Titre français : Le livre des choses perdues
Simon & Schuster, 2006, 339 pages
La première phrase :
Once upon a time – for that is how all stories should begin – there was a boy who lost his mother.
L’histoire :
Automne 1940. L’Angleterre lutte vaillamment contre les bombardiers de la Luftwaffe. Inconsolable depuis la mort de sa mère quelques mois auparavant, David accepte difficilement le remariage de son père avec Rose, laquelle ne tarde pas à donner naissance à un petit Georgie, qui devient très rapidement le centre de toutes les attentions. Le coeur rongé par l’amertume et la jalousie, le jeune garçon se réfugie alors dans ses livres, avec lesquels il entretient une relation presque fusionnelle. D’étranges phénomènes commencent toutefois à se produire dans l’environnement de David, qui se retrouve un jour propulsé dans une sorte de monde parallèle terrifiant, où les figures traditionnelles des contes de fées de notre enfance évoluent dans un univers des plus violents, teinté de noirceur et peuplé de créatures malveillantes. Commence alors pour David un éprouvant périple, à l’issue duquel il lui faudra affronter ses pires cauchemars et effectuer des choix cornéliens afin de vaincre ses propres démons.
L’opinion de Miss Léo :
Comme souvent, ce sont les critiques élogieuses et le joli petit succès d’estime dont bénéficiait ce roman sur la blogosphère qui m’ont poussée à l’acheter, bien qu’il ne soit pas forcément dans mes habitudes de lire ce genre d’ouvrages. Il va sans dire que le titre me paraissait quant à lui tout à fait prometteur (chouette, une histoire de livre mystérieux !), tandis que le résumé m’évoquait vaguement celui de L’Histoire sans Fin, avec un soupçon de réécriture moderne de contes de fées en prime. Je pouvais donc me laisser tenter sans trop de risques d’être déçue !The Book of Lost Things est effectivement un très joli roman, bien écrit et surtout très original dans sa conception. A l’image d’Alice suivant le Lapin Blanc, David fuit sa famille recomposée (et les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale par la même occasion) en s’engouffrant dans un trou au fond du jardin, attiré par les supplications implorantes de sa mère décédée. Le monde qu’il découvre de l’autre côté du tunnel est cependant loin d’être idyllique, et s’apparente davantage à un cauchemar qu’à l’incarnation de ses voeux les plus chers. Le danger est omniprésent, et semble se nourrir des sombres pensées qui habitent l’esprit tourmenté du jeune garçon.
On peut légitimement se demander quel est le public visé par l’auteur. Contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là, le classement en littérature jeunesse me paraît tout à fait justifié, compte-tenu des thèmes abordés. Les adultes y trouveront aussi leur compte, mais ne me semblent pas être le coeur de cible de l’ouvrage ! Le roman est en revanche à déconseiller aux lecteurs les moins expérimentés (13 ans me semble être un bon âge pour le découvrir, et les adolescents devraient également l’apprécier). Il est vrai que le récit troussé par John Connolly se révèle la plupart du temps très sombre, et que certaines scènes y sont particulièrement violentes, voire un peu gores (le sang coule à flots), quand elles ne deviennent pas franchement malsaines (je pense notamment aux interventions du sinistre Crooked Man, glauquissimes et parfois à limite de l’insoutenable). Le roman compte également quelques allusions d’ordre sexuel (rien de bien méchant, mais mieux vaut être prévenu avant de le mettre entre les mains d’un charmant bambin).
L’auteur irlandais signe donc un ouvrage d’une grande noirceur, mais n’est-ce pas là le propre des contes, dont le rôle est justement d’offrir un support aux blessures et désirs inconscients de l’individu (du moins quand ceux-ci ne sont pas édulcorés, amputés de leur sinistre dénouement ou passés à la moulinette hollywoodienne) ? Le déroulement de l’intrigue est on ne peut plus classique, le voyage de David s’apparentant à un parcours initiatique semé d’embûches, à l’issue duquel l’enfant capricieux, devenu plus mûr et plus ouvert, parviendra enfin à surmonter le deuil de sa mère trop tôt disparue. Les enfants ne sont pas à la fête dans le monde créé par Connolly, et le sort qui leur est réservé est souvent bien cruel ! J’ai apprécié ce discours très cru, sans concession, qui ne cherche pas à atténuer la douleur en masquant la réalité.
Le début du roman est très réussi (les premiers chapitres se déroulent dans le monde réel, et c’est sans doute la partie que j’ai préférée, les sentiments de David étant rendus avec beaucoup de finesse). La fin est également admirable, tout à la fois émouvante et pleine d’enseignements. Et entre les deux, me direz-vous ? J’ai trouvé le monde fantastique bien décrit. Connolly convoque des créatures issues d’univers très variés : harpies, trolls, Loups humanoïdes et monstres en tous genres se côtoient allègrement dans cet environnement étrange, et les personnages que croise David sont pour la plupart très intéressants, qu’il s’agisse de Roland, guerrier homosexuel à la recherche de son amour disparu, ou encore du Woodsman, présence rassurante et mélancolique qui sauvera son jeune compagnon de bien des situations périlleuses. J’ai déjà eu l’occasion de citer le Crooked Man, terrifiant über-méchant dont les motivations demeureront longtemps obscures pour le lecteur, mais il n’est évidemment pas le seul à étendre son emprise maléfique sur les habitants du Royaume. Mention spéciale à cette redoutable et vaniteuse chasseresse, dont nous faisons la connaissance au seizième chapitre : cette sympathique demoiselle s’épanouit en créant des êtres hybrides, mi-homme mi-animal, par le biais de cruelles opération de chirurgie (un peu à la manière d’un Dr Moreau au féminin). Il fallait y penser !The Book of Lost Things propose également de nombreuses variations autour des contes de notre enfance, ici réécrits dans des versions plus “adultes”, en tout cas moins naïves que les originaux. Hansel, Gretel et le Petit Chaperon Rouge connaissent ainsi des destins pour le moins surprenants, tandis que l’histoire de Blanche-Neige et de ses sept Camarades Nains nous vaut l’un des passages les plus drôles du livre (preuve que l’auteur sait également faire preuve d’humour quand il le faut) !
Si la trame d’ensemble m’a plu, j’ai en revanche trouvé certains passages profondément ennuyeux, notamment dans le deuxième tiers du roman. Cela est sans doute dû à mon manque d’affinité vis à vis des univers de type fantasy (en dehors du LoTR, qui ne combat évidemment pas dans la même catégorie). Les créatures style Loups, trolls et autres bêtes sanguinaires ne me passionnent guère, et je reconnais avoir sauté quelques paragraphes lors des scènes de “poursuite” ou de traque, qui sont loin d’être les plus réussies et les plus intéressantes du roman. Question de goût, probablement… Cela explique sûrement pourquoi j’ai mis aussi longtemps à le lire (presque deux semaines, ce qui est très inhabituel) ! Le récit gagne fort heureusement en intensité lorsque David arrive chez le Roi, c’est-à-dire aux environs du chapitre 27 (sur 33). Les révélations s’enchaînent, et la psychologie reprend alors le dessus, pour mon plus grand plaisir.
Ces quelques bémols mis à part, je reconnais avoir été séduite par la densité de l’ensemble. John Connolly allie intelligence et subtilité, et les thèmes les plus intimistes et délicats se mêlent parfaitement aux scènes d’action pures. Pour ne rien gâter, The Book of Lost Things est aussi (surtout ?) un roman sur le pouvoir des livres et de la lecture, envisagé par le biais de la relation qu’entretient David avec les nombreux ouvrages qui peuplent les étagères de sa chambre. C’est tout un univers qui attend patiemment d’être exploré, derrière les couvertures soigneusement refermées !
Mon ressenti n’est sans doute pas aussi enthousiaste que celui d’autres blogueuses, mais je ressors tout de même plus que satisfaite de cette lecture, dont le dénouement n’a probablement pas fini de me hanter. Je terminerai toutefois par une petite recommandation : je vous déconseille de lire ce livre si vous êtes totalement hermétique aux univers imaginaires et/ou peuplés de créatures fantastiques (je connais quelqu’un qui n’a pas réussi à dépasser le cap des cent premières pages pour cette raison).
Un roman profond et bien écrit. A découvrir, malgré quelques longueurs.
——————————————
Première participation à mon Tour du Monde 2014 avec l’Irlande, dans le cadre du Challenge Myself organisé par Romanza.
Il y a vraiment tant d'être fantastiques dans ces pages ?
Pas tant que ça, mais certains sont présents en fil rouge, et il y a quelques scènes un peu longuettes (je trouve).
Merci beaucoup pour ton avis!
"Moins enthousiaste que d'autres", peut-être, mais bien argumenté 🙂
Je l'ai dans ma PAL depuis un bout de temps, et il faudrait que je l'en sorte! Tu m'en as donné l'envie.
il vaut le coup d'être lu, malgré mes réserves !
Je te dirai quoi 🙂
J'ai un très bon souvenir de ce livre, malgré la noirceur de certains contes. J'adore ce genre de reprise intelligente de classiques des contes de fées.
Oui, moi aussi, c'est ce qui m'a beaucoup plu dans ce roman. Je pense que j'en garderai aussi un bon souvenir, malgré quelques réserves.
Tout pareil comme Praline. Je pense qu'il peut convenir autant à des adultes qui aiment les contes et les récits initiatiques qu'aux jeunes… mais pas trop jeunes, par contre!