Pyongyang – Guy Delisle

Collection Ciboulette, L’Association, 2003, 176 pages

 

“C’est pas pour dire, mais la Corée du Nord, c’est pas très reggae comme pays.”

 

L’histoire :
Envoyé pour quelques mois en Corée du Nord afin d’y superviser les travaux d’un studio d’animation local, Guy Delisle nous fait le récit de son expérience à Pyongang.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Attention coup de coeur !!!
 
J’ai  découvert Guy Delisle tout récemment à travers ses Chroniques de Jérusalem, primées au dernier festival d’Angoulême. Rappelons qu’il s’agit d’un roman graphique assez conséquent et plein d’humour, dont j’ai fortement apprécié la lecture (n’ayons pas peur des mots, j’ai même été carrément emballée). Désireuse de poursuivre ce voyage entamé de la plus belle façon qui soit, je me suis alors mise en quête des autres créations de cet auteur, et suis  tombée sur ce fameux Pyongyang, que j’ai tout de suite eu envie d’acheter. Ma fascination actuelle pour les régimes dictatoriaux y est sans doute pour beaucoup. Je lis ainsi tout ce que je peux trouver sur l’Allemagne Nazie, qu’il s’agisse de romans, témoignages ou articles de magazines. Je m’intéresse aux mécanismes et aux outils qui permettent à un dictateur de s’assurer la fidélité et la ferveur de tout un peuple  asservi, ainsi qu’aux conditions de survie et d’épanouissement de ce même peuple. C’est justement de cet asservissement qu’il est question dans Pyongyang.
 

 
Depuis Persepolis de Marjane Satrapi, oeuvre brillante et passionnante que je ne me lasse pas de relire, je suis à la recherche d’autres pépites du même accabit, mêlant l’histoire et la découverte d’une culture étrangère à  la chronique vivante et détaillée de la vie quotidienne dans un pays lointain. Pyongang est à cet égard particulièrement satisfaisant.

 

La Corée du Nord est le pays le plus fermé au monde, et par conséquent l’un des moins connus. Un OVNI à l’ère de la mondialisation ! Il est particulièrement difficile d’y entrer, encore plus difficile, pour ne pas dire impossible, d’infiltrer la population locale. Les étrangers, occidentaux en tête, bénéficient en effet d’un traitement très particulier. Surveillés, pilotés, ils ne sont jamais totalement libres de leurs mouvements, et ne voient que ce que l’on veut bien leur montrer (en général des bâtiments ou installations à la gloire du régime). C’est l’un des aspects les plus marquants du témoignage de Guy Delisle : accompagné en permanence de son “guide” et de son interprète, le dessinateur découvre avec amusement et sidération les us et coutumes de ce pays pas tout à fait comme les autres, sans jamais se mêler aux autochtones. L’absence flagrante de personnages nord-coréens dans le récit (en dehors du guide et de l’interprète sus cités) fait d’ailleurs froid dans le dos.
 
Entre culte de la personnalité et propagande, nous découvrons quelques caractéristiques de ce régime surréaliste, qui dépense des sommes mirobolantes pour construire le métro de Pyongyang, véritable œuvre d’art aux allures de cathédrale moderne, conçu pour servir d’abri anti-atomique en cas de nécessité, mais ne peut pourtant assurer la subsistance de ses ouailles. Soumis à une discipline de fer, les nord-coréens se doivent d’afficher ostensiblement leur amour et leur fidélité envers la famille Kim, dans un pays en état de famine et de pénurie permanentes, sous peine de se voir emprisonnés à vie dans des camps pour le moins spartiates. Tout cela est fort sympathique… On retiendra également l’hypocrisie des dirigeants, qui détournent l’aide alimentaire internationale à leur propre profit, maintenant ainsi le peuple dans un état de dépendance.
 


 
Cet état des lieux est profondément déprimant. L’objectif de Guy Delisle n’est cependant pas de nous proposer une analyse politico-économique du contexte nord-coréen. Rien de tout cela dans Pyongyang, qui est avant tout le témoignage d’un canadien expatrié nous faisant part de son expérience au quotidien, avec un mélange de réalisme et de distance amusée. Les situations décrites sont souvent drôles, tout à la fois cocasses et dramatiques, mais suscitent également la réflexion. Comment un tel régime peut-il encore survivre de nos jours ? Comment les nord-coréens, embrigadés depuis leur plus tendre enfance, vivent-ils la situation ? Quel peut-être le devenir économique et politique de ce pays qui, ne l’oublions pas, possède la bombe atomique ? Autant de pistes intéressantes, qui mériteraient d’être approfondies…

 

Un petit mot du style pour finir : j’aime beaucoup ces dessins en noir et blanc, au graphisme simple et pourtant évocateur, qui traduisent tour à tour l’ennui, l’amusement et la stupéfaction du personnage. L’ambiance fantômatique de Pyongyang est magnifiquement rendue. Je vais m’empresser de me procurer Shenzen et Chroniques Birmanes, du même auteur.

 

Une très belle découverte, que je recommande sans hésiter !   🙂

 

5 thoughts on “Pyongyang – Guy Delisle

  1. Je suis ravie que tu présentes cette pépite et je dois bien avouer que j'attendais ta critique avec impatience… Fan de BD reportages et autres ouvrages de ce type, Pyongyang est l'un de mes favoris !
    J'aime beaucoup le style de Guy Delisle, tant pour son graphisme que pour ses choix d'anecdotes… J'ai un faible je dois bien l'avouer pour son humour… (je suis étonnée que tu n'en parles pas dans ton billet).
    Chère Miss Léo, parmi ceux qui te restent à lire, je te conseille particulièrement Les Chroniques Birmanes… mais c'est Pyongyang qui reste mon préféré, je l'avoue !
    Pour ceux qui apprécient ce type d'oeuvres, je conseillerais l'inoubliable et désormais célèbre "Photographe" par Guibert, Lefèvre et Lemercier qui dépeint le parcours de médecins MSF dans l'Afganistan de 1986… (C'est par ce récit magnifique que je suis "entrée" dans la BD reportage).
    Peut-être apprécierez vous également les ouvrages de Joe Sacco…
    Merci Miss Léo pour ce blog… "lectrice compulsive" moi aussi (j'adore ton expression…), je découvre grâce à toi de nouvelles pistes de lectures… J'espère que tu trouveras le temps et l'énergie pour continuer ce blog…

    1. Rectificatif… "oups", mais si,tu parles bien entendu de l'humour dans Pyongyang dans ton billet… désolée pour cette parenthèse qui n'aurait pas dû apparaitre (mais quand c'est publié, c'est trop tard !). Avec mes excuses…

  2. J'ai adoré "Photographe" !!!!! Je vois que nous avons les mêmes références. Concernant Guy Delisle, l'humour est effectivement l'un de ses points forts. J'en parle un peu à la fin, mais peut-être n'ai-je pas suffisamment mis cet aspect en évidence.

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