Pierre de Lune – W. Wilkie Collins

Chroniqué dans le cadre du mois Wilkie Collins, pour le Challenge Victorien de la charmante Aymeline (aussi connue sous le nom d’Arieste).

 

Titre original : The Moonstone
Première parution : 1868
Editions Phebus, Collection Libretto, 2011, 611 pages

 

Ma première rencontre avec William Wilkie Collins (1824-1889) remonte au milieu des années 90, lorsque La Dame en Blanc fut réédité par les éditions du Masque. La quatrième de couverture présentait le livre comme “l’ancêtre du thriller et du roman policier moderne”. Je ne pouvais pas passer à côté, étant déjà grande amatrice de littérature policière ET passionnée par l’Angleterre victorienne. J’ai maintenant une bonne quinzaine d’années en plus, mais je n’ai pas beaucoup évolué de ce côté là… Certaines obsessions ont la vie dure !
 
Pour en revenir à la Dame en Blanc, je n’ai pas de souvenir très précis de l’histoire, mais je me rappelle avoir été positivement impressionnée par cette intrigue mystérieuse et machiavélique. J’ai donc décidé de me plonger dans le reste de l’oeuvre de ce cher Wilkie, qui fut l’ami de Dickens, et dont les romans rencontrèrent en leur temps un important succès public. A nous deux, Pierre de Lune !
 
La dernière phrase du prologue :

 

Je crois également que d’autres personnes regretteront d’avoir accepté la Pierre de Lune, si jamais il leur en est fait présent.
 

 

L’histoire :

 

Yorkshire, 1848.

 

Miss Rachel Verinder hérite le soir de ses dix-huit ans d’un superbe diamant indien à l’éclat exceptionnel, dont on dit qu’il serait porteur d’une malédiction hindoue. La Pierre de Lune (c’est son nom) est dérobée dans la nuit suivant les festivités. Très vite, les soupçons portent sur les trois jongleurs hindous aperçus la veille dans la vaste propriété. Le sergent Cuff, envoyé de Londres pour résoudre le mystère de la disparition du diamant, ne l’entend cependant pas de cette oreille. Cuff a vite compris que le coupable ne pouvait être que l’un des habitants de la maison, opinion renforcée par l’étrange comportement de Miss Rachel, qui accueille l’arrivée du policier avec une agressivité démesurée. Il pourra compter dans son enquête sur l’aide de Gabriel Betteredge, narrateur et fidèle régisseur de Lady Julia Verinder.

 

L’opinion de Miss Léo :

 

Pierre de Lune fait partie de ces livres plein de promesses, que l’on ouvre avec une pointe d’excitation. La quatrième de couverture de la présente édition ne révèle rien de l’histoire, et se contente de rappeler à quel point de grands auteurs comme Borges ou T.S. Eliot ont pu être impressionnés par ce livre, réputé comme étant l’oeuvre la plus aboutie de Wilkie Collins. Me voici donc à mon tour immergée dans l’histoire du diamant indien… pour mon plus grand bonheur ! Je n’ai pas été déçue par ce roman admirable, qui justifie pleinement toutes ces critiques élogieuses dont il a pu faire l’objet.

 

 

 
Après une entrée en matière exotique se déroulant aux Indes, nous nous retrouvons plongés au coeur d’une intrigue policière ancrée dans la haute société victorienne, qui nous mène du Yorkshire aux quartiers huppés de Londres. Précurseur du roman à énigme (le fameux “whodunit”), Pierre de Lune est une oeuvre complexe, malgré une intrigue en apparence simplissime  : la pierre de lune a disparu ; les témoignages des différents protagonistes permettront-ils d’élucider le mystère de cette disparition ? La résolution de l’énigme se double d’une observation subtile de la société de l’époque, mâtinée d’un zeste de satire sociale et d’ironie. Ce sont les vices cachés et les perversions de tous ces respectables individus qui sont ici dévoilés, et nul n’échappe aux soupçons qui pèsent sur l’ensemble de la maisonnée. On imagine sans peine ce que cela pouvait avoir de dérangeant à l’époque de la parution du roman ! Celui-ci aborde des sujets aussi divers que le mariage, l’endettement, l’héritage, la position de la femme ou la dépendance à l’opium.
 

 
Le style de Wilkie Collins (ou du moins sa traduction) est incroyablement vif et moderne, malgré quelques petite longueurs. Pierre de Lune bénéficie d’une structure narrative originale, où les témoignages successifs de plusieurs personnages permettent de reconstituer l’histoire du vol du diamant dans son intégralité. Ceux-ci sont présentés sous forme de lettres, récit ou journal. Wilkie Collins passe avec aisance d’un narrateur à l’autre, construisant ainsi une galerie de personnages aux personnalités bien définies. Chacun présente son propre point de vue, évidemment non dénué de préjugés, bien que tous s’efforcent de relater les faits avec la plus grande exactitude possible. Se succèdent ainsi Gabriel Betteredge, le vieux domestique attachant qui ne jure que par Robinson Crusoë, son livre fétiche ; Miss Clack, cousine pauvre de la famille Verinder, fanatique religieuse cherchant à convertir les pauvres brebis égarées ; Franklin Blake, jeune premier rationnel, épris de sa cousine Rachel Verinder ; le sergent Cuff, brillant enquêteur passionné par la culture des roses ; Ezra Jennings, sympathique assistant du docteur Candy, se livrant à d’étranges expériences pour établir la vérité au sujet du vol de la Pierre de Lune. Au lecteur de se faire sa propre opinion.

Notons que les femmes n’ont pas toujours le beau rôle, à l’exception de Lady Julia Verinder. Miss Clack est un odieux personnage hypocrite, dont la piété et la dévotion dissimulent la jalousie et l’amertume. Rosanna Spearman, femme de chambre impliquée dans le vol du diamant, semble agir par dépit amoureux. Quant à Rachel, elle est antipathique au possible… du moins dans la première partie du roman ! Il est par ailleurs intéressant de noter la place accordée à l’inconscient. Les personnages se mentent à eux-mêmes, refoulant certaines de leurs pensées et souvenirs les plus embarrassants. Il s’agissait là encore d’un point de vue extrêmement novateur pour l’époque !

 

 

En plus des aspects évoqués plus haut, Pierre de Lune fourmille de détails, pour le plus grand plaisir du lecteur. Wilkie Collins ajoute des éléments de décor fascinants, tels les Sables Frissonnants, qui engloutissent tout ce qui passe à leur portée. On devine très vite qu’ils auront un rôle à jouer dans l’intrigue. Tous ces aspects en font un roman palpitant, à la narration virtuose, qui suscite jusqu’au bout l’intérêt du lecteur. Personnellement, j’ai ressenti un petit coup de mou aux environs de la page 200, à la fin du récit de Gabriel Bettreredge. Le changement de narrateur et l’entrée en scène du personnage de Miss Clack m’ont permis de retrouver l’intérêt qui était le mien au début, et j’ai lu d’une traite les trois cents dernières pages !
 

 
Petit conseil d’ami pour finir : ne lisez pas la préface avant d’avoir commencé le roman ! Elle est très intéressante, mais révèle trop d’éléments sur l’intrigue, gâchant ainsi une partie du plaisir de la découverte.

 

Un petit chef d’oeuvre ! A lire, évidemment.  🙂

 
 
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Pour prolonger le plaisir :
 

 
Je vais bien sûr me plonger dans les autres romans de Wilkie Collins, dont voici quelques titres :
– Une belle canaille
– Armadale
– Basil
– Le Secret (dans ma PAL)
– La Dame en Blanc
– Mari et Femme
– Sans nom
– L’Hôtel Hanté
 

 

Je suis également très tentée par Drood, de Dan Simmons, dans lequel Wilkie Collins rapporte le récit que lui fit son ami Charles Dickens de sa rencontre avec un mystérieux personnage nommé Edwin Drood, suite au déraillement du train qui le ramenait en Angleterre. Un livre paraît-il superbement construit et bien écrit, par un auteur des plus talentueux.

 
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Cette lecture marque ma première participation au Challenge Victorien. Un billet qui tombe à pic, puisque nous étions en plein mois Wilkie Collins !  😉

 

 

Un bonheur n’arrivant jamais seul, il s’agissait également de ma quatrième contribution au Challenge God Save the Livre !

 

 

12 thoughts on “Pierre de Lune – W. Wilkie Collins

    1. J'ai lu ta critique, qui me conforte dans mon envie de découvrir très vite ce Drood dont tout le monde parle. Je devrais craquer d'ici peu…

  1. merci pour cette participation, je suis en train de lire l'hôtel hanté et je pense bientôt lire d'autres livres de cet auteur 🙂

  2. Dans ma PAL depuis une crise d'enthousiasme victorien… qui n'a pas duré. Ce que j'ai déjà lu de Collins, moins volumineux, ne m'a pas précisément emballée. Par contre "Drood" : très bien, même si un peu long parfois. Il faut vraiment être un victorien motivé 😉

    1. J'aime également beaucoup Wilkie Collins et je te conseille "Armadale" : c'est mon préféré malgré son épaisseur lol ! Sinon, c'est amusant, je viens justement de lire un autre policier célèbre (Sherlock Holmes) autour d'une histoire de trésor venant des Indes … Je comprends pourquoi ce prétexte me semblait si familier !

    2. @Ys : je suis une victorienne motivée (pour le moment du moins). 😉 Nul doute que Drood figurera bientôt dans ma PAL. Puisque tu en parles, je suis moi aussi sujette à de fréquentes crises d'enthousiasme, dont je guéris plus ou moins vite selon les cas. Concernant les Wilkie Collins, j'en lirai sûrement un autre, mais pas tout de suite. Je préfère varier les plaisirs.

    3. @Mrs Figg : je vais de ce pas ajouter Armadale dans ma liste ! Quant à Conan Doyle, je n'ai jamais lu aucun de ses livres, mais je compte bien réparer prochainement cette erreur.

  3. Un excellentissime livre de wilkie ! Je ne me rappelle plus des détails mais le personnage qui m'a marqué est le buttler ! Très drôle ! PS : dans ta liste rajoute "profondeurs glacés "! . C'est court et manichéen mais génialement écrit !

  4. j'ai lu et adoré La dame en blanc! un vrai coup de coeur, et du coup j'ai acheté celui-ci. Mais bon, c'est un pavé donc je me le réserve pour les vacances!

    1. C'est effectivement un pavé, mais il se lit relativement vite. Si tu as aimé la Dame en Blanc, tu devrais apprécier Pierre de Lune, qui est à mon avis meilleur.

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