Vierundzwanzig Stunden aus dem Leben einer Frau – Stefan Zweig

Lu en allemand

Lecture commune avec Eliza et Shelbylee

 

Titre français : Vingt-quatre heures de la vie d’une femme
Traduction (allemand) : Alzir Hella et Olivier Bournac
Le Livre de Poche Bilingue, 1925/1946, 223 pages (soit environ 110 pages de texte effectif)

 

La première phrase :
In der kleinen Pension an der Riviera, wo ich damals, zehn Jahre vor dem Kriege, wohnte, war eine heftige Diskussion an unserem Tische ausgebrochen, die unvermutet zu rabiater Auseinandersetzung, ja sogar zu Gehässigkeit und Beleidigung auszuarten drohte.
Dans la petite pension de la Riviera où je me trouvais alors (dix ans avant la guerre), avait éclaté à notre table une violente discussion qui brusquement menaça de tourner en altercation furieuse et fut même accompagnée de paroles haineuses et injurieuses.

 

L’histoire :
Début du XXème siècle. Un scandale éclate dans un petit hôtel familial monégasque. Madame Henriette, mariée, deux enfants, s’enfuit avec un jeune français charismatique, plantant là son malheureux époux et ses deux petites filles. Cette aventure inattendue suscite de vives réactions parmi les autres pensionnaires, qui ne comprennent pas ce qui a pu pousser cette femme respectable à tout abandonner du jour au lendemain, pour suivre un individu qu’elle ne connaissait que depuis vingt-quatre heures à peine. Tous la condamnent sans réserve. Seul le narrateur semble trouver quelques circonstances atténuantes à la pauvre Henriette, en qui il ne voit qu’une femme ordinaire, victime de sa propre faiblesse, et rendue vulnérable par les assauts irrésistibles d’une soudaine passion amoureuse. Sa compassion lui attire la sympathie de Mrs C. , une vieille dame britannique d’une soixantaine d’années, qui décide contre toute attente de lui confier un épisode mémorable de sa propre vie, dont elle n’avait jusque là soufflé mot à personne. Commence alors le récit d’une journée riche en émotions, au cours de laquelle Mrs C. faillit elle aussi abandonner sa famille et sa vie bien rangée, pour suivre un jeune homme de vingt ans son cadet.

 

Avant-propos : Sprechen Sie Deutsch ?

 

Notre miss Eliza préférée ayant émis le souhait de lire cette année une nouvelle de Zweig dans sa langue originale, je me suis aussitôt portée volontaire pour l’accompagner dans cette folle entreprise. J’avais pourtant quelques doutes quant à ma capacité à mener à bien ce projet . . . J’ai étudié l’allemand pendant cinq ans,  jusqu’en terminale, mais je n’ai jamais eu l’occasion de le pratiquer depuis. Autant dire que j’ai eu tout le loisir d’oublier le vocabulaire que j’avais péniblement amassé au cours ma scolarité ! Quinze ans d’abstinence, c’est beaucoup, et j’ai pu constater lors d’un récent voyage en Allemagne que j’étais devenue incapable d’aligner trois mots, butant sur les termes les plus anodins.

 

L’allemand est pourtant une langue que j’affectionne, dont l’apprentissage m’a toujours procuré beaucoup de plaisir. Je suis d’ailleurs très agacée lorsque j’entends des crétins de français critiquer cette langue sublime et extrêmement poétique, aux sonorités particulièrement agréables à l’oreille. Cela me fout en rogne, et j’ai du mal à admettre que l’on puisse nier l’intérêt d’une langue étrangère sous le seul prétexte que l’on a rencontré quelques difficultés à l’apprendre de façon efficace. Que dire de ces personnes pour lesquelles l’allemand se réduit aux injonctions des nazis, et qui ne feront par conséquent aucun effort pour en percevoir toute la beauté ?

 

Bref. D’un naturel désespérément optimiste, j’ai d’abord opté pour une version 100% allemande de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, que j’avais téléchargée sur ma liseuse pour une somme très raisonnable. Après en avoir relu quinze fois la première page, et ne souhaitant pas passer ma vie dans le dictionnaire, j’ai finalement adopté cette excellente édition bilingue, publiée au Livre de Poche (très jolie couverture, soit dit en passant). Je pensais que le fait d’avoir la traduction sous les yeux me gâcherait le plaisir de la lecture (c’est le cas lorsque je lis en anglais), mais il n’en a rien été. Au contraire, j’ai même été très agréablement surprise par la fluidité avec laquelle j’ai dévoré cette nouvelle, en effectuant de fréquents allers-retours très rapides entre le texte original et la traduction. Ce processus est facilité par une mise en page adaptée et particulièrement ergonomique.

 

La langue de Zweig est magnifique, et l’on se laisse très vite bercer par le rythme particulier qui se dégage du récit. Cela m’a rassurée quant à mon niveau d’allemand. Si j’ai perdu la quasi-totalité du vocabulaire, mes connaissances en matière de grammaire et de syntaxe sont fort heureusement demeurées intactes, ce qui me permet d’analyser facilement la structure des phrases, à condition que l’on me fournisse la signification de certains mots inconnus (tâche parfaitement accomplie par la traduction figurant en vis à vis sur la page d’à côté). J’ai pu constater que je me référais de moins en moins au texte français au fur et à mesure que je progressais dans ma lecture. Certains mots ont brusquement resurgi des tréfonds de ma mémoire, et j’ai  parfois réussi à deviner la signification de termes obscurs en analysant leur structure (cela est évidemment facilité par le caractère agglutinant de la langue allemande, consistant à associer plusieurs mots pour en former un nouveau). Mon rythme de lecture s’est progressivement accéléré, et je suis très heureuse d’avoir persévéré.

 

J’ai adoré lire en allemand, et je regrette profondément de ne pas l’avoir fait à l’époque où j’étudiais cette langue ! Je renouvellerai très probablement cette expérience fort agréable dans un futur proche. Le choix reste cependant assez limité, puisque mon niveau demeure insuffisant pour tenter autre chose que des éditions bilingues ou copieusement annotées. J’ai cependant quelques textes en réserve, auxquels je m’attaquerai bientôt . . .

 

Merci Eliza, je suis ravie d’avoir partagé cette expérience avec toi !

 
 

L’opinion de Miss Léo :

 

Et le livre, me direz-vous ? Difficile d’en parler sans spoiler !Stefan Zweig, dont le talent n’est plus à démontrer, signe ici une superbe nouvelle, placée sous le double signe de la passion et de la folie, thèmes récurrents dans l’oeuvre de l’écrivain autrichien. L’auteur s’invite fréquemment dans son récit, empruntant la voix de Mrs C. ou celle du narrateur. Le lecteur est pris à témoin, et se voit installé en position d’observateur privilégié, spectateur du théâtre des comportements humains. Les personnages de Zweig sont emportés par une fièvre dévastatrice, qui annihile toute réflexion et toute volonté propre. Ils sont prêts à sacrifier leur vie sur l’autel de la passion qui les anime, qu’il s’agisse du besoin frénétique de miser de l’argent éprouvé par un joueur compulsif, ou du désir brusquement ressenti par une femme pour un homme dont elle ignore (presque) tout. C’est la confusion des sentiments, pour paraphraser le titre d’une célèbre nouvelle !
 
L’histoire est pourtant simplissime. Mrs C. confie au narrateur comment elle a un beau jour pris un jeune homme sous son aile, cédant ainsi à une impulsion subite, et évoque les circonstances dans lesquelles cette relation, d’abord presque maternelle, s’est imperceptiblement transformée en amour passionné (une évolution pouvant d’ailleurs sembler quelque peu rapide et artificielle, c’est là le seul bémol que je formulerai au sujet de l’oeuvre). Cette intrigue sans grande originalité est toutefois sublimée par le style magnifique d’un auteur en état de grâce, dont on retrouve ici la plume si caractéristique. Zweig décrit comme personne les ravages de la passion, et le texte regorge d’images saisissantes, comme ces longues descriptions des mains du jeune homme, auxquelles l’auteur consacre plusieurs pages. C’est en observant ses mains que Mrs C. fait pour la première fois la connaissance de cet être possédé, attablé à l’une des tables de jeu d’un casino monégasque. Les deux appendices se révèlent étonnamment expressifs, tels deux petits animaux dotés d’une vie propre, dont les mouvements et les sursauts traduiraient parfaitement le tumulte intérieur de leur maître, consumé par un inextinguible feu sacré.
 
C’est ce même feu intérieur qui brûle le sang et les entrailles de Mrs C. , laquelle connaîtra en moins de vingt-quatre heures tous les tourments du sentiment amoureux. La jeune veuve se perd en tentant de sauver le jeune homme criblé de dettes d’une mort certaine. La passion conduit inévitablement à la folie, et le suicide apparaît souvent comme la seule alternative acceptable, bien que l’instinct de mort soit généralement surpassé par la volonté de vivre. Zweig envisage le désir comme une forme de possession, et parsème son récit de nombreuses métaphores démoniaques, le visage enfantin du joueur invétéré se métamorphosant de façon spectaculaire sous l’emprise du pouvoir de la roulette. La douce et raisonnable Mrs C. finira elle-même par céder à la colère et à l’emportement. On notera par ailleurs le recours à des termes récurrents, traduisant les émotions et la tension des personnages : il est fréquemment fait références aux tremblements (Zittern), au désespoir (Verzweiflung), à la passion (Leidenschaft), à l’excitation (Erregung), ou encore à l’absence de sens (sinnlos). A force de retrouver les mêmes mots toutes les cinq pages, j’ai fini par les retenir ! Je reconnais cependant avoir été totalement envoûtée par la prose de l’auteur, qui a suscité en moi un flot continu d’émotion, après une mise en route un peu laborieuse.

 

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme offre également la description d’un milieu mondain psycho-rigide,  régi par des codes et des convenances sociales d’un autre siècle (c’est le cas de le dire, puisque le récit démarre vers 1900, avant que la confession de Mrs C. ne nous ramène une vingtaine d’années en arrière). Les expériences vécues par Mme Henriette et par la vieille écossaise soulèvent quelques questions quant à la place de la femme dans cette société dirigée par des hommes, pour les hommes. La femme peut-elle s’épanouir dans le mariage ? A-t-elle un devoir moral envers son mari et ses enfants ? A-t-elle le droit de tout plaquer pour vivre pleinement ses passions, et échapper au carcan dans lequel on l’emprisonne bien volontiers ? Stefan Zweig se distingue de ses contemporains par son écriture très humaniste, féministe avant l’heure, et souvent teintée de psychanalyse. Longtemps rongée par la honte et la culpabilité, Mrs C. finira néanmoins par trouver l’apaisement, que lui procurera la confession tardive de son égarement d’autrefois.

 

Vous l’aurez compris, j’ai adoré cette nouvelle, malgré le caractère prévisible de son intrigue, et je me réjouis d’avoir encore d’innombrables textes de Zweig à découvrir. Je remercie une nouvelle fois mes partenaires de LC, dont je vous invite à découvrir les avis sur leurs blogs respectifs.Un très beau texte sur la passion et le sentiment amoureux.

 

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Nouvelle étape (autrichienne) de mon Tour du monde 2013, dans le cadre du challenge Myself de Romanza. Et puis, pendant que j’y suis, voici également une nouvelle contribution au Défi cent pages, organisé chez La Part Manquante.

 


 

22 thoughts on “Vierundzwanzig Stunden aus dem Leben einer Frau – Stefan Zweig

    1. La Comète a bon goût ! Je n'ai pour l'instant lu que très peu de textes de Zweig, et je me réjouis d'en avoir encore autant à découvrir !

    1. J'ai déjà lu "Le joueur d'échecs", ainsi que sa biographie de Magellan, qui est excellente. Zweig excelle dans tous les genres !

    1. C'est une langue très fluide, très agréable. La traduction figurant dans ma version bilingue était cependant très bonne, et cela ne m'aurait pas dérangée de le lire en français.

  1. Quand je me dis que tu l'as lu en VO, alors que j'ai parfois dû relire certains passages 2 fois en français pour saisir toute la subtilité de la phrase. 5 ans d'allemand aussi, mais seulement de vagues souvenirs sur des thèmes comme l'environnement, le sport ou le IIIe Reich, étonnamment difficiles à recaser dans une conversation…En tout cas, j'ai adoré Zweig !

    1. C'est vrai que j'ai dû relire certaines phrases plusieurs fois pour les décortiquer et en comprendre le sens. Mais cet exercice me plaît beaucoup, et j'ai tout de même réussi à lire de longs passages sans m'arrêter (ou presque) ! J'avais pour ma part de vagues souvenirs concernant la réunification allemande et l'ancienne RDA (pas forcément faciles à recaser dans une conversation non plus).

  2. C'est fou ! bravo !
    Un petit livre qui fait le poids. Le film adapté est beau aussi, mais j'ai préféré le roman.

    1. Je n'ai pas vu le(s) film(s), mais je vais essayer de me le(s) procurer. Je reste cependant persuadée qu'aucune image ne peut égaler la plume de Zweig.

    1. Je n'en ai pas lu beaucoup, maisje crois que j'ai préféré Le Joueur d'Echecs, dont le thème m'avait peut-être davantage intéressée que celui-ci. La plume de Zweig n'en demeure pas moins remarquable, et je n'ai pas ressenti l'agacement que tu évoques.

  3. je n'aurais pas le niveau pour le lire en Allemand, par contre il est en français dans ma PAL, il faut que je m'y mette! bonne soirée!

  4. Une nouvelle que ton très beau billet me donne envie de lire ! J'aime beaucoup le style de Zweig et l'époque observée alors je crois que ça pourrait me plaire !
    D'ailleurs, félicitations de l'avoir lu en allemand, je suis impressionnée !

    1. Merci. Je suis contente d'être arrivée au bout. Si tu aimes Zweig, il n'y a aucune raison que tu sois déçue par ce texte, même si plusieurs personnes affirment qu'il ne s'agit pas de sa meilleure nouvelle.

  5. J'avais adoré ce livre, mais à part cette histoire de mains, je n'en ai gardé aucun souvenir. Chapeau de l'avoir lu avec une édition bilingue, je suis beaucoup trop flemmarde pour le faire (pourtant, j'adorais l'allemand).

    1. Je suis moi-même assez flemmarde : c'est d'ailleurs pour cette raison que je n'avais encore pratiquement rien lu en allemand ! Mais j'avais très envie de m'y remettre, et je suis très contente d'avoir franchi le pas.

  6. Un auteur que ne déçoit jamais ! J'adore lire Zweig et pourtant mis à part ses biographies, je ne garde que très peu de souvenir de ses romans !!

    1. J'ai découvert Zweig tardivement avec Le Joueur d'Echecs, que j'avais déjà beaucoup aimé. J'ai aussi lu sa biographie de Magellan, et j'ai acheté celle de Marie Stuart dans la foulée. J'ai l'intention de la lire bientôt, ainsi que plusieurs de ses nouvelles. Quel auteur enthousiasmant !

  7. J'ai bien aimé ce texte de Zweig, même si ce n'est pas mon préféré. Je suis toujours charmée par la façon qu'il a de décrire les sentiments amoureux. Et bravo, je suis impressionnée que tu l'aies lu en Allemand!

    1. Merci ! Je me réjouis d'avoir encore une multitude de textes de Zweig à découvrir (je n'ai lu que "Le joueur d'échecs" et sa biographie de Magellan, mais j'en ai plein d'autres en stock).

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