Futu.re – Dmitry Glukhovsky

Titre original : Boudouchtchéïé
Traduction (russe) : Denis E. Savine
e-Book, Editions L’Atalante, 2015, 726 pages

 

La première phrase :
L’ascenseur, c’est un engin formidable, me dis-je. 

 

L’histoire :
(résumé de l’éditeur)
Dans un avenir pas si lointain… L’humanité a su manipuler son génome pour stopper le processus de vieillissement et jouir ainsi d’une forme d’immortalité. L’Europe, devenue une gigapole hérissée de gratte-ciel où s’entasse l’ensemble de la population, fait figure d’utopie, car la vie y est sacrée, et la politique de contrôle démographique raisonnée. La loi du Choix prône que tout couple qui souhaite avoir un enfant doit déclarer la grossesse à l’État, et désigner le parent qui devra accepter l’injection d’un accélérateur métabolique qui provoquera son décès à plus ou moins brève échéance.
Une mort pour une vie, c’est le prix de l’État providence européen.
Matricule 717 est un membre de la Phalange qui débusque les contrevenants. Il vit dans un cube miteux de deux mètres d’arête, et se contente du boulot de bras droit d’un commandant de groupe d’intervention. Un jour, pourtant, le destin semble lui sourire quand un sénateur lui propose un travail en sous-main : éliminer un activiste du parti de la Vie, farouche opposant à la loi du Choix et au parti de l’Immortalité, qui menace de briser un statu quo séculaire.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Je change encore de style, avec un très chouette roman de SF russe, acheté suite à la bonne critique parue cet automne dans Télérama. Il s’agit en l’occurrence d’une dystopie, dont l’auteur n’en est pas à son coup d’essai. Journaliste et romancier, Dmitry Glukhovsky, aujourd’hui âgé de 36 ans, est en effet connu pour avoir écrit Métro 2033, dont l’univers post-apocalyptique fut décliné sous forme de jeu vidéo il y a quelques années. Je le lirai sûrement un jour, mais là n’est pas le sujet du présent billet.Présenté comme un “roman utopique”, Futu.re fut le compagnon des premières nuits de mon congé maternité, alors que je cherchais désespérément comment m’installer pour que la position ne soit pas trop inconfortable (j’en profite pour bénir le cousin d’allaitement prêté par ma copine G., sans lequel je n’aurais probablement pas survécu). Je me suis vite prise au jeu d’une intrigue savamment construite, conçue pour tenir le lecteur en haleine, tout en l’invitant à une passionnante réflexion sur les dérives de nos sociétés actuelles. On découvre dès le premier chapitre une Europe inquiétante, constituée d’une unique mégalopole construite sur des kilomètres de hauteur. Des ascenseurs ultra perfectionnés et des trains à très très très grande vitesse assurent les déplacements verticaux et horizontaux au sein de cette ville-continent, où distances semblent définitivement abolies. C’est dans cet environnement 100% urbain qu’a grandi le narrateur. Jan n’a jamais connu autre chose que cette vaste étendue bétonnée, qui conserve de rares vestiges des anciennes ruelles, églises et autres bâtisses à taille humaine des siècles passés dans les sous-sol de gigantesques gratte-ciel, sur les parois desquels sont projetés des décors campagnards holographiques. Connu sous le nom de Matricule 717 depuis ses (longues) années d’orphelinat (que l’on découvre via de nombreux flash-backs), le jeune homme agit en bon petit soldat aveugle, au service de la Phalange pour laquelle il effectue de bien basses besognes. Sa mission : inoculer la vieillesse (et donc la mort) aux quidams ayant jugé bon de ne pas déclarer la naissance de leur enfant aux autorités concernées. Une succession d’événements imprévus va cependant l’amener à reconsidérer sa position au sein de cette Europe “idyllique”.
 
Dmitry Glukhovsky imagine une société prétendument idéale, dans laquelle les progrès de la science ont permis à l’humanité d’exaucer l’un de ses souhaits les plus chers : accéder à la jeunesse éternelle. La population s’étant multipliée de façon exponentielle, il convient alors d’empêcher les naissances pour assurer la subsistance de tous (les ressources énergétiques et alimentaires n’étant pas illimitées). Pire que la politique de l’enfant unique, voici la loi du Choix ! On comprend vite que l’utopie est en réalité une dystopie, l’Etat bienveillant se révélant évidemment extrêmement violent et totalitaire. Quid du libre-arbitre ? Sous prétexte de vouloir pérenniser le bonheur (factice ?) du plus grand nombre, on sacrifie l’un des principaux fondements de la vie humaine, à savoir la cellule familiale. Il en résulte une société sans âme et profondément décadente, dont on ne peut pas dire qu’elle fasse vraiment rêver…
 
C’est dans ce contexte particulier que le personnage principal va peu à peu découvrir (retrouver ?) son humanité. Jan est un être ambigu, que l’on pourrait même qualifier de franchement antipathique par certains aspects, quelles que soient ses circonstances atténuantes. 717 est raciste et impitoyable, ne ressent aucune empathie pour quiconque, et croit dur comme fer au bien-fondé de sa mission. C’est pourtant lui que l’on suit d’un bout à l’autre de ce roman initiatique, marqué par de nombreuses rencontres inattendues.
 
L’ensemble est assez trash, avec quelques scènes très violentes mais pas racoleuses (le roman vise clairement un public adulte). L’univers futuriste est bien décrit, et le contexte socio-politique très travaillé. Derrière un scénario riche en péripéties se cache en effet une critique assez virulente de notre société (ce qui semble être une habitude chez ce jeune écrivain). Futu.re met le doigt sur les dérives actuelles, et propose une vision pertinente du monde à venir, abordant des problématiques aussi diverses que l’épuisement des ressources naturelles, le recours à une nourriture artificielle, les flux migratoires ou les risques de conflits liés à la surpopulation. Certaines régions du monde sont totalement dévastées, tandis que les citoyens européens vivent à l’étroit dans des logements minuscules, et n’entretiennent plus aucun lien avec la nature. Les “non-Immortels” forment une population à part, et s’entassent quant à eux dans la seule ville de Barcelone, qui constitue un ghetto insalubre au sein de cette Europe aseptisée.
 

Sont également envisagés des thématiques telles que la vieillesse et la peur de la mort, avec toutes les interrogations métaphysiques que suscite l’espoir d’une vie éternelle (que devient l’âme lorsque le corps survit indéfiniment ? doit-on réellement prendre ce cadeau de la science comme une bénédiction ?). Il est également question de paternité et de liens familiaux, ce qui constitue à mon sens le thème central de ce roman, qui se révèle parfois très émouvant.

 
 

Pour résumer : sans être parfait, Futu.re n’en demeure pas moins un roman d’excellente facture, attachant une grande importance à l’évolution de la psychologie de son personnage principal, et que j’ai dévoré avec grand plaisir. L’écriture fluide et agréable donne envie de tourner rapidement les pages, afin d’en connaître au plus vite le dénouement. Ce fut en tout cas une bien belle surprise me concernant !

 
Une excellente dystopie, intelligente et angoissante à souhait.

 

Un bémol cependant : le prix de la version papier, que je trouve exagéré (27 euros tout de même) !!!! Le livre numérique est fort heureusement beaucoup moins cher.

 

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Encore un pavé de janvier pour Bianca.

 

5 thoughts on “Futu.re – Dmitry Glukhovsky

  1. Quelle coïncidence ! Je m'étais justement noter cet auteur pour un petit tout côté SF russe. J'avais prévu Métro 2033 mais ce titre me plairait peut-être davantage. Dilemme !

  2. J'ai découvert l'existence de cet auteur très récemment dans ma bibliothèque avec Métro 2033 (le livre est à Mr Lilly, j'ai encore toute ma raison), et je pense le lire en 2016. Ton avis tombe à pic.

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