La fuite en héritage – Paula McGrath

Titre original : A History of Running Away
Traduction (irlandais) : Cécile Arnaud
Quai Voltaire, Editions de la Table Ronde, 2019, 336 pages

 

(Livre lu dans le cadre du Prix du Roman FNAC 2019)

 

La première phrase :

Elle commence à penser que cette réunion ne finira jamais.

 

Le résumé de l’éditeur :

2012. Une gynécologue hésite à accepter un nouvel emploi à Londres qui lui permettrait d’échapper à l’atmosphère de plus en plus tendue qui règne dans l’hôpital dublinois où elle exerce. Mais qui s’occuperait alors de sa mère qu’elle a été obligée de placer dans une maison de retraite ?
1982. Jasmine, seize ans, prend le bateau pour l’Angleterre et tente d’intégrer la troupe de danseuses d’une émission de télévision. Contrainte de rentrer à Dublin quelques mois plus tard, elle commence à pratiquer la boxe, un sport interdit aux filles dans l’Irlande des années 1980.
2012. Dans le Maryland, Ali, dont la mère vient de mourir, fugue avec un gang de bikers pour sortir des griffes de grands-parents dont elle ignorait jusque-là l’existence.

 

L’opinion de Miss Léo :

 
J’ai aimé ce roman, dont la forte portée émotionnelle n’a rien à envier à celle de Génération, premier ouvrage de l’auteur. Comme dans Génération, on suit un personnage féminin très fort, dont Paula McGrath explore les combats quotidiens avec pudeur et sensibilité. J’ai été séduite par la personnalité de Jasmine. La jeune adolescente irlandaise fuit sa mère dépressive, et part chercher sa raison d’être à Londres, ville de tous les possibles. Elle finira néanmoins par revenir à Dublin suite à quelques déconvenues.
 
La fuite en héritage traite avec brio des relations familiales et amicales, de la maternité, mais aussi (surtout) de la condition féminine en Irlande. Difficile pour Jasmine d’imposer ses choix au début des années 80 ! Sans argent, sans diplôme (elle a quitté le lycée), elle n’a d’autre option que de fréquenter des milieux peu recommandables (squats, bars glauques et autres bookmakers), où elle devient une proie pour de pauvres types sans scrupule. La liberté a un prix ! Elle cherche néanmoins à s’émanciper, et se découvre une passion atypique : la boxe (sport alors interdit aux femmes).
 
Paula McGrath rend parfaitement compte du cheminement de la jeune fille, dont l’énergie et la volonté balaient tout sur leur passage, malgré les doutes et le découragement qui l’assaillent parfois. Elle signe un récit très prenant, du moins pour la partie concernant Jasmine, que j’ai trouvée passionnante. L’intrigue prend un tour plus sociologique dans sa dernière partie, consacrée au thème de l’adoption (corollaire de celui de l’avortement), ici abordé de façon terriblement émouvante et empathique. J’ai été à deux doigts de verser ma petite larme… Il est aussi question de racisme, puisque l’un des principaux protagonistes (et accessoirement l’un des meilleurs amis de Jasmine) a des origines africaines.
 
En dépit de ses (nombreuse) qualités, La fuite en héritage souffre néanmoins de quelques faiblesses. On croit d’abord avoir affaire à une sorte de roman choral, convoquant les points de vue de trois femmes différentes, évoluant dans des contextes, des lieux et des époques différentes, mais cette impression est trompeuse, puisque le récit tourne essentiellement autour de Jasmine. La construction polyphonique est par conséquent bancale, et les retours en 2012 semblent anecdotiques et légèrement ennuyeux, dans la mesure où ils cassent complètement le rythme du récit. Bien sûr, ce choix narratif prend tout son sens à la fin du roman, mais le procédé est ici mal exploité (Paula McGrath s’était à cet égard montrée nettement plus convaincante dans Génération). D’autre part, j’ai trouvé que certains rebondissements étaient un peu “faciles”, et que la crédibilité du roman en pâtissait légèrement.
 
Ce nouvel opus, dense et intelligent, n’en confirme pas moins les qualités de conteuse de la romancière dublinoise, dont je continuerai à suivre le travail avec grand plaisir. La fuite en héritage n’a pas été retenu dans la sélection finale du Prix FNAC, mais il mérite à mes yeux d’être découvert.

 



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