La Disparition d’April Latimer – Benjamin Black

Titre original : Elegy for April
Traduction (irlandais) : Michèle Albaret-Maatsch
NiL Détectives, 2010, 372 pages

 

La première phrase :
On était au plus fort de l’hiver et April Latimer avait disparu.

 

L’histoire : 
(vu que je l’ai lu il y a longtemps, je vais recopier la quatrième de couverture, qui me paraît présenter le roman de façon acceptable)
Rebelle, indépendante, un goût pour les hommes peu conventionnel… Dans la société dublinoise conservatrice, patriarcale et ultra-catholique des années 1950, April Latimer, jeune interne en médecine, laisse dans son sillage comme un parfum de scandale. Quand Phoebe Griffin, sa meilleure amie, découvre qu’elle a disparu, elle redoute le pire. Etrangement, de leur petite bande d’amis hétéroclite, Phoebe semble la seule à s’inquiéter ainsi – la seule à qui on a caché certaines choses ?… Malgré leurs relations compliquées, c’est vers son père, le brillant mais imprévisible Quirke, qu’elle se tourne pour retrouver la trace d’April. Et c’est ainsi que Quirke se voit impliqué bien plus qu’il ne l’aurait voulu dans une enquête aussi trouble que troublante, au coeur d’un entrelacs de liaisons dangereuses d’où émerge peu à peu une effroyable vérité.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Peut-être connaissez-vous John Banville, lauréat du Booker Prize 2005 pour The Sea (que j’ai d’ailleurs acheté lors de mes récentes vacances à Dublin) ? Celui-ci est également l’auteur d’une série policière très populaire en Irlande, publiée sous le pseudonyme de Benjamin Black, dont La Disparition d’April Latimer constitue déjà le troisième opus. Je n’ai pas lu les deux premiers volumes, ce qui est totalement contraire à mes principes, mais comment résister lorsque une attachée de presse passionnée et ô combien sympathique vous vante les mérites dudit roman en plein Salon du Livre, antre de perdition de la malheureuse et vulnérable blogueuse littéraire étourdie par tant de merveilles ?? Au diable les principes, et entamons gaiement la série par la lecture du troisième tome !J’ai été séduite par ce roman ma foi fort agréable, que j’ai commencé à Dublin et terminé à Galway deux jours plus tard. Information totalement dénuée d’intérêt, me direz-vous, si ce n’est que ce polar a la particularité de se dérouler dans la capitale irlandaise (ce n’est donc pas un hasard si j’ai choisi de l’emmener sur mon lieu de vacances). Le fait qu’il s’agisse d’un troisième tome n’est pas franchement gênant, bien qu’il soit à plusieurs reprises fait référence au passé et à l’histoire familiale tourmentée du Dr Quirke et de sa fille Phoebe. On ressent un léger sentiment de frustration, mais cela n’empêche pas de suivre le déroulement de l’intrigue, et donne surtout envie de lire les tomes précédents, tous deux édités en français en poche chez 10/18 !
 
La quatrième de couverture annonce un “thriller psychologique”, ce qui ne me paraît pas du tout adapté à ce roman sobre et totalement dénué d’effets spectaculaires. On ne peut pas dire que les péripéties s’enchaînent à un rythme trépidant, et l’intrigue semble parfois manquer de consistance et d’enjeux. Bien sûr, l’enquête sur la disparition d’April réserve son lot de surprises et de rebondissements, et l’auteur parvient à ménager un vrai suspense quant à l’identité du coupable. Il ne se passe cependant pas grand chose pendant près de trois cents pages, ce qui ne m’a pas dérangée outre mesure, car l’essentiel est ailleurs ! Les personnages sont attachants, l’ambiance délicieuse, et l’énigme policière n’est en réalité qu’un prétexte, qui permet à Benjamin Black de dresser un portrait sans concession d’une société malade, rongée par les préjugés, le conservatisme et la pauvreté.
 
Quirke, personnage central de la série, est un médecin légiste alcoolique mais sympathique, qui retrouve son travail après avoir suivi une cure de désintoxication. Comme tout héros de roman noir ou de polar digne de ce nom, il souffre de multiples fêlures personnelles, et jette un regard désabusé et teinté d’ironie sur le monde qui l’entoure. Un personnage solitaire et irascible, dénué de toute illusion, qui luttera cependant aux côtés de sa fille pour faire éclater la vérité quant au sort de l’énigmatique April. Meurtre, accident ou disparition volontaire ? Les avis sont partagés, et tous ne portent pas le même regard bienveillant sur cette jeune femme libre et moderne, que certains qualifient volontiers de délurée, et à laquelle on prête tout un tas d’aventures peu orthodoxes. April aurait-elle fini par payer au prix fort sa volonté d’indépendance ? Est-elle aussi innocente que ne semble le penser son amie Phoebe ?
 
Les proches de la jeune interne sont dans l’ensemble assez mystérieux, et leur comportement parfois ambigu sème le doute quant aux motivations de chacun. J’ai beaucoup aimé le personnage de Patrick Ojukwu, étudiant en médecine d’origine nigériane, et par conséquent suspect idéal (les préjugés ont la peau dure, surtout dans le Dublin des années 50). La présence de ce grand noir séduisant apporte une petite touche d’âme et d’originalité supplémentaires au roman, par ailleurs peuplé de créatures vénéneuses, de comédiennes narcissiques et de journalistes opportunistes et ambitieux. L’auteur épingle également la famille d’April, dont la mère et le frère semblent assez typiques de cette haute-bourgeoisie catholique et bien-pensante, qui s’abrite derrière un fragile et factice paravent de respectabilité. Des individus en apparence bien sous tous rapports, très à cheval sur leurs principes et toujours soucieux du qu’en-dira-t-on, qui nourrissent cependant un intense et dévastateur sentiment de frustration.
 
John Banville signe un roman à l’atmosphère envoûtante, dont j’ai apprécié le style vif et précis, qui plus est non dénué d’humour. Le manque de dynamisme de l’intrigue est compensé par une analyse psychologique assez fine et des personnages intéressants, qui évoluent dans un environnement sombre et oppressant. L’auteur évoque avec subtilité des thèmes tels que le racisme, la place de la femme, la libération sexuelle, l’inceste ou les avortements clandestins.
 
Ce n’est pas un coup de coeur, mais je lirai néanmoins avec plaisir le premier tome de la série, Christine Falls, que j’ai également acheté lors de mon séjour à Dublin.
 
Un agréable polar à l’ambiance soignée, qui développe des thématiques intéressantes derrière une apparente simplicité.
 
Merci à Christelle, des éditions Nil / Robert Laffont.

 

10 thoughts on “La Disparition d’April Latimer – Benjamin Black

    1. C'est plus un roman d'atmosphère qu'un véritable thriller, mais je comprends que tu préfères lire autre chose si ce n'est pas ta tasse de thé.

  1. Je n'avais pas osé le demander alors qu'il me faisait terriblement envie !!! Et ce n'est pas ton billet qui va me contredire…je n'ai plus qu'à aller à la bibliothèque chercher le premier !

    1. Super, j'espère qu'il te plaira (mais comme je l'ai dit, c'est le troisième tome d'une série, donc si tu peux commencer par le début, c'est toujours mieux).

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