Toute passion abolie – Vita Sackville-West

Titre original : All passion spent
Traduction (1991) : Micha Venaille
Le Livre de Poche (couverture de Christian Lacroix), 1931, 224 pages

 
Les premières phrases :



C’est probablement parce qu’Henry Lyulph Holland, premier comte de Slane, vivait depuis si longtemps, qu’on avait fini par le croire immortel. La longévité rassure et, la première réticence passée, chacun est prêt à considérer le très grand âge comme une marque évidente de supériorité.

 
L’histoire :

Au grand désespoir de ses (déjà vieux) enfants, la très respectable Lady Slane, devenue veuve à quatre-vingt huit ans, décide de passer seule les dernières années de sa vie, passant outre les conseils de sa dévouée (?) progéniture. Elle refuse catégoriquement toute aide matérielle, se soustrait à ses obligations sociales et caritatives, et emménage avec sa vieille domestique Genoux dans une petite maison du quartier de Hampstead. Commence alors une deuxième jeunesse pour celle qui fut pendant presque soixante-dix ans l’épouse soumise du vice-roi des Indes. Si elle se lie d’amitié avec son propriétaire, Mr Gosheron, et sympathise bien volontiers avec l’entrepreneur chargé d’effectuer des travaux d’aménagement dans la vieille bâtisse, elle décline en revanche toute invitation de son envahissante famille. Entre alors en scène un certain Mr FitzGeorge, collectionneur d’art, qui prétend avoir rencontré Lady Slane aux Indes, il y a fort longtemps de cela. L’occasion pour la vieille dame de remuer quelques souvenirs, et de faire le point sur sa vie passée…

 
L’opinion de Miss Léo :
 

Nom : Sackville-West. Prénom : Vita. Nationalité : anglaise. Signe particulier : régulièrement encensée sur les blogs de mes copines Titine, Eliza, Lou, Maggie et George (entre autres). Pour résumer : tout le monde connaissait et appréciait cet auteur… Tout le monde sauf moi (nobody’s perfect) ! Aussi me suis-je frénétiquement jetée sur Toute passion abolie lorsque je l’ai trouvé à la bibliothèque, avant de le dévorer avidement lors d’une bienheureuse soirée d’oisiveté. J’ai suivi les (judicieux) conseils de mes amies blogueuses, et j’ai bien fait, puisque j’ai particulièrement apprécié cette première rencontre avec la romancière britannique.Ce court roman au thème surprenant et à la construction intéressante se distingue avant tout par la finesse de son analyse psychologique.  Les caractères sont superbement observés, tout comme les relations entre les différents protagonistes. L’auteur dresse de son personnage principal un portrait plein de tendresse, doublé d’une jolie réflexion sur la vieillesse. Une personne âgée a-t-elle encore des sentiments ? Peut-elle encore prétendre à mener sa vie comme elle l’entend ? Mais ce n’est pas tout. Derrière le portrait de cette vieille dame atypique se cache en effet une subtile critique de la société victorienne, dont Vita Sackville-West dissèque non sans ironie le mode de fonctionnement.
 
Lady Slane souhaitait faire carrière dans la peinture… Le destin (et surtout le mariage et les conventions sociales) en auront décidé autrement ! Malgré une existence matériellement confortable et riche en expériences diverses, elle n’aura pas réussi à vivre pleinement ses passions, prisonnière d’une société rigide et ultra-contraignante, qui confine trop souvent la femme à son rôle certes respectable de mère et d’épouse, et lui impose de renoncer à mener des activités trop extravagantes (selon les critères en vogue à l’époque).
 
Vita Sackville-West évoque avec beaucoup de délicatesse les souvenirs d’une vieille dame au crépuscule de sa vie. On s’attache vite à cette vieille femme un peu rêveuse, dont le comportement peut sembler indigne à première vue, mais qui a en réalité passé sa vie à se sacrifier pour sa famille. Ladite famille se révélera d’ailleurs particulièrement encombrante à la mort du patriarche. Lady Slane ne se sent aucune affinité avec ses enfants, et souhaite s’entourer des personnes de son choix pour vivre paisiblement les dernières années de son existence. Une décision tout à la fois égoïste et éminemment respectable, devant laquelle on ne peut que s’incliner. Les échanges entre Lady Slane et sa progéniture, en particulier avec sa fille aînée Carrie, nous valent quelques dialogues savoureux. L’incompréhension règne, et les descendants de la vieille dame s’indignent devant le comportement de leur mère, laquelle semble, ô horreur suprême, n’accorder aucune importance à l’argent, dont elle préfère faire don à de parfaits inconnus plutôt que de le léguer à ses héritiers. Shocking ! Seule Déborah, l’arrière petite-fille passionnée de musique, trouve grâce aux yeux de Lady Slane, laquelle  retrouve un peu d’elle même chez cette jeune femme vive et passionnée.J’ai aimé la plume élégante de Vita Sackville-West, qui trouve un juste équilibre entre tendresse et ironie, et dont chaque mot se savoure avec délectation. C’est absolument délicieux. Certains trouveront peut-être le rythme trop lent, mais j’ai pour ma part été éblouie par la cohérence et la simplicité de ce joli roman introspectif. Je ne manquerai pas de lire d’autres textes de celle qui fut (entre autres) l’amie de Virginia Woolf. J’ai d’ailleurs demandé Au temps du Roi Edward au Père Noël !
 
Encore une excellente lecture ! Une auteur à découvrir.
 

21 thoughts on “Toute passion abolie – Vita Sackville-West

  1. Quel délice que ce roman ! C'est à ce jour mon préféré de dame Vita. Le personnage principal est splendide, cette vieille femme qui souhaitait vivre la fin de sa vie comme elle l'entend m'a totalement séduite. Courant février, je vais lire "Au temps du roi Edouard" avec Lou, si le père Noël est gentil avec toi peut-être auras-tu envie de te joindre à nous.

    1. Effectivement, la couverture est superbe (pour être honnête,l'exemplaire que j'ai emprunté à la bibli avait une couverture toute moche, de couleur unie, et je ne pouvais décemment pas l'utiliser pour illustrer mon article). Bises.

  2. J'ai découvert Vita Sackville-West avec Au Temps du Roi Edward (que je te souhaite de trouver au pied du sapin!)et Toute passion abolie m'attends sagement. A lire ton avis, il va repasser sur le dessus de ma PAL!

  3. Déjà noté aussi chez une certaine prosélyte de Sackville-West…Tu ne fais que confirmer toute l'envie que j'ai de découvrir cette auteur !

  4. ohhh ! Mon dieu ! J'adore la couverture ! Mais je l'avais déjà en livre de poche avant ces nouvelles couvertures… Je suis bien contente que tu aies aimé ! Moi aussi, j'avais des a-priori en voyant le sujet mais finalement, c'est vraiment bien décrit avec justesse et avec un regard critique parfois humoristique

  5. J'ai lu Paola cette année de V. S-W. Il m'a donnée envie de découvrir d'autres romans de cette dame. J'ai noté ce titre avec attention!

  6. Il est sur mes étagères (la même édition avec la jolie couverture de Lacroix) … Franchement, je me demande encore pourquoi j'attends avant de m'y mettre lol !

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