L’amie prodigieuse / Le nouveau nom – Elena Ferrante

Titre original : L’amica geniale
Traduction (italien) : Elsa Damien
Folio, Gallimard, 2014, 430 pages
 
Livre reçu en service-presse.

 
La première phrase :
Ce matin Rino m’a téléphoné, j’ai cru qu’il voulait encore de l’argent et me suis préparée à le lui refuser.
 
L’opinion de Miss Léo :
 
J’ai profité de sa sortie au format poche pour (enfin !) découvrir le premier tome de la saga napolitaine d’Elena Ferrante, encensé par mes copines des Bibliomaniacs (Coralie, Eva et Laure en parlent avec des trémolos dans la voix), et généralement encensé par la plupart des critiques, qu’ils soient professionnels ou “simples” blogueurs. L’Italie du Sud n’est pas un pays qui m’attire, mais je me suis laissée tenter par la promesse d’une intrigue fleuve développée sur quatre tomes, faisant la part belle aux relations entre les personnages.
 

J’ai été totalement emballée par les premiers chapitres de ce premier volume, entièrement consacré à l’enfance puis à l’adolescence de Lila Cerullo et Elena Greco, dont l’histoire d’amitié incandescente et ambiguë durera plusieurs décennies. A la fois complices et rivales, parfois contraintes de s’éloigner l’une de l’autre en raison de choix de vie différents, leur relation demeure constamment fascinante, et admirablement développée par l’auteur, entre admiration, affection sincère et jalousie. Les deux petites filles montrent très tôt d’excellentes dispositions intellectuelles, et font partie des meilleurs élèves de leur école, mais la ressemblance s’arrête là. Elena, la narratrice, semble plus terne, moins flamboyante, avec un côté vilain petit canard accentué par son manque de confiance en ses propres capacités. Lila, de son côté, croque la vie à pleines dents, et n’hésite pas à jouer méchamment avec les sentiments d’autrui pour parvenir à ses fins. L’une aura la chance de pouvoir poursuivre ses études au lycée, tandis que l’autre devra très tôt travailler dans la cordonnerie familiale, ce qui générera une certaine frustration, et marquera un premier point de divergence entre les trajectoires des deux amies.
 

Le cadre est original, et même totalement inédit en ce qui me concerne. On découvre la vie quotidienne d’un quartier pauvre de Naples, dont la population peu éduquée peine à s’affranchir de la misère et du climat de violence entretenu par une famille de camorristes sans scrupule. Les enfants se retrouvent dès leur plus jeune âge pris au piège d’un écheveau de relations malsaines, et subissent de plein fouet le manque de considération de leurs propres parents, ouvriers, commerçants ou femmes de ménage, lesquels songent avant tout à l’argent que leur progéniture pourrait leur rapporter. Aller à l’école demeure une chance, surtout pour les filles. L’accès à l’éducation représente ainsi pour Elena une planche de salut, l’espoir d’échapper un jour à la vulgarité de son quartier pour construire une vie meilleure.

 

Elena et Lila évoluent au sein d’un groupe d’amis dont on suit sur plusieurs années le parcours, les aspirations et les premières amours. Je ne suis pas très friande des souvenirs d’enfance en littérature. Il y a cependant un je ne sais quoi de fascinant dans le roman d’Elena Ferrante, qui m’a donné envie de poursuivre la saga. L’écriture agréable et subtile, les profils psychologiques finement élaborés et le ton résolument original de ce récit âpre et sans concession créent une ambiance envoûtante, qui culmine dans les (remarquables) derniers chapitres de ce premier tome, consacrés au mariage de Lila.

 

Je dois néanmoins admettre que je ne partage pas totalement l’enthousiasme de certaines de mes amies blogueuses. J’ai aimé L’amie prodigieuse, mais je trouve que le roman s’éparpille parfois, et j’y ai également décelé quelques longueurs (pour être honnête, je me suis un peu ennuyée au milieu du récit). Si j’ai été séduite par l’évocation de la relation entre Lila et Elena, je me suis en revanche nettement moins intéressée aux autres personnages, qui m’ont paru moins convaincants que les deux héroïnes (NDLA : cette impression s’est cependant estompée lors de ma lecture du second tome). Il faut dire que j’ai parfois eu du mal à les identifier (contrairement à beaucoup de lecteurs, les patronymes russes ne me posent aucun problème, mais je rencontre certaines difficultés avec les noms italiens)… Bref, il m’a manqué un petit quelque chose pour être totalement sous le charme. J’attendais donc le deuxième tome au tournant !
 
Une belle lecture, malgré quelques bémols.
 
 
D’autres avis chez : Jostein, Mior, Delphine-Olympe
 
 
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Titre original : Storia des Nuovo Cognome
Traduction (italien) : Elsa Damien
Gallimard, 2016, 554 pages

 
La première phrase :

Au printemps 1966, Lila, dans un état de grande fébrilité, me confia une boîte en métal contenant huit cahiers.

 
 
L’opinion de Miss Léo :

 
J’ai eu la chance de pouvoir emprunter le second tome à la bibliothèque la semaine dernière. Le nouveau nom commence là où se terminait L’amie prodigieuse, et j’ai très vite retrouvé mes marques. Mariée à seize ans, Lila part en voyage de noces en compagnie de son époux Stefano, tandis qu’Elena poursuit sa scolarité au lycée. Moins proches que par le passé, les deux amies continuent néanmoins à se fréquenter de loin en loin, et se retrouvent à l’occasion de de longues vacances sur l’île d’Ischia, qui marquent un tournant dans le roman.
 
Ce deuxième volume très dense est à mon sens meilleur que le premier, et je suis cette fois réellement enthousiaste ! Davantage resserrée dans le temps, l’intrigue s’étale sur environ six ans, de la fin de l’adolescence à l’entrée dans l’âge adulte, et se concentre sur quelques événements marquants, tout en continuant à développer la personnalité des deux héroïnes, unies par un lien complexe et indéfectible. Les enjeux dramatiques sont cette fois clairement établis, et l’atmosphère devient de plus en plus sombre et poisseuse, derrière l’apparente simplicité du récit.
 
Le nouveau nom fait figure de roman initiatique, les deux amies se trouvant chacune à un tournant de leur existence. L’avenir s’éclaircit progressivement pour Elena, mais Lila doit lutter pour acquérir son indépendance, et échapper à l’emprise d’un mari violemment susceptible. En filigrane se dessine une réflexion sur la place de la femme dans cette société profondément machiste : la plupart des amies d’enfance d’Elena se retrouvent en effet installées très tôt dans un rapport de soumission vis à vis des hommes, et doivent endurer les coups prodigués par leurs époux tous-puissants, lesquels ne font d’ailleurs que reproduire les comportements de leurs propres pères. Le mariage de Lila et Stefano est ainsi ponctué de moult disputes, qui m’ont rappelé certaines scènes du Parrain, ma trilogie fétiche (j’ai souvent pensé à la raclée collée par Carlo Rizzi à l’insupportable Connie, mais aussi à la terrible scène de rupture entre Michael et Kay).
 
Plus imprévisible que jamais, matériellement à l’abri du besoin, mais souffrant d’un manque affectif croissant, Lila s’empare avidement de toutes les opportunités qui se présentent à elle. Elena jalouse l’intensité des émotions ressenties par son amie, elle qui peine encore à s’affirmer et à trouver sa place. Gauche et réservée, la jeune femme se montre nettement moins entreprenante avec les hommes qu’elle aime, ce qui lui vaut quelques déconvenues. Elle se construit néanmoins une culture et une éducation solides, et s’éloigne peu à peu de l’atmosphère pesante et vulgaire du quartier étriqué dans lequel elle a grandi, ce qui se traduit notamment par un usage croissant de l’italien littéraire, plutôt que du dialecte populaire utilisé par son entourage. Elle fréquente de nouveaux milieux, rencontre des étudiants politiquement engagés, se forge des opinions personnelles, mais continue pourtant à se sentir inférieure à ses nouveaux amis, élevés dans une opulence culturelle à mille lieues des préoccupations de sa propre famille. La réussite d’Elena fait écho aux regrets semi-avoués de Lila, qui n’a pu étudier comme elle l’aurait souhaité, et rechigne à reconnaître sa soif de connaissances inassouvie. Agacement, dépendance, admiration, affection, dégoût, confiance : la complexité des relations qu’entretiennent ces deux personnages en plein questionnement existentiel est toujours aussi finement rendue par l’auteur.
 
Porté par deux formidables figures féminines, Le nouveau nom se révèle profondément romanesque, et passionnant d’un bout à l’autre (je l’ai lu quasiment d’une traite). Tout sonne juste chez Elena Ferrante, dont l’écriture limpide et le sens implacable de la construction dramatique contribuent à créer un véritable suspense quant au devenir des principaux protagonistes, lesquels s’étoffent au fil des pages. Je me suis davantage attachée aux personnages secondaires que dans le premier tome, et je me réjouis de retrouver cet univers coloré dans le troisième épisode, qui est paraît-il plus politique (une évolution déjà légèrement amorcée dans ce second volume). Je me demande d’ailleurs si je ne vais pas acheter la suite en anglais, sans attendre la sortie française…
 
Un deuxième tome captivant. Coup de coeur !
 
 
Découvrez les avis de Delphine-Olympe, Laure,  Eva, Clara

 

8 thoughts on “L’amie prodigieuse / Le nouveau nom – Elena Ferrante

  1. Je ne me suis toujours pas laissé tenter… A priori, les histoires de femmes et d'amitié ne me tentent pas trop, sauf si le contexte m'intéresse vraiment.

  2. J'ai vraiment été touchée par cette amitié extrêmement bien restituée. Je trouve ce roman – les deux tomes – très riche et très fin sur la place des femmes dans la société et la manière dont elles doivent se battre pour exister.

  3. J'ai hâte de lire la suite, car comme toi, j'avais trouvé quelques bémols à la première partie. Mais tous les lecteurs semblent préférer le second volet.

  4. J'ai lu le premier tout récemment, que j'ai aimé mais avec quelques bémols, comme toi. Ton enthousiasme pour le second me donne très envie de ne pas trop attendre !

  5. c'est mon dilemme également : attendre la parution en français ou lire les deux tomes restants en anglais? ^^

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