Amok / Lettre d’une inconnue – Stefan Zweig

Titre original : Der Amokläufer / Brief einer Unbekannten /
Traduction : Alzir Hella et Olivier Bournac
eBook, Le Livre de Poche, 1922, 1991, 78 pages/63 pages/25 pages

 

Je vais essayer d’être brève, afin de ne pas écrire une critique plus longue que le texte lui-même (chaque nouvelle ne comptant que quelques dizaines de pages). Ce serait bien mon genre…

 

Les trois récits qui constituent ce recueil appartiennent au cycle Nouvelles d’une passion (Novellen einer Leidenschaft), publié par Stefan Zweig en 1922. Amok et Lettre d’une inconnue sont probablement les nouvelles les plus célèbres et les plus unanimement acclamées de ce très grand écrivain, dont la plume éblouissante nous entraîne avec délices au plus profond des tourments de l’âme humaine. J’avais déjà beaucoup aimé Vierundzwanzig Stunden aus dem Leben einer Frau (je crâne parce que je l’ai lu en allemand !), qui n’atteint cependant pas les sommets de ces deux textes sublimes, à découvrir absolument si comme moi vous avez réussi l’exploit de vivre pendant plus de trente-cinq ans sans avoir lu ces deux petites merveilles. J’en profite d’ailleurs pour remercier mon ami PPNG (il se reconnaîtra), sans lequel j’aurais peut-être attendu encore dix années de plus avant d’ouvrir ce livre merveilleux.

 

Amok

 

La première phrase :
 
Au mois de mars 1912, il se produisit dans le port de Naples, lors du déchargement d’un grand transatlantique, un étrange accident sur lequel les journaux donnèrent des informations abondantes, mais parées de beaucoup de fantaisie.

 

Mon avis :
 
Le passager d’un paquebot reçoit sur le pont du navire qui le ramène en Europe la confession fiévreuse d’un inconnu, ancien médecin expatrié en Malaisie. Celui-ci lui conte l’histoire de sa déchéance, provoquée par une passion délirante à l’issue tragique. Amok ou le fou de Malaisie déroule les mécanismes implacables de la folie obsessionnelle, qui renverse tout sur son passage, dans un déferlement de frénésie sanguinaire incontrôlable.
Le récit véhicule un sentiment d’urgence, révélateur de l’état d’esprit du personnage. Stefan Zweig crée une atmosphère étrange et envoûtante, teintée d’un exotisme moite et quelque peu étouffant. La structure du texte implique deux narrateurs, et deux récits imbriqués l’un dans l’autre (un procédé récurrent chez Zweig). Le médecin malais trouvera un apaisement passager dans le soulagement de la confession, mais ne pourra cependant pas se soustraire à son inéluctable destin.

 

J’ai tout aimé dans cette nouvelle, et je n’ai qu’un seul regret : le texte est trop court !

 
 

Lettre d’une inconnue

 

La première phrase :
R…, le romancier à la mode, rentrait de Vienne de bon matin après une excursion de trois jours dans la montagne.

 

Mon avis :
 
J’ai découvert dans la foulée cette deuxième nouvelle, avec laquelle Stefan Zweig touche au sublime. Lettre d’une inconnue nous conte une histoire terrible, et cependant très émouvante. Il s’agit cette fois de la passion dévorante que nourrit une jeune adolescente de treize ans pour son voisin de palier, à mille lieues de se douter des tourments de cette âme enfantine. La petite fille grandit, et sa passion avec elle. Totalement inconscient du drame, l’homme, écrivain à succès et séducteur peu scrupuleux, reçoit un jour une longue lettre, dans laquelle il découvre la confession brûlante et désespérée de cette femme inconnue, victime des affres de l’Amour.
J’ai été transportée par ce récit d’une délicatesse inouïe, dont le ton à la fois sombre et lumineux n’est pas sans générer un certain malaise. Le romancier autrichien fait montre d’un raffinement extrême, et parvient à nous faire ressentir toute la souffrance d’une femme malade d’amour. C’est à la fois très beau et très triste (les auteurs de romances contemporaines feraient bien d’en prendre de la graine).

 

A noter que je n’ai toujours pas vu l’adaptation réalisée en 1948 par Max Ophüls (Letter from an Unkown Woman), avec la formidable Joan Fontaine dans le rôle de l’inconnue (ce choix me paraît tout à fait adapté au personnage).

 
 

La ruelle au clair de lune

 

La première phrase :
 
Le navire, retardé par la tempête, n’avait pu aborder que très tard le soir, dans le petit port français, et le train de nuit pour l’Allemagne était manqué.

 

Mon avis :

 

La troisième nouvelle du recueil traite également d’une passion amoureuse, qui se révèle cette fois particulièrement sordide, et viciée par l’argent. Il s’agit d’un texte moins fort que les deux autres (il est aussi plus court), mais celui-ci n’est pas dépourvu d’intérêt pour autant. Le personnage principal est un négociant allemand, dont le bateau fait escale dans une ville française ; l’homme se retrouve par hasard dans un quartier mal famé, et pousse la porte d’un estaminet peu avenant, où il va faire la rencontre d’un pauvre homme malmené par sa femme. Zweig utilise une nouvelle fois une structure narrative en forme de récits imbriqués, qui présente ici l’avantage de donner deux visions différentes d’un même personnage. La fin est frustrante, mais je ne doute pas qu’il s’agisse là d’une volonté parfaitement consciente de l’auteur !
 
 
Pour résumer : un recueil remarquable, qui constitue probablement l’un des sommets de l’oeuvre de Stefan Zweig.

 
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Nouvelle participation à mon challenge Le mélange des genres, catégorie “Recueil de nouvelles”.

 

22 thoughts on “Amok / Lettre d’une inconnue – Stefan Zweig

  1. J'aime beaucoup Zwaig et tu as raison, qu'attend-on pour le relire ? 😉 Mon -court- roman préféré de l'auteur reste "La confusion des sentiments".

  2. J'ai été bouleversée par Lettre d'une inconnue, tu as raison ça touche au sublime, en plus j'étais jeune et fraîche. Maintenant que je suis vieille et désabusée, tu me donnes envie de lire les deux autres…
    Très bonne piqure de rappel Miss Léo (revenir aux fondamentaux a toujours du bon)

    1. Je me demande pourquoi je ne l'ai pas lu plus tôt (à l'époque où j'étais moi aussi jeune et fraîche) ! Amok est également un très beau texte.

  3. J'ai lu beauuuucoup de Zweig dans mon challenge Zweig… et Lettre d'une inconnue, j'ai adoré. Ca et La confusion des sentiments sont mes préférés.

    1. Et que penses-tu de ce mode de lecture (sans bien sûr que cela remplace le livre) car j'hésite encore à m'en acheter une …) ?

  4. Oui, qu'est-ce que j'attends pour relire Zweig ? C'est toujours un tel plaisir. J'ai lu deux des nouvelles sur les trois que tu présentes.

  5. Je n'ai lu que Lettre d'une inconnue, tu me donnes envie de ressortir mon livre pour Amok (je ne me rappelle pas avoir le 3e titre dedans ??)
    J'e n'ai lu que deux ou trois titres de lui. Il a l'avantage d'avoir une incroyable plume, efficace en quelques pages, ce que beaucoup de contemporains n'ont pas…

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