La perruque de Newton – Jean-Pierre Luminet

Le Livre de Poche, Editions JC Lattes, 2010, 449 pages

 
Les premières phrases :

Isaac descendait l’allée centrale menant aux grilles du manoir de Harlaxton, tel un petit soldat allant à la bataille en portant son arme sur l’épaule. En guise de mousquet, la grosse canne en bois d’olivier et au pommeau d’ivoire jauni que lui avait offerte sir Askew.
Cet antique objet avait été façonné, selon la légende, dans le bâton dont se servait Euclide pour dessiner sur le sable d’Alexandrie ses figures géométriques. On ignore comment ce “bâton d’Euclide” s’était retrouvé dix-huit siècles plus tard entre les mains de Paracelse.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Jean-Pierre Luminet est un célèbre astrophysicien français réputé pour ses travaux sur les trous noirs et ses nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique. Il nous propose de découvrir à travers cette biographie romancée la personnalité complexe et à bien des égards exceptionnelle de l’un des plus fameux savants que la Terre ait portés, dont les travaux contribuèrent à imposer une nouvelle vision du monde et de l’univers. La perruque de Newton est le quatrième opus d’une série consacrée aux “Bâtisseurs du ciel”, les trois premiers volumes relatant la vie et l’oeuvre de ces “aventuriers du savoir” que furent Copernic, Tycho Brahé, Kepler, et Galilée.

 

Nous avons tous en mémoire l’image romantique d’Isaac Newton recevant une pomme (ou un pélican) sur la tête, incident qui l’amènera à concevoir sa fameuse théorie de la gravitation universelle. Merci Marcel Gotlib ! Merci la Rubrique-à-Brac.
 

Rubrique-à-Brac (Marcel Gotlib)

 

L’image du savant solitaire absorbé dans ses réflexions semble assez conforme à la réalité. Isaac Newton  (1642-1727) mena en effet pendant de nombreuses années une existence assez terne, consacrée en grande partie à l’étude et à la réflexion. Jean-Pierre Luminet dresse le portrait d’un personnage peu attachant, paranoïaque et calculateur, souvent de mauvaise foi, à la limite de l’autisme dans ses relations avec autrui, qui s’affirma néanmoins comme l’un des plus brillants esprits de son siècle, faisant montre dès son plus jeune âge d’une intelligence et d’une inventivité hors du commun.Rien ne laissait présager que le petit prodige de Woolsthorpe deviendrait un jour professeur au Trinity College, où il connut des débuts difficiles en tant que sous-boursier. Nul ne pouvait non plus imaginer que le jeune Isaac Newton, adolescent fantasque et taciturne, serait nommé successivement directeur de la Monnaie (où il se montrera impitoyable), puis président de la Royal Society !
 
“Il se lève, saisit une pierre plus grosse, s’approche d’un pas. La tenant ferme dans la main, il fait balancer son bras le long de sa hanche par un mouvement oscillatoire pour donner plus de force à son jet et, enfin, la lâche. La pierre fait un bel arc de parabole et va heurter la pomme, qui tombe.
Hourra ! Il dresse le poing en un petit geste de victoire. Il regarde la Lune, qui éclaire le toit de la maisin de sa blancheur blafarde. Ses sourcils se froncent. Il devient grave et prononce cette évidence comme s’il s’en apercevait pour la première fois :
– La Lune, elle, ne tombe pas.” (p.94)
 
Admiré et craint de ses contemporains, Isaac Newton fut avant tout un scientifique polyvalent et prolifique, qui inventa le télescope, développa le calcul infinitésimal, et publia deux traités essentiels sur la lumière et le mouvement. On lui doit d’avoir énoncé la fameuse loi de la gravitation universelle, mais aussi d’avoir rigoureusement établi les fondements de la mécanique newtonienne, encore largement enseignée aujourd’hui. Ses Philosophiae Naturalis Principia Mathematica (1686), publiés par l’astronome Edmund Halley (celui de la comète), connurent un grand retentissement, et finirent d’asseoir la réputation de l’ours de Cambridge au sein de la communauté scientifique.
 
La passion obsessionnelle de Newton pour l’alchimie et les sciences occultes l’empêcha cependant de s’illustrer en chimie, tant il s’obstina dans des pratiques archaïques et stériles, qui se révélèrent au final bien peu productives. Il faudra attendre près d’un siècle pour que Lavoisier modernise enfin cette (superbe) discipline !
 
Le récit permet également de mesurer l’importance de la religion dans la vie et les recherches de Newton, qui était aussi un grand théologien, spécialiste de la Bible. S’il cherche à percer les mystères de l’Univers, c’est avant tout parce qu’il est persuadé que le fonctionnement harmonieux d’un système aussi parfaitement ordonné que le Système Solaire ne peut résulter que d’un choix opéré par un Etre supérieur. Il rejette d’ailleurs en bloc la philosophie et les théories de Descartes, qu’il méprise copieusement, et qu’il ne cesse de tourner en ridicule.
 
“Les mois passèrent sans que Newton donnât signe de vie à la Royal Society. Halley venait le visiter de temps à autre, se gardant bien de le hâter de finir ce qui devait bouleverser la vision admise du mouvement des planètes, et de toutes les forces à l’oeuvre sur Terre et dans l’univers. Les tourbillons de Descartes seraient relégués au cabinet des curiosités.”
 
Je connaissais déjà les principaux éléments de la biographie de Newton, mais j’ai apprécié que ceux-ci soient mis en situation et replacés dans leur contexte historique et politique. Nous découvrons la société et les moeurs de l’époque à travers la trajectoire d’Isaac, qui fut élevé en milieu rural, avant de côtoyer universitaires, scientifiques, penseurs et riches aristocrates dans les tavernes et les salons de Cambridge ou Londres (une ville moderne, reconstruite par l’architecte Christopher Wren après le grand incendie de 1666).
 
La perruque de Newton dresse un panorama des connaissances scientifiques de l’époque. Huygens, Hooke, Boyle ou Leibniz sont tous contemporains de Newton, avec lequel ils entretiennent une correspondance plus ou moins poussée. On ne peut cependant pas dire que l’entente règne, ni que ces grands esprits travaillent main dans la main. Newton, d’un naturel méfiant et provocateur, se fit quelques “ennemis”, à l’image de Hooke, secrétaire de la Royal Society, envers lequel il nourrira toute sa vie une haine vivace. Nos amis savants se perdent dans de vaines querelles, et se disputent parfois l’antériorité de leurs découvertes et inventions. On reste songeur, et l’on rit parfois devant tant de puérilité.
 
Il est intéressant de remarquer que politique et progrès scientifique entretiennent des liens étroits. L’Angleterre cherche à assurer sa supériorité sur la France, rivale de toujours. La concurrence fait rage, aussi Charles II ordonne-t-il la construction d’un observatoire moderne à Greenwich : pas question de se laisser distancer, quand Louis XIV dispose déjà d’un observatoire dernier cri, où officie l’astronome Jean-Dominique Cassini !
 
“Isaac connaît Flamsteed pour l’avoir reçu quelques années auparavant, alors que celui-ci venait examiner sa lunette au nom de la Royal Society. Il avait été séduit par l’enthousiasme de l’astronome, de quatre ans son cadet, mais aussi par la façon dont Flamsteed avait convaincu ses collègues de la Royal Society et le monarque lui-même du bien-fondé de la création d’un véritable observatoire céleste, à Greenwich, dans la banlieue de Londres, pouvant concurrencer celui que le Roi Soleil venait d’ériger à Paris.” (p.220)
 
Jean-Pierre Luminet aborde d’autres aspects particulièrement intéressants relatifs à l’histoire des sciences. Le passage de Newton à la tête de la Royal Society contribue ainsi à la modernisation de cette respectable institution, ce qui marquera le début de la recherche scientifique organisée. Une plus grande attention sera désormais portée à la diffusion du savoir et à la communication entre savants, afin de favoriser les progrès scientifiques et technologiques, dans le but de servir l’humanité toute entière.
 
“- La situation de la Royal Society est désespérante, soupira Sloane. Nous n’avons plus de curateur, nous n’avons plus de président, il semble que nul n’ait le courage de se mettre au chevet de cette pauvre malade, que le médecin que je suis commence à croire agonisante.
– Il faudrait en changer radicalement les statuts, répondit Wren, et en faire une académie des sciences à la française, avec ses disciplines bien distinctes, mais où surtout le gouvernement et les choses de la politique n’interviennent pas. Pour cela, Paris a son Académie de lettres, où se retrouvent ses poètes courtisans, ses ministres les plus incompétents, ses évêques séniles et ses amiraux de bateaux-lavoirs.
– Je ne suis pas sûr, intervint Montague, que Sa Majesté accepte d’imiter son pire ennemi, le vieux tyran Louis XIV.” (p.385)

 

Signalons pour finir l’apparition inattendue d’une guest-star française exilée à Londres et fan d’Isaac Newton dans l’épilogue du roman. Je ne vous dis pas de qui il s’agit (à vous de deviner à l’aide de l’extrait ci-dessous) !
 
“- J’ai dû moi-même, jadis, me faire oublier quelque temps sur le continent, monsieur X. Et j’ai eu l’honneur de rencontrer vos éminents compatriotes, Cassini et Huygens.
– Sans vouloir vous contredire, sir Edmund, ces deux grands savants étaient l’un italien et l’autre, hollandais. Mon pays possède cet étrange talent de chasser les meilleurs des siens, comme s’il voulait se transformer en désert de la pensée, puis, assoiffé de savoir, il va puiser ailleurs un peu d’eau pure, à grands frais.” (p.408)
 
Une dernière remarque avant de conclure : le style de l’auteur est plutôt agréable, sans être exceptionnel. On sent Jean-Pierre Luminet fasciné par son sujet, et l’on prend beaucoup de plaisir à découvrir l’homme qui se cachait derrière le cerveau. On pourra trouver les dialogues fictifs un peu naïfs, mais cela ne retire rien à la qualité de ce joli roman, qui amuse et distrait en même temps qu’il instruit.
 
Une biographie romancée intéressante et facile à lire, accessible à tous, qui replace intelligemment les découvertes de Newton dans leur contexte socio-historique.
 
—————————————————-
 

 
J’intègre cette lecture au projet non fiction de Flo, au challenge biographies d’Aline et au challenge Sous le règne de Louis XIV d’Eliza (Isaac était anglais, mais contemporain de notre Louis à nous).

 

 

14 thoughts on “La perruque de Newton – Jean-Pierre Luminet

  1. j'ai lu un livre de Luminet et j'avais bien aimé , cette bio me tente pas mal, je note et je rajoute le lien au challenge, merci et bonne journée.

  2. Elle me tente bien cette série de biographies sur les astronomes (on les considère déjà astrophysiciens ou pas?). J'aime bien même si je n'y connais rien 😉 donc pourquoi pas si c'est facile à lire !

    1. C'est très facile à lire, même quand on n'y connaît pas grand chose en sciences. L'auteur insiste surtout sur les relations entre les personnages et le contexte historique. Les passages sur la religion m'ont un peu ennuyée, mais ils ne sont pas si nombreux que ça.

      Je ne crois pas que Newton ou Copernic puissent être considérés comme des astrophysiciens. Il ne s'agit évidemment que d'un point de vue personnel, et je ne suis pas infaillible… 😉

  3. Voici une bio qui m'intéresse aussi bien pour le contexte que pour découvrir un physicien dont je ne connais que l'histoire de la pomme ! As-tu vu le documentaire sur les Lumières sur arte ? Il commençait justement le documentaire par Newton

  4. Je n'ai jamais été fan des sciences et je n'aurais pas été capable de citer une des inventions de ce monsieur, et pourtant elles sont nombreuses ! Curieux aussi cette façon de mêler science et religion, comme quoi tout était plus imbriqué qu'on ne le pense. Pas d'idée pour la guest star !

    1. Le monde des idées était effectivement beaucoup moins compartimenté qu'il ne l'est aujourd'hui. C'est intéressant.
      La guest-star est un philosophe, dont le nom commence par un V. Facile !

  5. Je ne me suis jamais vraiment intéressée à l'histoire des sciences, mais ces biographies romancées pourraient être un bon début en la matière (en tout cas, meilleur que la conférence sur Kepler à laquelle j'ai assisté dans le cadre d'un cours d'humanisme : la conférencière a semblé oublié qu'elle s'adressait à un auditoire de littéraires, peu sensibles aux mathématiques et formules obscures)
    Par contre, je savais pour la religion entre très présente dans les recherches scientifiques, ayant justement lu un essai qui en traite en partie récemment.
    Tu liras d'autres livres de la série bientôt ? Je suis curieuse d'avoir ton avis si oui !

    Je donne ma langue au chat pour la guest-star : on peut avoir la réponse quand même?

    1. Je pense lire les autres livres de la série, mais j'ai tellement de lectures en attente que cela attendra un peu ! Pour ma part, cela m'intéresserait d'avoir l'avis d'un non-scientifique sur cet ouvrage. Celui-ci me parait en effet tout à fait abordable pour les non-initiés, mais je peux me tromper !

      La guest star est un philosophe frnaçais, dont le nom commence par un V.

  6. Tiens tiens, pourquoi pas! Il me faut dépasser le personnage de Gotlib, c'est sur, même s'il a enchanté ma jeunesse (je possède tous les rubrique à brac)

  7. Ahhh mes connaissances scientifiques sont tellement limitées… Je suis vraiment une littéraire plutôt qu'une scientifique. Je ne connais que très peu Newton, si ce n'est les grandes lignes. Je pense que cette biographie pourrait me plaire. Je prend note.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *