L’Ile des chasseurs d’oiseaux – Peter May

Titre original : The Blackhouse
Traduction (écossais) : Jean-René Dastugue
Babel Noir, 2009, 425 pages

 
Les premières phrases :

Ce sont des enfants. Seize ans. Echauffés par l’alcool et excités par l’approche du sabbat, ils s’enfoncent dans l’obscurité.

 

L’histoire :
(je vais me contenter de recopier le résumé de la quatrième de couverture, qui est excellent et très complet : merci Actes Sud !)
Marqué par la mort récente de son fils unique, l’inspecteur Fin Macleod est envoyé sur son île natale de Lewis car un meurtre vient d’y être commis, selon la même mise en scène que celui sur lequel il enquête à Edimbourg. La tempétueuse île de Lewis, au nord de l’Ecosse, semble sortie d’un autre temps : on se chauffe à la tourbe, on pratique le sabbat chrétien, on parle la langue gaélique. D’autres traditions particulières y perdurent, comme cette expédition organisée chaque été, qui conduit un groupe d’hommes sur l’ilôt rocheux inhospitalier d’An Sgeir, où ils tuent des milliers d’oiseaux nicheurs destinés à la consommation. Dix-huit ans auparavant, Fin a participé à ce périlleux voyage initiatique. Il a ensuite quitté l’île et n’y est jamais revenu. Retourner là-bas, c’est retrouver un ami d’enfance, un premier amour, quelques camarades d’école de sinistre mémoire ; c’est surtout prendre le risque de laisser surgir les souvenirs, de découvrir à quel point on n’a rien oublié…

 

L’opinion de Miss Léo :

 

On croit d’abord avoir affaire à un polar classique de type whodunit, mais la réalité est toute autre ! L’île des chasseurs d’oiseaux est un roman très noir, plus proche de la chronique insulaire et familiale ou du roman initiatique que du récit policier traditionnel. Un meurtre est certes commis dès les premières pages, mais la recherche du coupable passe au second plan, tandis que l’intrigue se concentre sur les souvenirs de l’inspecteur Fin Mcleod, qui se remémore par bribes les principaux événements de son enfance et de sa jeunesse. L’un des tours de force réalisés par Peter May consiste d’ailleurs à nous faire régulièrement oublier l’enquête, avant que le terrible dénouement ne nous prenne complètement au dépourvu, comme un brusque retour à la réalité.

 

J’ai été happée par ce roman très bien écrit, à l’intrigue fort habilement menée. Les allers-retours narratifs entre le présent et le passé permettent une immersion rapide dans l’histoire, qui prend peu à peu la forme d’un huis-clos étouffant, du fait du caractère fermé et isolé de l’île. Le meurtre d’Ange Macritchie, brute épaisse détestée de tous (le “bully” dans toute sa splendeur), apparaît vite comme l’aboutissement d’une succession d’événements entamée près de trente ans plus tôt, alors que le jeune Fin Mcleod et son meilleur ami asthmatique se disputaient le coeur de la charmante Marsaili, rencontrée sur les bancs de l’école. Peter May crée une galerie de personnages tous attachants (y compris les “méchants”), entretenant des rapports teintés de violence, sur fond d’histoires d’amours contrariées et de petite délinquance ordinaire.

 

Fin est un homme encore jeune, brisé par la mort tragique de son fils, écrasé par un chauffard sans scrupule. Désormais séparé de sa femme, il voit resurgir son passé avec émotion lorsque sa hiérarchie l’envoie enquêter sur le meurtre de l’un de ses ennemis d’enfance, sauvagement éviscéré dans un hangar de Stornoway. Cela semble un peu tiré par les cheveux, mais pourquoi pas. Le retour au pays natal ne s’effectue cependant pas sans douleur, et l’arrivée de l’inspecteur d’Edimburgh suscite rancoeur et jalousie parmi ses anciens condisciples. Fin est en effet l’exception qui confirme la règle : de tous ses anciens camarades d’école, il est le seul qui soit parvenu à s’extraire de cet environnement maussade, en quittant définitivement l’île au moment de ses études. Il faut dire que l’île de Lewis offre bien peu d’alternatives, et le passage à l’âge adulte se révèle souvent douloureux pour une jeunesse désoeuvrée, se sentant prise au piège d’une existence terne et décevante à bien des égards.

 

Peter May entretient habilement le suspense, et aborde avec délicatesse des thèmes difficiles comme le deuil, le handicap, la maladie ou les châtiments corporels, sans jamais céder au voyeurisme. Il devient de plus en plus difficile de lâcher le livre, et l’on a constamment envie d’en apprendre davantage sur l’histoire des différents protagonistes, dont le passé nous est progressivement révélé au fur et à mesure que les souvenirs de Fin affluent à sa mémoire. Les flash-backs sont rédigés à la première personne, et c’est donc bien l’inspecteur qui nous livre sa version très personnelle des faits, dont il semble avoir refoulé certains des aspects les plus dérangeants. Cela confère à l’oeuvre un caractère psychologique non dénué d’intérêt, qui ajoute à la densité d’un récit par ailleurs extrêmement prenant.

 

Le tumulte intérieur du personnage principal entre en résonance avec l’atmosphère si particulière de cette île paumée des Hébrides extérieures, magnifiquement restituée par l’auteur à travers de nombreuses descriptions des lieux traversés, qui donnent également un bon aperçu de la vie des habitants. Le dépaysement est assuré ! L’île de Lewis se caractérise par ses paysages magnifiques et accidentés, vastes étendues colorées où poussent les menhirs et les blackhouses, tandis que les vagues s’écrasent violemment contre les falaises escarpées. Le gaélique y est encore parlé à grande échelle, et les habitants observent le sabbat chrétien, se traduisant par une activité fortement réduite, pour ne pas dire inexistante le dimanche. J’ai fortement apprécié cet aspect quasi documentaire du roman, qui m’a rappelé mon voyage en Islande (je pense que les paysages de Lewis présentent quelques similitudes avec ceux de ce merveilleux pays, où il me tarde de retourner). Peter May évoque également quelques curiosités locales, comme la traditionnelle chasse aux gugas se déroulant chaque année sur le minuscule ilôt rocheux d’An Sgeir, qui donne son titre au roman. Tout homme digne de ce nom se doit d’avoir participé un jour à ce rite initiatique, coutume barbare d’un autre temps et d’une extrême sauvagerie, qui illustre à merveille l’importance accordée aux traditions au sein de cette communauté très attachée à ses racines identitaire. Fin en fera d’ailleurs l’amère et douloureuse expérience . . .

 

Je n’ai pas le temps d’écrire davantage, ce qui est plutôt une bonne chose, tant ce roman mérite d’être découvert sans a priori. Je suis totalement séduite, et je peux vous garantir que vous ne serez pas déçu du voyage ! Signalons qu’il s’agit du premier volume d’une trilogie, désormais parue en intégralité chez Babel et aux éditions du Rouergue. Je me réjouis d’ores et déjà de retrouver Fin Macleod pour la suite de ses aventures insulaires. Et puis . . . je veux aller en Ecosse !!!!! C’est mon dernier mot.

 

Un excellent roman noir, dépaysant à souhait. Coup de coeur !

 

D’autres avis chez Cryssilda, Maeve, Kathel.

 

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Nouvelle étape de mon Tour du Monde, pour le challenge Myself de Romanza. Cette escapade écossaise me permet également d’apporter une nouvelle contribution au challenge Voisins, voisines de notre amie Anne.

 

 

 

30 thoughts on “L’Ile des chasseurs d’oiseaux – Peter May

  1. Je l'avais repéré et ton article me donne encore plus envie de le découvrir ! Il m'a l'air très riche !
    Bonne soirée et bon week-end 🙂

  2. Ah ! Je suis ravie que tu aies aimé ! Tu vas passer d'autres très bonnes heures avec les deux prochains volumes ! J'adore l'ambiance écossaise de ces livres !

    1. Je me retrouve dans ton billet. Les personnages sont très attachants, les paysages splendides. Les scènes de chasse aux gougas sont terrifiantes et m'ont vraiment marquée.

    2. @Shelbylee : Hé hé hé ! J'étais pour ma part un peu moins tentée par la série chinoise, mais je la lirai probablement un jour.

  3. Alors là, tour de force Miss Léo: moi qui ne suis pas, mais alors PAS DU TOUT polar, tu viens de réussir à m'en faire mettre un dans ma LAL! Déjà, bon, je lis "Ecosse", c'est déjà à moitié gagné, mais "Ecosse insulaire", "petite communauté recluse", "gaélique", et un soupçon de noirceur sur tout ça, c'est le combo gagnant! Merci beaucoup et j'ai hâââte! 🙂

    1. Il en faut pour tous les goûts ! C'est sûr qu'il vaut mieux aimer ce genre d'ambiance pour avoir une chance d'apprécier ce roman à sa juste valeur.

  4. Je te dirai ce que j'en pense bientôt. J'ai les deux premiers tomes sur mon canapé.
    Si je pouvais l'ouvrir dès maintenant, je le ferais !

    1. Je pourrai te le prêter à l'occasion. N'hésite pas à me le demander (d'ailleurs, il faudrait que je pense à écrire mon billet sur Le Chapeau de Mitterrand, pour pouvoir te le rendre) !
      Rosa Montero est géniale. J'ai réussi à faire lire Le Roi Transparent à mon F. ! Il a beaucoup aimé, et est maintenant plongé dans Des Larmes sous la Pluie.

  5. J'ai beaucoup apprécié ce livre aussi, qui effectivement n'est pas un roman policier de facture classique. Un livre plus proche du roman noir où l'intrigue est un prétexte pour dépeindre la rudesse de la vie sur Lewis. Peter May était journaliste avant d'écrire de la fiction et il a vécu 5 ans là-bas : autant dire que ce roman est très bien documenté. J'ai dévoré la suite !

  6. Il est dans ma pile, donc j'ai lu un peu endiagonale. Mais je suis sûre que ça va me plaire (au point que, follement inconsidérée, comme d'hab', j'ai acheté le suivant au Salon du livre, pour avoir une dédicace de Peter May, très sympathique !!)

    1. J'aurais bien aimé croiser Peter May au SDL, mais je ne pouvais malheureusement pas être là le dimanche. J'étais un peu déçue…

  7. Au cours d'un CA particulièrement barbant, ma voisine et moi avons échangé sur la littérature et elle m'a chaudement recommandé ce roman. Cela fait 2 fois en deux semaines que j'en entends parler, c'est un signe…

    1. Vive les CA ! Ce roman semble faire l'unanimité. Ce n'est pas toujours bon signe, mais cet enthousiasme me semble en l'occurrence parfaitement justifié.

  8. Tu as raison plus qu'un polar c'est un très grand livre à la thématique très éclectique. On vient de me prêter le second, j'ai hâte de retrouver l'attachant Fin.

  9. Il me tente de plus en plus ! L'auteur était à Quais du Polar à Lyon, il est très sympathique paraît-il et il parle français, je ne l'ai pas vu moi-même mais ça aide à ouvrir un livre tant d'éloges, je le note !

    1. Je l'ai raté au Salon du Livre. Dommage, j'aurais bien aimé le rencontrer ! Pour en revenir au roman, je te le recommande chaudement, et j'ose affirmer que tu ne seras pas déçue. Il s'agit vraiment d'un excellent bouquin.

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