
L’opinion de Miss Léo :

 

Ces rêves qu’on piétine fait partie de ces romans inexorablement destinés à finir entre mes mains, estampillés du label “Miss Léo compliant”. J’ai lu “Magda Goebbels” et “KZ-Bordell” dans le résumé, et je me suis instantanément jetée dessus sans réfléchir, bien que ne connaissant ni l’auteur ni la maison d’édition. Très impatiente, j’étais. Un brin méfiante aussi, compte-tenu des thématiques abordées…Pari gagné pour Sébastien Spitzer, qui propose une approche originale et personnelle d’un sujet qui ne l’est pas. J’ai lu ce roman avec grand plaisir, malgré quelques bémols que j’évoquerai plus loin. Ces rêves qu’on piétine tient la route, et ravira tout autant les amateurs de littérature que les monomaniaques obnubilés par la deuxième Guerre Mondiale et le Troisième Reich. Le primo-romancier choisit un angle intéressant pour évoquer la fin de la guerre en Europe. On pouvait pourtant craindre le pire, avec d’un côté la tristement célèbre Magda G., et de l’autre une petite fille mutique rescapée d’Auschwitz… Une association improbable qui aurait pu déboucher sur une catastrophe, mais qui se révèle finalement intéressante et bien dosée.
 
Soyons honnête, je n’ai rien appris concernant Magda Goebbels, fascinante et répugnante figure historique dont la biographie est aujourd’hui parfaitement connue (j’ai d’ailleurs lu récemment Les roses noires de Jane Thynne, un excellent roman d’espionnage au féminin, dans lequel on retrouve peu ou prou les mêmes éléments concernant Magda). Sébastien Spitzer cite clairement ses sources, et reconstitue avec habileté et pertinence le parcours et les dernières heures de la mère Goebbels, infanticide compris. Cette partie du récit est très bien menée, mais il n’en demeure pas moins que tout ce qui relève de l’interprétation psychologique des faits et gestes la première dame du Reich reste du domaine de la supputation. Nous sommes donc bien dans une fiction basée sur des événements réels, ce que confirme la deuxième trame narrative, consacrée à l’errance d’Ava et de ses compagnons de route.
 

On sent tout au long du roman la patte journalistique de l’auteur, qui se base sur des archives manuscrites ou photographiques pour construire son oeuvre littéraire. Le style est assez descriptif, et le contexte historique est très bien documenté, ce qui asseoit la crédibilité de l’ensemble. Sébastien Spitzer parvient à restituer en peu de mots la vie monotone dans le bunker d’Hitler, ou les atrocités du sinistre bordel d’Auschwitz. On ressent sans peine l’horreur vécue par les prisonniers évacués en 1945, l’épisode de la libération des camps étant évoqué avec pudeur à travers une poignée de destins individuels imaginés par l’auteur. Ce dernier signe un récit à échelle humaine, et crée quelques (beaux) personnages joliment croqués, anonymes ou inspirés de personnalités réelles (mention spéciale à la lumineuse photographe américaine Lee Miller, renommée Lee Meyer pour l’occasion).

 

Les lettres (fictives) de Richard Friedländer à sa fille Magda m’ont en revanche semblé légèrement tirées par les cheveux. Ces missives pleines de clairvoyance assurent un lien fragile et artificiel entre les deux histoires, qui ne m’a pas vraiment convaincue. La structure est bancale, mais je dois toutefois reconnaître que la double narration donne de la cohérence et de la force au roman. Il m’aura toutefois manqué un petit quelque chose pour être totalement convaincue.

 

Je suis également très réservée en ce qui concerne le style. J’ai trouvé le récit trop haché, surtout au début. Cela n’engage que moi, car le roman me semble plutôt bien écrit, et très efficace à sa manière. Sébastien Spitzer propose une écriture vivante et très littéraire, dont la sobriété ne fait que renforcer l’aspect tragique des événements relatés, avec un petit côté macabre en prime. Comme j’ai un coeur de pierre, je ne suis pas très sensible à cette prose que d’autres ont pourtant trouvée si émouvante. Certain(e)s en ont parlé avec des trémolos dans le clavier/la voix : ce ne sera pas mon cas, même si, je le répète une nouvelle fois, j’ai dans l’ensemble apprécié ma lecture.
 
Un premier roman prometteur et ambitieux, qui va au bout de sa démarche. A découvrir !

 

D’autres avis (élogieux) chez Meelly Lit, Jérôme, Leiloona
 

7 thoughts on “Ces rêves qu’on piétine – Sébastien Spitzer

  1. Je te trouve très indulgente… Moi aussi je suis encore fascinée par cette période, sur laquelle j'ai déjà pas mal lu …Aussi je serais tentée de dire qu'ici on perd sur les tous les tableaux 1/on n'apprend rien ( la fiche Wikipedia de Magdalena Goebbels, consultée post lecture , etait plus complète, et complexe , c'est un comble ) 2/du point littéraire, c'est quand même faible faible faible …formules toutes faites, clichés, adjectifs tarabiscotés, sans compter les anachronismes et invraisemblances … Je ne cacherai pas que cette lecture fut une déception et que je regrette mes vingt balles qu'un autre livre de la rentree aurait surement mieux mérité…

  2. Connaissait pas je viens d'aller voir la fiche-fleuve sur wikipedia.
    Ton (petit) bémol sur l'écriture au début : là faudrait que j'aie le livre en mains, mais il me semble deviner, le genre que je fuis en général.
    J'aime bien le commentaire de Mior (j'évite d'acheter un livre trop vite, par peur d'être déçue) (mais ça m'arrive quand même…)

  3. J'ai trouvé les interprétations psychologiques très mesurées, je trouve qu'il reste relativement à distance de tout jugement et j'ai aimé les scènes d'ouverture avec la fuite d'Ava qui sont d'un réalisme assez saisissant.
    Prometteur et ambitieux, c'est ce que j'ai également conclu de ce premier roman 😉

  4. tu es moins enthousiaste que certains avis très élogieux lus sur la blogo, mais ton avis globalement positif ne me fait pas regretter de l'avoir demandé dans le cadre des matchs de la RL!

  5. C'est un livre qui ne me tente pas car ce sujet a été vu et revu, non ? Je suis confortée dans cette position après avoir lu ton billet car je n'aime pas le style journalistique dans un récit qui se veut être littéraire.

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