Les filles de l’ouragan – Joyce Maynard

Titre original : The Good Daughters
Traduction (américain) : Simone Arous
Editions 10/18, 2010, 354 pages

 
La première phrase :

Cela commence par un vent humide, qui souffle du nord-est à travers les champs, un vent étrangement chaud pour cette période de l’année.

 

L’histoire :
New Hampshire, 1950. Dana Dickerson et Ruth Plank ont été conçues un soir d’ouragan. Nées le même jour dans la même clinique, elles mènent cependant des existences séparées, grandissant dans des familles aux modes de vie très contrastés. Si les Plank, fermiers de père en fils, demeurent à jamais attachés à leur terre, qu’ils cultivent et exploitent sans relâche, les Dickerson se satisfont quant à eux d’une vie de bohème, marquée par d’innombrables déménagements successifs. Les uns sont pragmatiques et consciencieux, là où les autres se contentent de voir venir, vivant nonchalamment au gré de leurs envies et de leurs passions. Ruth et Dana n’ont a priori rien en commun, si ce n’est la désagréable sensation qu’elles éprouvent de ne pas se trouver en phase avec le reste de leurs familles respectives, et surtout de ne pas être aimées comme elles le devraient par leurs mères, elles-mêmes totalement antinomiques, et constamment déroutées par le caractère et les lubies de leurs benjamines (le dessin pour Ruth, l’agriculture pour Dana). C’est dans cet environnement passablement hostile que les deux gamines grandissent et se construisent tant bien que mal, portées par leurs aspirations et leurs rêves de bonheur.

 
L’opinion de Miss Léo :
 

Allons bon ! Je commence à rédiger mon billet, et voilà que la sulfureuse mièvre rengaine de la non moins talentueuse sophistiquée délicieuse bécassine Steph’ de Monac’ se met à tourner inlassablement dans ma tête, comme un ouragan qui est passé sur moi, qu’on ne peut plus arrêter. Au secours ! (on a les références que l’on peut)
 
Mais revenons donc à nos moutons, après cette pitoyable entrée en matière.

 

Je suis fan de Joyce Maynard depuis que j’ai découvert Long week-end, son précédent (et merveilleux) roman, dont il me tarde d’ailleurs de voir l’adaptation ciné. Aussi me suis-je lancée les yeux fermés dans Les filles de l’ouragan, dont la quatrième de couverture me paraissait plus que prometteuse. Je ne le regrette pas, puisque j’ai une nouvelle fois été séduite par l’élégance de l’écriture de la romancière américaine, qui réussit avec ce nouvel opus une formidable chronique familiale intimiste, toute en pudeur et en retenue. Le récit à la première personne est construit selon un enchaînement de brefs chapitres, adoptant alternativement le point de vue de Ruth et celui de Dana. Les bribes de souvenirs des deux (plus si) jeunes femmes se répondent, et esquissent le portrait d’une Amérique en pleine évolution. De la mort du président Kennedy à la guerre du Vietnam, en passant par Woodstock, la libération sexuelle et les premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune, ce sont plus de cinq décennies d’événements politiques et de mutations socio-économiques majeures qui servent de cadre à l’adolescence puis à la vie active des deux héroïnes.

 

Joyce Maynard parvient à aborder en quelques mots une multitude de thèmes, distillés par petites touches épurées, sans jamais insister plus que nécessaire. L’auteur se distingue surtout par la délicatesse de son écriture, ainsi que par la justesse de son sens de l’observation. Ces deux qualités combinées rendent son roman passionnant à lire, et bien difficile à lâcher une fois commencé (je l’ai lu très rapidement, après avoir pourtant abandonné plusieurs livres en cours de route ces dernières semaines).

 

Les personnages sont tous intéressants, et leur psychologie est très subtilement rendue, avec finesse et sobriété. Ruth et Dana sont toutes deux très attachantes, mais les personnages secondaires ne sont pas en reste, chacun d’entre eux étant présenté avec ses certitudes et ses fêlures plus ou moins dissimulées. Je reconnais volontiers avoir ressenti beaucoup de sympathie envers Edwin Plank, fermier consciencieux et plein de tendresse envers sa petite Ruth, par ailleurs animé d’un instinct de protection très paternel envers ses vaches et ses plants de fraises hybrides, qu’il sélectionne chaque année avec le plus grand soin (les chapitres consacrés au travail à la ferme sont particulièrement réussis). Les mères sont moins avenantes au premier abord : Connie Plank est une petite femme trapue et entièrement dévouée à la religion, qui élève ses cinq filles (!) dans le respect des convenances et de la morale chrétienne ; Valérie Dickerson, coquette et élancée, incarne de son côté l’archétype de l’artiste peintre sans le sou, bobo avant l’heure, mariée à un loser créatif et paumé. Le manque criant d’empathie de ces deux femmes envers leurs petites dernières ne les rend pas franchement sympathiques, mais le lecteur n’en apprendra pas moins à les apprécier, au fur et à mesure que seront dévoilés leurs regrets et leurs fragilités.Autant le dire tout de suite : le “bouleversant” secret de famille évoqué dans le résumé de la quatrième de couverture n’est qu’un élément parmi d’autres dans la trame narrative du roman. On devine très vite de quoi il s’agit, même si la confirmation n’en est apportée que dans les tous derniers chapitres, et l’intérêt de l’histoire est ailleurs. J’ai grandement apprécié de pouvoir suivre le parcours de Ruth et de Dana, que l’on observe de leur naissance jusqu’au déclin et à la mort de leurs parents respectifs. Leur destin, à la fois très ordinaire et profondément émouvant, soulève de nombreuses questions sur ce qui fait le sel et l’intérêt d’une existence humaine. Espérances déçues, rêves étouffés, déceptions professionnelles et amoureuses, désirs d’enfants contrariés, joies et peines entremêlées… La vie est faite de compromis. Ne subsistent au final que le criant besoin d’être aimé, ainsi que l’apaisement que peuvent seules procurer des relations familiales saines et équilibrées (d’ailleurs très justement décrites par l’auteur). Emportées dans le tumultueux “tourbillon de la vie”, les deux jeunes femmes sont confrontées à bien des désenchantements, ainsi qu’à la maladie et à la mort de leurs proches, mais trouvent ailleurs des raisons d’espérer. Comme toujours, la façon dont Joyce Maynard déroule le fil de la vie de ses deux héroïnes, tout en l’inscrivant dans un contexte clairement défini et en évoquant des sujets aussi divers que l’homosexualité, l’inceste, l’adultère, l’avortement, ou l’adoption, est impressionnante de maîtrise et de délicatesse. Du grand art !
 
Je vous recommande donc vivement la lecture de ce passionnant roman, qui aura su combler mes attentes, même si je garde une légère préférence pour Long week-end, plus original à mes yeux.
 
Un beau roman sur les liens familiaux, portés par de beaux personnages. A lire !

 

18 thoughts on “Les filles de l’ouragan – Joyce Maynard

  1. Je ne connais pas du tout cette auteure, mais j'ai bien envie de la découvrir. Ce que tu dis de ce livre me tente. Je le note, ainsi que Long week-end 🙂
    Bonne après-midi 🙂

  2. Moi aussi j'ai Comme un ouragan dans la tête maintenant ! Je compte lire Long weekend avant la sortie du film. Ca fait longtemps que je veux lire un de ses livres, je pense que ce sera enfin le cas en 2014 !

  3. J'ai découvert Joyce Maynard avec ce roman qui fut un coup de cœur ! Comme Shelbylee, j'aimerais lire Labor day avant la sortie du film si j'ai le temps !

  4. J'ai également énormément aimé cette lecture et ce que tu écris sur "Long week-end" ne passe pas inaperçu. Je note pour mon prochain passage à la bibli ! (* j'ignorais qu'un film était en préparation !*)

    1. Je te comprends… J'ai moi aussi été déçue à plusieurs reprises par des romans qui utilisaient le secret de famille comme argument de vente (mais pas par celui-ci, fort heureusement).

  5. j'ai moi aussi préféré "Long weekend" mais j'ai bien aimé , tout comme toi , suivre les vies des deux personnages des filles de l'ouragan . J'ai tenté de poursuivre avec "Baby Love " de la même auteure mais en revanche , je n'ai pas accroché …

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