Titre original : 19 imra’a : Souriyyat yarwayn
Traduction (arabe) : Emma Aubin-Boltanski et Nibras Chehayed
Stock, La Cosmopolite, 2019, 426 pages

Livre lu dans le cadre du Prix Elle 2020.

La quatrième de couverture :

19 femmes est le fruit d’une série d’entretiens que j’ai menés avec des Syriennes dans leurs pays d’asile, ainsi qu’à l’intérieur du territoire syrien. À chacune j’ai demandé de me raconter ‘‘leur’’ révolution et ‘‘leur’’ guerre. Toutes m’ont décrit le terrible calvaire qu’elles ont vécu.

Je suis hantée par le devoir de constituer une mémoire des événements qui contrerait le récit qui s’emploie à justifier les crimes commis, une mémoire qui, s’appuyant sur des faits incontestables, apporterait la preuve de la justesse de notre cause. Ce livre est ma façon de résister.

Samar Yazbek

L’opinion de Miss Léo :

Difficile de porter un jugement sur ce livre… Les témoignages des 19 femmes éponymes sont ici livrés sous forme brute, à peine retouchés par Samar Yazbek. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une oeuvre littéraire, et la qualité des différents récits ne peut être évaluée qu’à la lueur de ce qu’ils racontent. Le livre présente de ce point de vue un intérêt historique certain, dans la mesure où il permet d’appréhender les mécanismes et les conséquences d’un conflit récent, dont nous percevons parfois mal les enjeux humains.

Les témoignages montrent bien la complexité de la situation inextricable dans laquelle se retrouve aujourd’hui plongée la Syrie. Pris en tenaille entre Bachar Al-Assad, Daech, Jabhat al-Nusra et l’Armée libre, les habitants semblent condamnés à souffrir, et contemplent impuissants la destruction et le recul sociétal de leur pays martyr. Le constat est affligeant, d’une tristesse incommensurable, et suscite avant tout un douloureux sentiment d’injustice.

Ces dix-neuf femmes de tous âges racontent les massacres, les bombardements, la famine et les tortures infligées par le régime dans des prisons surpeuplées. Elles évoquent la perte soudaine de leurs libertés dans les zones contrôlées par les groupes islamistes. Toutes ont en commun d’avoir fait des études, qu’elles s’efforcent de poursuivre coûte que coûte, tout en s’organisant collectivement pour maintenir un semblant de cohésion sociale. À travers leurs mots se dessine peu à peu un aperçu assez vaste de ce qu’a pu devenir la vie quotidienne des syriennes après 2011.

En apportant des soins médicaux aux blessés, en documentant les crimes commis en Syrie, en s’impliquant dans l’éducation des jeunes filles les plus défavorisées, la plupart de ces femmes ont contribué à mettre en place une forme de résistance civile, jusqu’à ce que la fuite et l’exil deviennent la seule porte de sortie envisageable. Parmi les témoignages sélectionnés par Samar Yazbek, certains replacent la crise actuelle dans un contexte plus vaste, en remontant jusqu’à la deuxième moitié du vingtième siècle. N’étant guère au fait de l’histoire politique de la Syrie, j’ai apprécié cette mise en perspective, qui permet de mieux appréhender les événements d’aujourd’hui (ceux-ci n’étant finalement que la conséquence prévisible d’une situation depuis longtemps explosive). On mesure ainsi le chemin parcouru, jusqu’aux espoirs déçus du Printemps Arabe, dans un pays qui n’était de toute évidence pas prêt à mener sa Révolution…

Ce fut donc une lecture très intéressante, enrichissante à bien des égards. Les choix opérés par Samar Yazbek sont généralement pertinents, mais je ne suis pas totalement convaincue par la forme. Les récits sont parfois redondants, et les dix-neuf femmes peinent à exister en tant qu’individu (leurs histoires se superposent et s’entremêlent, ce qui est à la fois une force et une faiblesse). Je regrette également le côté trop factuel de certains témoignages ; je comprends la démarche de l’auteur, ainsi que la nécessité de recueillir des données brutes, mais cela rend parfois la lecture un peu laborieuse. J’aurais sans doute préféré un document plus synthétique, offrant davantage de place à l’analyse. Ceci étant, j’ai tout de même lu avec beaucoup d’attention l’ensemble des témoignages, et je pense qu’il s’agit d’un ouvrage important, qui mérite d’être découvert.