Les visages – Jesse Kellerman

Titre original : The Genius
Traduction (américain) : Julie Sibony
Editions Sonatine, 2008, 472 pages

 

Les premières phrases :
Au début, je me suis mal comporté. Je ne vais pas vous mentir, alors autant jouer cartes sur table dès maintenant : si j’aimerais croire que je me suis racheté par la suite, il ne fait aucun doute que mes intentions, du moins au début, ont manqué quelque peu de noblesse.

 

L’histoire :
Ethan Muller, jeune galeriste new-yorkais, dernier rejeton d’une riche famille d’immigrés juifs, pur produit du Rêve Américain, met la main sur une série de dessins abandonnés dans un appartement sordide des Muller Courts, immense cité HLM bâtie par le propre grand-père d’Ethan, dont le dernier locataire, un certain Victor Cracke, a disparu sans laisser de trace. Le jeune homme est fasciné par ces dizaines de milliers de dessins méticuleux, tracés et assemblés avec une perfection quasi-obsessionnelle, dont il comprend vite le potentiel commercial. Il décide alors d’exposer l’oeuvre de ce génie méconnu, sans pour autant prendre la peine de retrouver ce dernier.
Le vernissage est un succès, et les dessins de Victor sont reproduits et célébrés dans la presse. Ethan reçoit alors un appel pour le moins étrange : Lee McGrath, officier de police en retraite du Queen’s, a reconnu sur l’un des dessins les visages de plusieurs petits garçons violés et assassinés dans les années 60. Obsédé depuis toujours par ces meurtres non résolus, il convainc Ethan de l’aider dans son enquête. Ce dernier se lance alors à la poursuite du mystérieux Victor Cracke, dont la personnalité nous sera peu à peu dévoilée.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Me voici une nouvelle fois convaincue par les éditions Sonatine, dont le catalogue est décidément d’une étonnante richesse (Au delà du mal, de Shane Stevens, est à ce jour le seul titre par lequel j’ai été déçue). Je me méfiais pourtant de ce roman, couvert de louanges par les critiques (ce qui n’est pas toujours bon signe), mais mes doutes ont heureusement vite été dissipés. Le mérite en revient à l’auteur, Jesse Kellerman, fils de Jonathan Kellerman (lui même auteur de polars), dont le style vif et moderne, combiné à une narration envoûtante et redoutablement efficace, nous happe dès les premières pages pour ne plus nous lâcher. La construction du récit est très habile. A peine a-t-on le temps de se plonger dans l’histoire d’Ethan que survient déjà une première rupture : nous voici désormais en 1847, où nous suivons les premiers pas aux Etats-Unis du patriarche Solomon Muller, pauvre immigrant européen destiné à fonder l’une des plus grandes fortunes américaines. L’histoire de la famille Muller continuera ensuite à nous être dévoilée par interludes successifs tout au long du roman.

 

J’ai trouvé passionnants ces retours en arrière, dont on se doute qu’ils auront un lien avec l’intrigue principale (ce lien ne sera révélé que tardivement, ce qui permet au lecteur d’échafauder ses propres théories). L’insolente réussite des Muller dissimule quelques honteux secrets de famille, que l’on découvre progressivement avec effroi, au fur et à mesure que l’on assiste à la montée en puissance de cette dynastie d’arrivistes, prêts à tout pour éviter que la réputation de la famille ne soit entachée par le scandale. Si Ethan semble se démarquer légèrement de ses ancêtres (il est en quelque sorte le vilain petit canard de la famille), il n’en demeure pas moins mû par l’appât du gain, ainsi que par un indéniable besoin de reconnaissance. Sa rencontre avec l’oeuvre de Victor Cracke va cependant ébranler ses certitudes, et l’amener à reconsidérer sa situation personnelle…

 

Les visages est un polar atypique, assez lent dans son déroulement (les amateurs de suspenses haletants et d’émotions fortes risquent d’être déçus). Les meurtres seront résolus, mais le roman va bien au-delà, et s’intéresse davantage aux personnages qu’à l’intrigue policière à proprement parler (qui n’en demeure pas moins passionnante et extrêmement bien ficelée). La maladie et le deuil sont au coeur du récit, et Kellerman réussit à créer un climat vaguement oppressant autour du mystère de l’identité de Victor Cracke. Celui-ci est-il le meurtrier des petits garçons ? A-t-il écrit les lettres menaces reçues par Ethan ? Est-il fou ? Quelle est la signification de ses dessins ?

 

Le roman est par ailleurs assez drôle dans sa description du milieu des marchands d’art contemporain, peuplé de galeristes avides de profit, de faux amateurs pleins aux as, et d’artistes narcissiques au talent discutable, privilégiant le happening à la qualité artistique. Ce contexte ajoute un petit plus à un récit déjà très consistant, qui m’aura tenu en haleine de la première à la dernière page (il a bien fallu que je dorme un peu au milieu, sans quoi je ne l’aurais probablement pas lâché avant de l’avoir terminé).

 

Un excellent polar, qui parvient à surprendre son lecteur en sortant des sentiers battus. J’ai beaucoup aimé !

 

D’autres avis chez : Val, Ys

 

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Nouvelle participation au challenge L’art dans tous ses états, organisé par Shelbylee.
 

13 thoughts on “Les visages – Jesse Kellerman

  1. Merci pour ta participation 🙂
    Je me souviens que j'avais été plutôt déçue par ce roman, mais je ne saurais plus dire pourquoi (ce qui est très pratique pour commenter) et même en relisant ton billet, aucun souvenir de la fin ne me revient !

  2. Ah moi tout pareil : j'ai trouvé ce roman passionnant, tellement bien décrite l'ascension de cette famille, à tout prix. Par contre, le roman de cet auteur paru ensuite (pas chez Sonatine), "Jusqu'à la folie" si mes souvenirs sont bons, est carrément médiocre à côté, il fait vraiment pale figure au point de se demander s'il s'agit vraiment du même auteur…

  3. C'est gentil de me rappeler que je ne l'ai toujours pas lu alors qu'il me fait envie depuis sa sortie…je ne m'en sortirai jamais de ma LAL !

    1. Il attendait probablement autre chose… De mon côté, j'ai trouvé le roman et l'intrigue plutôt bien menés, de façon assez originale.

  4. J'avoue que j'ai aussi tendance à me dire que "si c'est du Sonatine, c'est que ça le vaut bien", je les repère toujours à distance et je fais un choix arbitraire même, des fois
    "Les visages" est un ouvrage qui a beaucoup fait parler de lui, je ne l'ai pas encore sous la main, mais j'ai hâte de le découvrir
    A bientôt

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