Au coeur de ce pays – J.M. Coetzee

Titre original : In the Heart of the Country
Traduction (anglais) : Sophie Mayoux
Le Serpent à Plumes, Collection Motifs, 1976, 223 pages

 

Les premières phrases :
Aujourd’hui, mon père a ramené à la maison la femme qu’il vient d’épouser. Ils ont traversé la plaine en carriole, au petit trot. Une plume d’autruche dansait au front de leur cheval, couvert de la poussière de cette longue course. A moins que – c’est bien possible – la carriole n’ait été attelée de deux ânes empanachés.

 

L’histoire :
(j’ai essayé de rédiger mon propre résumé, mais je ne parviens pas à égaler celui de la quatrième de couverture, que je vous reproduis donc ici)
Dans une ferme isolée du veldt [sud-africain], quatre personnages ouvrent le récit. Magda, fille du maître, nourrie de solitude et de rêveries stériles, murée dans sa virginité. Son père, Baas, le maître, homme autoritaire et sanguin. Hendrik, le contremaître noir au service de la famille. Enfin Anna, sa jeune épouse que vient d’amener Hendrik lorsque débute cette histoire. Le père séduit Anna. C’est la dernière humiliation. Entre eux tous, et parce que les choses ne pouvaient pas se passer autrement, les offenses se répondent alors dans une violence extrême.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Au coeur de ce pays est le second roman du sud-africain John Maxwell Coetzee, lauréat du Prix Nobel de littérature en 2003. Je dois avouer qu’il s’agissait (à ma grande honte) de l’un des livres les plus anciens de ma PAL, nid douillet auquel je n’avais décidément pas le coeur de l’arracher. Et puis le challenge Les 12 d’Ys est passé par là, me fournissant une occasion en or de régler enfin son compte à ce satané objet livresque, depuis trop longtemps négligé. A nous deux, Coetzee !J’ai été saisie dès les premières pages par la beauté de l’écriture. Consciente d’être confrontée à quelque chose d’énorme, il m’aura cependant fallu un peu de temps pour rentrer dans l’histoire, et m’habituer à la narration très particulière de ce surprenant récit. Le découpage est très inhabituel : point de chapitres, mais une alternance de courts paragraphes, numérotés de 1 à 266. Certains ne font que quelques lignes, et nous donnent à lire une succession de tranches de vie malsaines et oppressantes, dont l’enchaînement semble souvent décousu. Cela traduit probablement la folie de Magda, la narratrice, qui ressasse ses pensées et ses souvenirs, et ne semble avoir d’autre choix que le repli sur elle-même pour survivre au morne quotidien de cette ferme isolée, construite à l’écart de toute civilisation.
 
La jeune (?) femme raconte parfois plusieurs versions de la même scène, et il est bien difficile de démêler le vrai du faux : on se demande parfois si les événements décrits ont bien eu lieu, tant ceux-ci semblent davantage nourris par les fantasmes de Magda plutôt que par une quelconque réalité. Pour être honnête, on ne comprend pas tout, ce qui pourrait rebuter certains lecteurs, habitués à une construction plus linéaire. Au coeur de ce pays est un roman aride, qui prend parfois des allures de tragédie grecque. Les personnages sont mus par la honte, la frustration et la haine, qui les conduisent à des actes d’une violence insoupçonnée. Magda est quant à elle une vieille fille aigrie, totalement inconsciente et irresponsable, qui se montre volontiers condescendante vis à vis de ses esclaves (on a déjà vu plus sympathique comme héroïne). Elle est au coeur de ce huis clos étouffant et organique, qui évoque crûment le sang et la sueur. Le meurtre et le viol y côtoient allègrement les excréments et les mouches, dans un déferlement d’odeurs fortes et nauséabondes. Rien ne nous est épargné, mais je me suis pourtant retrouvée happée par ce récit âpre et puissant, dans lequel je n’ai vu qu’une longue rêverie hallucinée.

 

Il faut dire que tout cela est extrêmement bien écrit. Coetzee possède un style époustouflant de virtuosité, qui coule de source, et se lit extrêmement bien. La plume est au service du propos, évidemment très pessimiste, mais sublimé par la beauté du texte. Au coeur de ce pays est un roman riche et dense, pas nécessairement facile d’accès, dans lequel on peut voir une métaphore de la violence qui ronge la société sud-africaine. Ceci est apparemment l’un des thèmes récurrents du romancier, qui publia une bonne partie de son oeuvre aux heures sombres de l’Apartheid. J’ai été séduite par ce que j’ai découvert, et je lirai très certainement d’autres oeuvres de l’auteur, dont le travail me paraît tout à fait fascinant.

 

Un roman dur et troublant, porté par la plume magnifique d’un auteur virtuose.

 

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Ce billet marque ma quatorzième (et dernière) participation aux 12 d’Ys, catégorie Prix Nobel. Snif ! C’est déjà fini.
 

4 thoughts on “Au coeur de ce pays – J.M. Coetzee

  1. Je le note, JM Coetzee est un auteur que j'apprécie beaucoup (j'ai particulièrement adoré 'Scènes de la vie d'un jeune garçon', autobiographique, et 'Disgrâce'). Le contexte sud-africain me passionne toujours (j'aime aussi beaucoup les romans de André Brink …).

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