Le diable dans la ville blanche – Erik Larson

Titre original : The Devil in the White City
Traduction : Hubert Tézenas (2012)
Le Livre de Poche, 2003, 599 pages

 
Les premières phrases :

Le 14 avril 1912 allait devenir une date noire de l’histoire maritime, mais l’occupant de la suite 63-65 du pont supérieur C ne le savais naturellement pas encore. Il savait en revanche que son pied le faisait beaucoup souffrir, plus qu’il ne s’y attendait. A 65 ans, c’était devenu un gros homme.

 
L’histoire :

1890 – Chicago se voit attribuer l’organisation de la prochaine Exposition Universelle. Commence alors une folle course contre la montre pour les architectes en charge du projet, avec à leur tête le célèbre Daniel Burnham et son associé John Root, créateurs de plusieurs des premiers skyscrapers de Chicago. L’entreprise paraît totalement démesurée, et les retards s’accumulent sur le chantier de la future Ville Blanche. L’Exposition pourra-t-elle être inaugurée à la date prévue ? Le succès sera-t-il au rendez-vous ? Le doute s’insinue progressivement, tandis que la situation économique du pays se dégrade inexorablement…
L’ouverture imminente de l’Exposition attire par ailleurs dans les rues de Chicago des milliers d’hommes et de femmes de toutes origines : aventuriers opportunistes, jeunes femmes en quête d’une nouvelle vie et d’un nouveau départ, ou simples chômeurs à la recherche d’un emploi… La ville déborde d’activité, et grouille de nouveaux arrivants ! Parmi eux, un bien étrange individu : le Docteur H.H.Holmes. Celui-ci a déjà trempé dans plusieurs arnaques et escroqueries, mais n’en demeure pas moins un jeune homme affable, au pouvoir de séduction ravageur. Son sens inné des affaires lui permet d’acquérir à bon prix un hôtel dans le quartier d’Englewood, à proximité du site de l’Exposition, hôtel dans lequel il fait installer un four et une chambre forte. Personne ne doute de son sérieux ni de sa gentillesse, et nul ne viendrait à le soupçonner de quelque mauvaise action que ce soit. Et pourtant… Voici que des jeunes femmes de l’entourage du “docteur” se volatilisent mystérieusement. Le bon docteur Holmes ne serait-il en réalité qu’un redoutable psychopathe ?

 
L’opinion de Miss Léo :
 

Digression.

 

J’ai découvert Erik Larson au fil de mes errances bloguesques, son dernier ouvrage, Dans le jardin de la bête, ayant suscité une myriade de réactions très positives, à l’enthousiasme délicieusement communicatif. Il me tente bien sûr énormément, et je ne sais pas si j’aurai la patience d’attendre sa sortie en poche. J’espère le trouver à la bibliothèque, mais j’ai bien peur que cela ne soit pas pour tout de suite… Je me contente donc de tourner autour à chaque visite dans ma librairie préférée, me retenant constamment de l’acheter, au prix de mille tortures douloureuses (on ne parle pas assez de la souffrance “tantalienne” des Lecteurs Compulsifs Anonymes, condamnés à errer pour l’éternité au milieu de centaines d’ouvrages, de la substantifique moelle desquels ils ne pourront jamais s’abreuver).

 

Mercredi 19 septembre. Me voici de retour dans ladite librairie, mère de toutes les tentations. Je m’efforçais de ne pas céder au désespoir, quand soudain apparut devant moi cet autre roman d’Erik Larson, dont je n’avais pas encore entendu parler. Mon coeur fit un bond dans ma poitrine. Mon bras se tendit  violemment (indépendamment de ma volonté), et ma main se referma sur Le diable dans la ville blanche, que j’exhibai fièrement à la caissière en sortant. Et hop, un livre de plus dans  la PAL ! Il n’y sera cependant pas resté longtemps, puisque j’ai réussi à le lire la semaine même de son achat (eh oui, tout arrive).

 

Fin de la digression. 
Je suis absolument ravie de cette acquisition. Il s’agit en effet d’une lecture extrêmement plaisante, tout à la fois distrayante et instructive. Erik Larson nous propose un docu-fiction comme je les aime, rédigé dans un style sobre et efficace, certes plus journalistique que littéraire, un peu mécanique parfois, mais qui n’en demeure pas moins extrêmement séduisant. L’on y découvre avec grand plaisir le Chicago de la fin du XIXème siècle : une ville sale, dangereuse, culturellement décevante et méprisée par les élites de la côte est, qui va pourtant connaître un sursaut d’orgueil, et profiter de l’Exposition Universelle de 1893 pour redorer son blason auprès des autres grandes villes américaines. Le processus est décrit dans ses moindres détails, et l’on assiste aux différentes étapes de la réalisation du projet, projet dont on se demande d’ailleurs comment il put être mené à son terme, compte-tenu de tous les obstacles que durent surmonter Burnham et son équipe. Accidents (mortels), incendies, luttes politiques et économiques, intempéries, débats stériles et rivalités entre architectes susceptibles, peur de l’échec… La patience de Burnham  dut être mise à rude épreuve, et  l’on peut penser qu’il fut parfois tenté de jeter l’éponge. Le lecteur lui-même ressent constamment cette impression de chaos et de désorganisation, qui en aurait découragé plus d’un !

 

Le Diable dans la Ville Blanche développe simultanément les aspects technique et humain d’une épopée hors norme. Les amateurs d’architecture y trouveront leur compte, tout comme les passionnés d’histoire, qui se délecteront de la chronique d’une époque, faisant intervenir de multiples personnages présentés à travers de courtes notices biographiques. On reste fasciné par la quantité de main d’oeuvre et de matériel que nécessitèrent la préparation du site marécageux de Jackson Park et la construction des nombreux bâtiments destinés à accueillir l’Exposition. Le roman évoque également des problématiques très concrètes, comme l’approvisionnement en eau potable ou la lutte contre les épidémies. Et puis il y a aussi LA trouvaille de George Ferris, cette fameuse Grande Roue qui devait faire de l’ombre à la Tour Eiffel du petit père Gustave, elle-même vedette de la grande Exposition Universelle parisienne.

 

Erik Larson, qui a de toute évidence effectué un important travail de recherche et de documentation, trouve un bon équilibre entre la petite et la grande histoire. Les méfaits du Dr Holmes, psychopathe notoire, offrent un contrepoint intéressant à la description du chantier La reconstitution du parcours de ce sinistre tueur en série, contemporain de Jack the Ripper, laisse davantage de place à l’invention, tout en restant parfaitement crédible. Pas de bain de sang ni de visions horrifiques dans ce thriller atypique. Tout est suggéré, et Larson réussi à imposer l’image d’un prédateur glaçant, simulant à merveille les comportements sociaux attendus de la part d’un jeune homme bien élevé en cette fin de XIXème siècle, et attirant dans ses filets de jeunes victimes naïves et innocentes. En quelques mots : un vrai malade du cerveau !

 

Pour être honnête, j’ai préféré la partie consacrée à la mise en place de l’Exposition Universelle. Il n’en demeure pas moins que la superposition des deux intrigues forme un ensemble homogène et intelligent, et que je ne me suis pas ennuyée une seconde, le récit étant par ailleurs très prenant et très habilement construit.

 

J’ai eu la (bonne) surprise d’y retrouver quelques personnages connus, déjà rencontrés lors de précédentes lectures. Le lecteur croise ainsi la route de Chicago May, héroïne d’un roman irlandais de Nuala O’Faolain, ainsi que celle de Nikola Tesla, dont je vous ai déjà longuement parlé dans mon billet sur Des Eclairs, le génial roman de Jean Echenoz. Signalons également que Daniel Burnham fut l’architecte concepteur du célèbre Flatiron, dont la photo ornait justement le marque-page que j’avais choisi par hasard pour accompagner cette lecture (voir photo ci-dessus). Cette anecdote est totalement sans intérêt, mais j’aime les coïncidences !

 
Vous l’aurez compris, j’ai passé un excellent moment avec ce livre, qui n’est pas tout à fait un coup de coeur, mais pas loin. J’ai maintenant terriblement hâte de pouvoir lire Dans le jardin de la bête, qui évoque des événements historiques me tenant particulièrement à coeur (la Deuxième Guerre Mondiale et le nazisme).

 

Un passionnant documentaire, qui se lit comme un roman.

 

D’autres avis chez Emeraude, Gruikman et Karine.

 

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Dernière lecture pour le Mois américain, organisé par Titine. Et une contribution de plus au projet non fiction de Flo !
 

 

13 thoughts on “Le diable dans la ville blanche – Erik Larson

  1. Je me suis aussi passionnée pour cette exposition, ce qui n'était pas gagné a priori, mais c'est tellement bien fait. Un peu de patience, il faut penser que Le jardin de la bête sera en poche bientôt!

    1. Il faudra que je me rende un jour dans cette fameuse Griffe Noire, que je n'ai jamais eu l'heur de visiter. Si seulement St Maur n'était pas aussi loin de chez moi !

  2. J'en aurais fait des découvertes avec ce mois américain ! Je ne connaissais pas mais Chicago au 19ème m'intéresse beaucoup. C'est noté !

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