Les Bijoux bleus – Katharina Winkler

Titre original : Blauschmuk
Traduction (allemand) : Pierrick Steunou
Editions Jacqueline Chambon, 2016/2017, 232 pages

 

La première phrase :

Nous, les enfants, sommes un troupeau.

 

L’histoire :

Jeune adolescente, Filiz vit dans un village reculé du Kurdistan. Elle quitte sa famille pour épouser Yunus, persuadée d’avoir trouvé le grand amour, et s’installe avec son époux chez la mère de ce dernier. La désillusion sera terrible : prise en étau entre les coups de son mari tyrannique et la méchanceté sournoise de sa belle-mère, Filiz se retrouve prisonnière d’une existence quotidienne lugubre et sordide, et ne puise de réconfort que dans la présence de ses enfants, eux-même confrontés à la routine et aux tourments de cette violence domestique ordinaire.

 

L’opinion de Miss Léo :

Si l’histoire de ce roman n’a rien de bien réjouissant, la façon dont la jeune romancière autrichienne Katharina Winkler (ben oui, elle est jeune, elle a mon âge, bande de petits insolents !) s’empare de ce sujet difficile m’a en revanche semblé des plus originales.

Comment évoquer les coups et la peur sans tomber dans le voyeurisme le plus abject ? Le thème de la maltraitance et des violences faites aux femmes est ici abordé avec pudeur et délicatesse. Les phrases sobres et courtes (je vais partir du principe que la traduction française est fidèle au texte allemand) contribuent à installer une atmosphère très particulière, renforcée par l’utilisation récurrente d’images naïves, voire enfantines. La situation décrite est sordide, mais la romancière parvient à prendre de la hauteur, et réussit à insuffler de la légèreté au récit (si on peut dire…), en usant notamment de métaphores très poétiques (les bijoux bleus du titre évoquent ainsi les hématomes qui marbrent la peau de Filiz).

L’adolescente vit dans le déni. Issue d’une famille nombreuse, mariée très jeune, Filiz se voit refuser le droit de poursuivre sa scolarité, alors que ses professeurs eux-mêmes la jugent brillante. Privée d’une éducation digne de ce nom, murée dans son silence, elle encaisse les coups avec résignation, sans jamais se rebeller (mais la haine grandit en elle au fur et à mesure qu’elle vieillit). Katharina Winkler adopte le point de vue de son héroïne, tout au long d’un récit elliptique constitué de courts chapitres aux allures de tranches de vie, d’autant plus éprouvant que celui-ci est inspiré de faits réels.

Huis-clos glaçant à l’écriture ciselée, Les bijoux bleus séduit par son extrême sensibilité. Porté par une émotion viscérale, dépourvu de tout pathos, le roman s’articule par ailleurs autour d’un suspense bien réel : Filiz parviendra-t-elle à échapper à la spirale infernale de la violence ? Son émancipation passera-t-elle par une intégration réussie en Autriche, seul espoir de retrouver une existence et une identité, seul espoir d’arracher ses enfants à leur sinistre destin ?

J’ai apprécié ce roman pour son originalité et son audace. Peut-être aurait-il mérité quelques dizaines de pages supplémentaires, qui auraient permis d’en étoffer le propos… Les choix narratifs et stylistiques opérés par la romancière me semblent néanmoins parfaitement adaptés au sujet traité, et le fait de pouvoir lire le roman d’une traite en renforce probablement l’impact (on retient son souffle jusqu’au dénouement). Je guetterai avec intérêt les prochaines publications de Katharina Winkler !

 
Un premier roman prometteur, qui aborde avec pudeur un sujet casse-gueule.
À découvrir !

 

 

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