Jane Eyre – Charlotte Brontë


eBook Kindle, 1847, environ 625 pages

Les premières phrases :

There was no possibility of taking a walk that day. We had been wandering, indeed, in the leafless shrubbery an hour in the morning ; but since dinner (Mrs Reed, when there was no company, died early) the cold winter wind had brought with it clouds so sombre, and a rain so penetrating, that further outdoor exercise was now out of the question.
I was glad of it : I never liked long walks, especially on chilly afternoons. Dreadful to me was the coming home in the raw twilight, with nipped fingers and toes, and a heart saddened by the chidings of Bessie, the nurse, and humbled by the consciousness of my physical inferiority to Eliza, John, and Georgiana Reed.


L’histoire :

Recueillie à la mort de ses parents par sa tante Mrs Reed qui la déteste et la maltraite, Jane Eyre rejoint à dix ans les bancs du pensionnat de Lowood, une institution charitable pour orphelins où il ne fait pas (toujours) bon vivre. Elle y acquiert néanmoins une solide éducation, et se forge un caractère très affirmé. Désormais institutrice à Lowood, Jane souhaite devenir indépendante, et entre à dix-huit ans au service de Mr Edward Fairfax Rochester, lequel cherche une préceptrice pour la petite Adèle, une jeune française que le destin a placée sous sa protection. Jane déménage alors pour Thornfield Hall, somptueuse et lugubre demeure campagnarde, où elle est accueillie chaleureusement par Mrs Fairfax, la vieille gouvernante. Elle ne tarde pas à faire la connaissance de l’ombrageux Mr Rochester himself.Jane découvre un homme mystérieux et plein de contradictions, dont elle va très vite s’éprendre, tandis que des événements étranges viennent troubler le calme de la paisible demeure.


L’opinion de Miss Léo :


Les soeurs Brontë… Trois jeunes femmes brillantes, auteurs d’une oeuvre brève mais passionnante, malheureusement fauchées prématurément par la maladie. Allez savoir pourquoi, j’ai toujours préféré Charlotte et Jane Eyre à Emily et ses Wuthering Heights. J’ai lu les deux romans il y a bien longtemps, sur les conseils éclairés de ma mère. Je n’avais que treize ans à l’époque, mais je les avais dévorés avec enthousiasme, séduite par la plume et l’imagination des deux soeurs.

Quelle ne fut pas ma joie lorsqu’Adalana nous proposa il y a quelques semaines une lecture commune du roman de Charlotte Brontë, à l’occasion de la sortie en salles d’une nouvelle adaptation. L’occasion était trop belle, et je ne pouvais la laisser passer. Me voici donc en train de relire Jane Eyre, avec quelques décennies années de plus au compteur.

Pour découvrir la version courte de mon billet, rendez-vous directement au dernier paragraphe (“Un chef d’oeuvre”). Sinon, vous pouvez aussi lire la version longue (bon courage) !

Un personnage hors du commun
Premier constat : Jane Eyre est un roman remarquable, qui force l’admiration. Superbement écrit, d’une très grande richesse thématique, le récit impressionne avant tout par la modernité et l’originalité de son héroïne, qui en est aussi la narratrice. Jane Eyre est une jeune femme tout à fait étonnante, intelligente et vive, qui fait preuve d’une grande franchise dans ses rapports avec les autres d’une façon générale, et avec Mr Rochester en particulier. Leurs échanges sont très familiers, malgré la différence d’âge et de classe sociale. Les deux tourtereaux conversent d’égal à égal, et entretiennent des rapports libres et désinhibés, émaillés de contacts physiques inconvenants, particulièrement choquants pour l’époque. Charlotte Brontë n’hésite pas à évoquer caresses et baisers, Rochester allant même jusqu’à prendre Jane sur ses genoux. So shocking !

Charlotte et Jane, même combat ?
Le roman fourmille d’éléments autobiographiques. Comme son héroïne, Charlotte fut envoyée avec ses soeurs dans un pensionnat pour orphelines peu fortunées, où les jeunes élèves sous-alimentées devaient se plier à une discipline de fer, et endurer la sévérité d’un règlement souvent absurde. Les petites Brontë seront durablement marquées par la mort prématurée de leurs deux soeurs ainées, victimes de la tuberculose. Cet événement inspira à Charlotte le très beau personnage d’Helen Burns (première amie de Jane Eyre à Lowood), elle-même décédée des suites d’une longue maladie. Comme Jane, Charlotte fut successivement institutrice puis gouvernante. Physiquement insignifiante et d’origine modeste, elle avait bien peu d’espoir de réussir un “beau” mariage, et dut par conséquent travailler pour subvenir à ses besoins. J’ai beaucoup de sympathie pour l’auteur comme pour son personnage ! La vie de Charlotte Brontë dut être bien terne, et l’on comprend qu’elle ait souhaité offrir un destin exceptionnel à son alter ego de papier.

La société victorienne au microscope
Jane Eyre est un roman complexe, qui propose une peinture de la société victorienne dans toute sa diversité. Jane y croise une grande variété de personnages, tous issus de milieux sociaux très différents, dont certains n’échappent malheureusement pas aux clichés. Le roman devient parfois caricatural, en particulier lorsque l’auteur décrit des milieux qu’elle n’a pas l’habitude de fréquenter. Les riches sont ainsi presque systématiquement mauvais ou superficiels, tandis que les classes moins favorisées respirent la bonté ou l’intelligence. Il est vrai que certains personnages ne sont que survolés, alors qu’ils auraient mérité d’être davantage approfondis. Ce ne sont toutefois que de maigres reproches, qui ne m’ont en aucun cas gâché le plaisir de la lecture.Jane se montre parfois étonnamment dure dans son jugement, comme en témoigne ce court extrait consacré aux élèves de l’école dans laquelle elle officie en tant qu’institutrice :

“Wholly untaught, with faculties quite torpid, they seemed to me hopelessly dull ; and, at first sight, all dull alike. But I soon found I was mistaken. There was a difference amongst them as amongst the educated ; and when I got to know them, and they me, this difference rapidly developed itself.”

[Aparté] J’ai parfois le même sentiment lorsque je me retrouve face à une classe… [Fin de l’aparté]

Charlotte Brontë s’interroge sur la place de la femme dans cette société ultra-hiérarchisée. Comment devenir indépendante lorsqu’on est sans le sou ? Institutrice, préceptrice ou demoiselle de compagnie : telles étaient alors les seules professions accessibles pour une jeune femme éduquée. Rien de bien exaltant… Le statut de gouvernante est d’ailleurs fortement dénoncé par l’auteur, qui y voit une autre forme d’asservissement. Se pose également la question de la féminité et des rapports hommes – femmes, déjà évoquée plus haut.

Et Dieu, dans tout ça ?
La religion est très présente dans le roman, qui évoque (entre autres) le mythe du Paradis Perdu, et la difficulté à concilier plaisirs terrestres et devoir moral. Jane aspire au bonheur, mais pas à n’importe quel pris. Elle ne renoncera jamais à ses principes, que ce soit par amour pour Mr Rochester, ou par sympathie envers son cousin St. John Rivers, un clergyman calviniste qui mettra de côté toutes ses émotions pour accomplir son devoir de missionnaire aux Indes.

Un chef d’oeuvre !
Il serait trop long de développer ici l’ensemble des thèmes abordés dans Jane Eyre, pavé foisonnant dont les six-cents pages se lisent néanmoins avec bonheur et délectation. Car Charlotte Brontë nous offre avant tout une intrigue palpitante et riche en rebondissements, articulée autour d’une superbe histoire d’amour impossible, avec en prime une petite touche de fantastique. Jane oscille constamment entre raison et sentiments, tandis que Rochester endosse le rôle du personnage complexe et tourmenté. Jane s’adresse régulièrement au lecteur, qui se sent ainsi davantage concerné par le propos.

“I waited now his return, eager to disburthen my mind, and to seek of him the solution of the enigma that perplexed me. Stay till he comes, reader, and when I disclose my secret to him, you shall share the confidence.” (chap. 25)

L’influence gothique, bien plus discrète que dans l’oeuvre d’Emily, se fait ici ponctuellement sentir, ce qui ajoute un petit côté mystérieux à l’histoire. Thornfield Hall semble hanté par une présence maléfique, qui se manifeste par des ricanements hystériques et des bruits étranges. Mais qui est donc cette étrange domestique aux manières abruptes ?

***********
Avertissement : ne surtout pas lire la quatrième de couverture de l’édition Livre de Poche, qui révèle l’un des principaux éléments de l’intrigue (du moins dans la version que je possède). C’est criminel !
***********

Et maintenant, ami lecteur, installez-vous confortablement avec votre exemplaire de Jane Eyre, et laissez-vous posséder par l’image du ténébreux Rochester errant dans la lande à la recherche de sa bien-aimée.

Une oeuvre passionnante, à lire absolument. Coup de coeur !

Je dois maintenant relire Wuthering Heights, lire les autres oeuvres de Charlotte, et découvrir enfin Agnès Grey (probablement moins flambloyant, mais sans doute pas inintéressant). Et puis j’irai bien sûr voir le film, qui sort aujourd’hui en France. Première réflexion : Michael Fassbender et Mia Wasikowska me paraissent idéaux dans leurs rôles respectifs !

22 thoughts on “Jane Eyre – Charlotte Brontë

  1. J'ai beaucoup aimé (même si ma préférence va pour le roman d'Emily Brontë), il n'empêche que j'ai un coup de cœur pour Jane Eyre. La plume de Charlotte est peut-être plus abouti que celle de sa soeur… Quel talent !

  2. Ah ! Jane Eyre ! Il me tarde de voir la dernière adaptation ! J'avais aimé la description des sentiments si nuancées et puis celle de la nature… Rochester ne se déguise-t-il pas un moment en voyante ? (J'espère que je n'ai pas inventé ce passage :-()… Je viens juste de m'acheter Agnes grey, car je ne connais pas encore l'écriture de la troisième soeur…

    1. Rochester se déguise bien en voyante. J'ai beaucoup aimé ce passage, très bien amené. J'ai vu le film hier. J'ai trouvé qu'il s'agissait d'une bonne adaptation. Mia Wasikowska est parfaite, et le film a bien saisi l'essence du personnage de Jane.

  3. votre lecture commune m'a donné envie de me lancer, enfin, dans la lecture de ce roman…les 100 premières pages ont filé…j'ai hâte de pouvoir me plonger dans la suite du récit…

  4. ta 4e de couverture a osé dévoilé "l'évènement" ? mais c'est criminel de faire une chose pareille ! sinon comme tout le monde j'ai adoré 😀

  5. Un de mes plus gros coups de coeur! Il suffit que j'entende le doux nom de Jane Eyre pour qu'un flot d'émotions m'envahissent!
    Tu en parles très bien!

  6. Je découvre ton blog grâce au commentaire que tu as laissé sur le mien, et je suis enchantée ! Je sens que je vais pouvoir te piquer plein d'idées de lectures. Jane Eyre, je l'ai découvert il y a 8 mois à peu près, et j'ai adoré, comme Les Hauts de Hurlevent, même si les deux ouvrages sont très différents (je crois préférer Les Hauts, mais je n'en suis pas sûre). Je suis allée voir le film hier, c'était génial. La critique est prête, je la posterai bientôt.

    1. Merci de ta visite ! J'essaye de diversifier mes lectures, afin de ne pas m'enfermer dans un style en particulier.
      J'ai moi aussi vu l'adaptation de Jane Eyre, que j'ai trouvée plutôt réussie (à quelques réserves près). Le film a bien saisi l'essence du personnage de Jane, qui est par ailleurs très bien interprétée.

  7. Beau billet (long détaillé, comme j'aurais aimé écrire le mien 😉 ) Merci de m'avoir appris ces détails sur la vie des soeurs. Il me reste à lire les Hauts de Hurl-vent alors…

  8. Belle chronique pour un livre culte. Je suis un grand fan des Brontë, presque marabouté par ces 3 jeunes femmes. Charlotte est le plus souvent celle qui est mise en avant mais je ne suis pas sur que ça soit la plis intéressante des 3…Les hauts de hurlevent est encore plus fort et réellement choquant et libre pour l'époque. Quant à Anne, si je peux me permettre un conseil, contrairement à ce que retiennent généralement les lecteurs, laisse de coté Agnès Grey et opte pour la locataire du manoir de Wildfell Hall…

    1. Oups, j'avais oublié ce commentaire… Ca tombe bien, j'ai Wildfell Hall dans ma PAL (ainsi qu'Agnes Grey d'ailleurs). J'ai lu Hurlevent il y a (très) longtemps, quand j'étais ado. Je t'avoue que je l'ai un peu oublié (Jane Eyre m'avait davantage marquée). J'ai très envie de le relire ! Merci de tes passages sur mon blog, j'essayerai de te répondre plus rapidement la prochaine fois.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *